Homélie de la messe radiodiffusée sur R.C.F. Auvergne – Rhône-Alpes
Chapelle de l’hôpital Emile Roux au Puy-en-Velay
« Soyez toujours dans la joie ! » (1 Th 5, 16)

Pour le pape François, la joie est une des caractéristiques fondamentales de la foi et de la vie chrétienne. Ainsi, le premier grand texte de son pontificat – exhortation apostolique – porte le titre, très suggestif : La joie de l’Evangile. Cinq ans plus tard (2018), il met de nouveau en avant ce thème dans une large réflexion sur la sainteté : La joie et l’allégresse. Avec humour, il dénonce les chrétiens « qui semblent avoir un air de Carême sans Pâques [1]» ou, comme saint François de Sales, il constate qu’un saint triste est un triste saint ! Plus sérieusement, il souligne avec regret combien la joie est souvent peu présente dans notre monde et dans notre culture actuelle : « Le grand risque du monde d’aujourd’hui, avec son offre de consommation multiple et écrasante, est une tristesse individualiste qui vient du cœur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée. Quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la voix de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme de faire le bien ne palpite plus. Même les croyants courent ce risque, certain et permanent.[2] »

Bien sûr, ce constat est rude mais il n’est en aucun cas un déni des évènements douloureux et difficiles que rencontre chacun de nous dans sa propre existence, ni un oubli de la situation dramatique que vit notre humanité avec l’épidémie que nous traversons aujourd’hui. Non, le pape François parle de l’absence d’une joie profonde ; une joie qui n’a rien de superficiel ou d’artificiel ; une joie ancrée profondément en nous, qui a pour compagne une paix intérieure. Dans la foi, notre joie profonde vient de tout ce que Dieu fait pour nous comme un Père plein de tendresse, de l’amour manifesté par Jésus au milieu de nous et du don de l’Esprit Saint qui ouvre sans cesse de nouveaux chemins pour l’Eglise et pour l’humanité.

Notre joie se fonde sur une bonne nouvelle : la présence de Dieu qui prend soin de notre humanité et manifeste tout particulièrement son attention à ceux qui sont tristes, malades ou malheureux. Ce que Dieu veut, ce que Dieu cherche pour nous, c’est que nous puissions vivre dans la joie de nous savoir aimés par Lui. C’est pour cela que Jésus vient parmi nous, afin de nous apporter cette bonne nouvelle. Déjà, le prophète Isaïe tressaille de joie et annonce la venue du Christ : « Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur. » (Is 61, 1-2a) Ce sont ces paroles-mêmes que Jésus reprend à la synagogue de Capharnaüm (cf. Lc 4, 18-21) quand il révèle à tous sa mission par laquelle il accomplit les heureuses promesses de Dieu. Oui, parce qu’il est la Bonne Nouvelle de Dieu qui nous aime, l’Evangile est une source de joie !

La joie chrétienne n’est donc pas d’abord de l’ordre du sentiment, du ressenti ou d’une quelconque émotion qui nous traverserait de temps en temps. Bien sûr, nous pouvons éprouver une joie simple devant la beauté d’un chant liturgique ou d’une œuvre d’art religieuse, ou encore retrouver la joie de la convivialité dans nos communautés enfin déconfinées. Cependant la joie des chrétiens s’enracine profondément dans la reconnaissance et l’action de grâce pour les signes donnés, jour après jour, par Dieu de son amour. Le moteur – le dynamisme – de la joie, c’est, pour les croyants, de repérer, de trouver, de chercher dans la vie quotidienne, comment l’Esprit Saint agit et nous manifeste combien Dieu est présent bien plus que nous n’osons l’espérer, ni le croire. Ainsi, Saint Paul, dans sa lettre aux chrétiens de Thessalonique, les exhorte vivement : « Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties, mais discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le ; éloignez-vous de toute espèce de mal. » (1 Th 5, 16-22)

« Soyez toujours dans la joie ! », comme nous y invite saint Paul, est-ce vraiment possible ? Nous aurions envie de dire « non » car ses paroles peuvent nous sembler trop volontaristes, irréalistes, ou déconnectées des difficultés rencontrées en ces temps difficiles. Pourtant, nous connaissons bien ce que saint Paul a vécu au long de ses nombreux voyages – les persécutions, la prison, les naufrages, les lapidations, les dangers en toutes sortes (cf. 2 Co 11, 21ss) – et malgré cela, il ose affirmer qu’il nous faut être toujours dans la joie. Pourquoi ? La clé de la joie de Paul, se trouve sans doute dans cette affirmation de sa foi profonde, qu’il livre aux Thessaloniciens : « Il est fidèle, Celui qui vous appelle. » (1 Th 5, 24) La joie de Paul est fondée dans sa confiance en la fidélité de Dieu, en Dieu qui réalise ce qu’Il promet, au Christ mort et ressuscité qui l’a appelé sur le chemin de Damas, l’a envoyé comme apôtre des nations et ne l’a jamais abandonné.

« Il est fidèle, Celui qui vous appelle. » Tous appelés par Dieu, notre joie de baptisés, c’est, comme Jean-Baptiste, rendre témoignage de la fidélité de Dieu qui accomplit ses promesses dans la venue du Messie et de la Lumière qui vient éclairer nos vies et notre monde. Soyons des témoins joyeux d’annoncer l’Evangile à tous, et en ces temps de fin d’année quelque peu moroses, osons déjà proposer la joie de Noël à ceux et celles que nous croisons chaque jour. Gardons en mémoire pour cette troisième semaine de l’Avent les paroles du pape Paul VI : « Que le monde de notre temps qui cherche, tantôt dans l’angoisse, tantôt dans l’espérance, puisse recevoir la Bonne Nouvelle, non d’évangélisateurs tristes et découragés, impatients ou anxieux, mais de ministres de l’Évangile dont la vie rayonne de ferveur, qui, les premiers, ont reçu en eux la joie du Christ. [3]»       

Amen.  


[1] Pape François, La joie de l’Evangile, 2013, §6.
[2] Idem §2.
[3] Paul VI, Evangélii Nuntiandi, 1975, § 80.