Homélie de Mgr Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay
du dimanche 24 novembre 2019
en la cathédrale Notre-Dame de l’Annonciation
2 S 5,1-3 ; Col 1,12-20 ; Lc 23,35-43

Heureux paradoxe du Roi crucifié

La logique – la Sagesse – de l’Évangile n’est pas celle des hommes, ni d’hier, ni d’aujourd’hui. Que de paradoxes  – étymologiquement : « ce qui va à l’encontre de l’opinion » – dans ce récit de Jésus en Croix : tous ceux, qui se moquent de lui, l’acclamaient quelques jours auparavant dans les rues de Jérusalem ;  celui qu’on appelle « roi » est un homme crucifié ayant pour couronne, des épines, et pour trône, une croix ; seul un des malfaiteurs, crucifié avec lui, le reconnait comme le Juste, innocemment condamné.

Rappelons-nous ici Saint Paul aux Corinthiens : « Nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les peuples païens… ce Messie est puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. » (1 Co 1,23-25).

Rappelons-nous encore les images choisies par le Christ pour parler du Royaume : la petite graine de moutarde devenant un grand arbre ; le levain dans la pâte : seule suffit une petite pincée au milieu de trois grandes mesures de farine. Ce Royaume de Dieu qui s’est approché de nous avec le Christ défie les logiques humaines. Et pourtant, nous aussi, dans nos vies quotidiennes, nous sommes capables, avec les yeux de la foi, de voir ces nombreux petits signes du Royaume comme cette demande de pardon, cette parole de réconfort, ce geste de solidarité… autant de petites choses qui manifestent la puissance de l’amour de Dieu à l’œuvre aujourd’hui.

Oui, tout en contemplant Jésus crucifié, nous fêtons le Christ Roi de l’univers. Comme nous le rappelle Saint Paul dans la Lettre aux Colossiens, nous fêtons Celui qui est l’image du Dieu invisible, le Fils bien-aimé du Père, le premier né avant toute créature, en lui tout fut créé dans le ciel et sur la terre… tout est créé par lui et pour lui.  Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui (cf. Col 1, 15-17). Et pourtant, l’évangile de ce jour ne nous présente pas le Christ transfiguré dans sa gloire sur la montagne, mais Jésus en croix, au cours de ses derniers moments, pendu, accroché à une croix avec la foule haineuse qui se moque de lui. Seul ce malfaiteur reconnait en Lui celui qui peut l’accueillir dans son Royaume.

Quand nous parlons de Dieu, de la toute-puissance de Dieu, ne nous trompons pas : cette toute-puissance de Dieu n’est pas celle de la force, des armes – à commencer par les armes nucléaires que vient de dénoncer le Pape François au Japon – la force de la contrainte, de la peur. Non quand nous parlons de Dieu révélé en Jésus-Christ, il ne nous faut jamais détourner nos regards de la Croix. Ces regards peuvent être lourds et difficiles à porter car ils nous renvoient à tant de souffrances, de tortures, d’inhumanités vécues dans notre monde.

La puissance de Dieu est celle de l’amour, et non pas de l’amour théorisé, de l’amour idéalisé, mais de l’amour en paroles et en actes. La puissance de Dieu se manifeste dans le don que le Christ fait de lui-même pour vaincre, pour manifester que la haine, la violence, l’injustice ne sont pas vainqueurs dans notre monde. Que seul l’amour peut sauver le monde, et ceci ne demeure pas de simples mots mais s’incarne dans sa mort en croix.

Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne (Jn 10,18). C’est la passion du Roi de l’univers que nous célébrons à chaque messe : Ceci est mon Corps livré pour vous, ceci est mon Sang versé pour vous.

La Royauté du Christ se manifeste en plénitude sur la croix. Dieu a jugé bon
qu’habite en lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié, faisant la paix par le sang de sa Croix, la paix pour tous les êtres sur la terre et dans le ciel
(Col 1, 19-20).

Par le sang de sa Croix, le Christ offre à tout l’univers – tous les êtres dans le ciel et sur la terre – la paix et la réconciliation. Il est le Prince de la Paix. La Sagesse de Dieu est folie pour les hommes !

Pour l’Eglise et pour chacun de nous qui cherchons à suivre le Christ, il nous faut sans cesse nous rappeler et nous convertir, pour accueillir au cœur de notre foi l’humilité de Dieu. « Je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir et donner ma vie par amour pour tous.» (Mc 10,45). C’est l’ultime paradoxe : l’humilité est la voie royale de toute vie chrétienne à la suite du Christ Roi de l’univers.