Messe solennelle du 15 août 2023
Cathédrale Notre-Dame du Puy
Nous connaissons la parabole des deux fils, que Jésus prononce dans le Temple le lendemain de son entrée messianique à Jérusalem (Mt 21, 28-31). Le père de ces jeunes gens demande au premier d’aller travailler à sa vigne ; il refusa d’abord, mais, finalement, y partit. Le second répondit : « Oui, Seigneur ! » et il n’y alla pas. Quand des gens vous disent : « Oui, oui ! », n’attendez pas grand-chose d’eux. C’est un peu comme les Normands : « Pt’êt ben qu’oui, pt’êt ben qu’non ! » Le oui redoublé l’affaiblit au lieu de le renforcer : il y a un oui de trop. C’est bien ce que le Seigneur enseigne dans le Sermon sur la montagne : « Que votre parole soit oui, si c’est oui, non, si c’est non. Ce qui est en plus vient du mauvais » (Mt 5, 37).
La Vierge Marie, qui est honorée ici depuis des siècles et que nous célébrons tout spécialement dans le mystère de son Assomption, n’a pas dit : « Oui, oui ! » Elle a commencé par écouter, elle, la Vierge du silence ; elle a laissé parler l’Ange Gabriel. Elle a seulement posé une question importante sur sa virginité ; elle a entendu la réponse et a pu prononcer son Fiat, son acquiescement au dessein de Dieu pour notre salut, son Oui. Ne soyons pas du Mauvais, qui n’écoute pas, qui n’obéit pas, mais devenons des « fils d’obéissance », à l’image de Jésus et à l’exemple de sa Mère. Obéir, c’est écouter et partir ; l’obéissance est un oui qui avance.
Saint Paul, au début de sa deuxième lettre aux Corinthiens sollicite leur aide pour les chrétiens de Judée en difficulté. Comme il en a la grâce, à partir d’un fait divers, il ouvre des perspectives grandioses sur la foi. Ses projets de visite sont soumis à des aléas ce qui l’amène à écrire : « Mes projets ne sont-ils que des projets humains, si bien qu’il y aurait chez moi en même temps le oui et le non ? En fait, Dieu en est garant, la parole que nous vous adressons n’est pas oui et non. Car le Fils de Dieu, le Christ Jésus, que nous avons annoncé parmi vous, Silvain et Timothée, avec moi, n’a pas été oui et non ; il n’a été que oui. Et toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur oui dans sa personne. Aussi est-ce par le Christ que nous disons à Dieu notre amen, notre oui, pour sa gloire » (1, 17-20).
Texte extraordinaire où, des contingences terrestres, il remonte au mystère de l’acquiescement du Fils à la volonté salvifique du Père. C’est ce que chante le Psaume 39, repris dans la lettre aux Hébreux : « Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps – grâce au oui de Marie. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors j’ai dit : Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté » (He 10, 5-7 et Ps 39, 7-9).
« Me voici ! » C’est la réponse que donnent aux invitations ou aux annonciations venues de Dieu les grands serviteurs ou servantes de Dieu, depuis Abraham et les patriarches, depuis Samuel et David, depuis les prophètes comme Isaïe et Jérémie, jusqu’à la Vierge Marie et à Joseph, son époux. Un tel acquiescement réfléchi et généreux ne s’improvise pas ; il requiert des dispositions intérieures qui doivent être progressivement mûries et développées, dans la prière et une relation à Dieu vivante et franche, comme celle qu’expriment les Psaumes. En effet, les psalmistes, comme Job, ont un franc parler avec Dieu, à qui ils crient, disent leurs angoisses, leurs peurs et leurs souffrances, mais pour dire finalement leur consentement et même chanter leur merci. Ils ne sont pas des « béni oui-oui », de ces faibles qui ondulent au gré du vent et des circonstances pour suivre celui qui parle le plus fort ou qu’ils craignent le plus. Non, ils sont des fils et des filles du oui donné en connaissance de cause, avec la grâce de l’Esprit Saint qui le formule doucement en nos cœurs.
Ainsi, l’Annonciation comme la Visitation nous font entendre et reprendre les trois mots de Marie qui l’introduisent avec nous dans le mystère du Sauveur, et que nous connaissons peut-être en latin : Ecce, Fiat, Magnificat ! On les retrouve en français avec une sorte de rime joyeuse : « Me voici ! », « Je dis oui ! », « Je te remercie ! »
Puis-je apporter en terminant un petit témoignage personnel ? Depuis tout jeune, je m’orientais vers le sacerdoce, appelé à devenir prêtre dans le clergé diocésain, jusqu’au jour où j’ai entendu un appel très précis pour entrer dans la vie monastique à l’Abbaye de Kergonan près de Carnac en Bretagne chez les Bénédictins. Cet appel m’a surpris et déconcerté : je n’ai réussi sur le moment qu’à formuler un Ouais suivi de nombreux points de suspension. Il m’a fallu plusieurs mois pour retirer un à un ces points de trop, effacer le a et le s, et aboutir à un oui plein. Vous voyez qu’il ne faut jamais désespérer : vous constatez que le Seigneur est patient. Après 38 ans de vie monastique, j’ai ensuite retrouvé ma première vocation qui était celle de prêtre diocésain ; seulement, ce fut sous la forme du ministère d’évêque, tout près d’ici à Mende, quelques années, ce qui m’a permis de venir au Puy plusieurs fois pour les fêtes mariales du 15 août, avant de partir à Toulouse. Ensemble, retenons trois verbes, trois attitudes-clés dans notre lien vivant avec Dieu, à la suite de Jésus et de Marie, sa Mère : être disponible, consentir, remercier. On n’improvise pas une relation avec Dieu : il faut s’y disposer, en cultivant de bonnes dispositions, comme le recommande saint Paul aux Philippiens : « Ayez en vous les dispositions qui sont dans le Christ Jésus » (2, 5). Gardons le cœur souple et ouvert pour comprendre ce que Dieu veut de nous et lui dire un oui plénier : consentir avec Marie en connaissance de cause. La joie viendra dans notre cœur et nous pourrons alors remercier Dieu, lui chantant notre Magnificat. Tout cela sous l’influence de l’Esprit Saint : c’est lui qui est l’influenceur que nous pouvons suivre en tout sécurité pour la gloire de Dieu le Père. Amen.