Ce grand récit de la Passion inaugure, ouvre la Semaine Sainte.  Il nous faut tout au long de ce temps privilégié qui nous conduit vers Pâques, laisser résonner en nous ce récit où Jésus jusqu’au bout affronte la mort en croix. Il sera bon de méditer sur ce dernier repas où Jésus rassemble ses disciples et leur laisse le mémorial de sa passion et de sa résurrection ; de méditer sur le procès injuste qui lui est fait, sur le reniement ou la peur de ses disciples qui l’abandonnent. Il sera bon de méditer sur la solitude de Jésus à Gethsémani, de contempler Jésus crucifié, la souffrance de Marie et les moqueries des passants. N’allons pas trop vite à Pâques mais prenons le temps de vivre jour après jour ce grand récit de la Passion du Christ. Tel ou tel passage de ce grand récit ne sera pas sans échos dans notre vie de foi, si nous nous mettons à l’écoute de l’Esprit.

Dans la passion du Christ, nous sommes au cœur de notre foi où nous voyons Dieu épouser notre humanité dans tout ce qu’elle a de tragique, d’injuste, de souffrance et de désespoir. La lettre de Paul aux Philippiens résume en quelques phrases tout le mouvement de la Passion et de la Résurrection du Christ, c’est-à-dire cet abaissement du Fils de Dieu jusqu’à la mort en croix et son entrée définitive dans la gloire, auprès du Père. « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. » (Ph 2, 6-7) Nous croyons que Dieu s’est fait homme, qu’il est devenu semblable à nous, qu’il est venu habiter parmi nous et qu’il s’est fait serviteur pour tous et de tous, lui qui n’est pas venu « pour être servi mais pour servir ». (Mc 10,45) C’est que nous rappelle le lavement des pieds des disciples par Jésus, lors de son dernier repas avec eux. Aimer, c’est servir.  Servir, c’est aimer.  La miséricorde de Dieu a pour visage le service. 

L’Incarnation est un acte d’humilité, comme l’écrit le père François Varillon : « Si l’Incarnation est acte d’humilité, c’est que Dieu est un être d’humilité. ‘ Qui m’a vu, a vu le Père’, dit Jésus (Jn 14,9). Le voyant laver les pieds d’hommes, je « vois » donc Dieu même, éternellement mystérieusement, Serviteur avec humilité au plus profond de sa Gloire.[1]» Dans notre Eglise habitée par des tentations de toute-puissance, comme nous le montre les évènements récents des abus sexuels, il nous faut nous rappeler sans cesse que la toute-puissance de Dieu, c’est l’amour qui, jamais ne domine ni n’écrase, mais qui sans cesse s’abaisse et sert. Contempler le Christ, Serviteur souffrant est le chemin de purification qu’il nous faut prendre pour ôter toute dérive d’emprise sur notre prochain.

« Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. » (Ph 2, 6-11) Au mont des Oliviers, Jésus prie seul, ses disciples n’ont pas la force de veiller. Il sait qu’on va venir l’arrêter et le condamner. Il est face à son destin pleinement humain, ce destin que le Fils de Dieu partage avec toute l’humanité à travers la confrontation au mal et face à la mort. Il ne cherche ni la souffrance, ni la mort mais il affronte la violence et la haine des hommes. Il manifeste ainsi que seul l’amour peut sauver le monde. « Père, tout est possible pour toi. Éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que moi, je veux, mais ce que toi, tu veux ! » (Mc 14,26) Faire la volonté du Père jusqu’au bout en « devenant obéissant jusqu’à la mort », c’est la preuve ultime de la confiance du Fils envers le Père, c’est le dernier cri de Jésus avant d’expirer sur la croix : « Père, entre tes mains je remets mon esprit. » (Lc 23, 46) En vivant la Semaine Sainte, l’Eglise – et donc chacun de nous – renouvelle sa confiance en Dieu : Dieu se révèle comme Celui qui fait passer de la mort à la vie, qui transforme les impasses de nos existences en chemins nouveaux, qui fait renaître au cœur même des souffrances une espérance.

« C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père. » (Ph 2, 9-11) Déjà au pied de la croix, quand Jésus rend son dernier souffle, quelqu’un perçoit la grandeur de cet évènement et rend gloire à Dieu. C’est un païen, un de ceux qui, sans doute, a participé à la crucifixion de Jésus : un centurion romain. « Le centurion qui était là en face de Jésus, voyant comment il avait expiré, déclara : « Vraiment, cet homme était Fils de Dieu ! » (Mc 15, 39) Nous sommes face à ce paradoxe impressionnant où sont liées définitivement la croix et la gloire de Dieu ! Dans l’horreur de ce supplice de la croix, l’humanité atteint ce qu’elle a de plus abject et de plus indigne. Le Christ s’abaisse jusqu’à ce degré ultime « d’inhumanité », rejoignant tout être humain défiguré, torturé en notre monde. En rejoignant par amour les bas-fonds de notre monde, le Christ devient Seigneur, Celui devant qui tout genou fléchit. C’est le grand paradoxe de notre foi – « scandale pour les juifs et folie pour les nations païennes » (cf. 1 Co 1, 23).  C’est de ce grand mystère de la foi dont nous sommes témoins, c’est cette Bonne Nouvelle que nous cherchons à annoncer par notre vie, c’est le cœur de la Semaine Sainte dans laquelle l’Eglise entre aujourd’hui.

Demandons à la Vierge Marie, qui accompagna Jésus jusqu’au bout de sa passion, de nous guider tout au long de ces jours afin que nous vivions plus pleinement la Pâque de son Fils !

+ Luc Crepy


[1] François Varillon, L’humilité de Dieu, Paris, Centurion, 1974, p. 59.