22 novembre 2020

Homélie de la messe radiodiffusée sur R.C.F. Haute-Loire

L’autre Roi

Pourquoi l’Evangile est-il une bonne nouvelle ? Qu’est-ce que cela change dans notre monde que des hommes et des femmes – disciples de Jésus le Christ -, témoignent de l’Evangile comme d’une source de bonheur et de paix ? Finalement qu’apporte à notre humanité, si souvent douloureuse et incertaine, la proposition de la foi chrétienne ? Autant de questions, quelque peu radicales, que peut-être nous, croyants, nous ne posons pas fréquemment, mais que d’autres, qui nous regardent vivre et qui s’intéressent à nous, sont souvent prêts à nous poser : « Qu’est-ce que cela change pour toi d’être chrétien ? » Et ils ajoutent : « Regarde cet homme et cette femme qui ne croient pas en Dieu, combien ils sont capables de faire du bien, de prendre soin des autres… peut-être mieux que bon nombre de chrétiens ! » Nous faisons peut-être, nous aussi, ce même constat, nous étonnant de telle ou telle personne – loin de toute religion – qui rayonne dans son quartier, auprès des siens et au service des uns et des autres.

A cet étonnement devant le bien qui se fait autour de nous et qui est une source d’espérance dans notre monde parfois si dur, laissons résonner la parabole que Jésus raconte à ses disciples (Mt 25, 31-46). Ainsi, toutes les nations rassemblées au jugement dernier posent des questions proches des nôtres : « Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu avoir faim, avoir soif, être un étranger, être nu, malade ou en prison ? Quand est-ce que nous t’avons nourri, donné à boire, accueilli, habillé, visité… ? » Et d’ajouter : « Nous ne te connaissons pas, nous ne t’avons jamais rencontré, nous ne savons pas qui tu es ! Comment aurions-nous pu faire tout cela pour toi ? »

Les uns et les autres découvrent qu’en servant – ou en ne servant pas – le frère, le pauvre, le malade ou l’étranger, ils servent – ou ne servent pas – le roi lui-même, le roi du jugement dernier. Jésus invite ainsi ses auditeurs à ce renversement surprenant, incroyable : l’autre est l’autre roi… car le roi de l’Univers, qui siège sur le trône de gloire se reconnaît en celui envers qui tu as pratiqué la charité… l’autre « roi » est celui à qui tu as tendu la main, l’autre « roi » est celui que tu as aidé et secouru, l’autre « roi » est celui qui ne porte ni couronne, ni de riches habits, parce qu’il est nu et que tu l’as vêtu, l’autre « roi » est étranger et tu l’as reçu chez toi… Qui pense, en aidant quelqu’un de pauvre et de miséreux, aider le roi ? Personne ! Jésus finalement donne la clé : « Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25, 40) et « chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait. » (Mt 25,45).

Mieux que le roi, c’est Dieu lui-même que nous accueillons quand nous nous tournons vers l’autre. Et voilà la réponse à notre première question : l’Evangile est bien une bonne nouvelle car il nous invite, non pas à chercher Dieu là où il n’est pas, mais à découvrir sa proximité et son amour dans le visage de ceux et celles qui souffrent et sont souvent marginalisés. Dieu nous rejoint – comme dirait le pape François – à la périphérie de nos sociétés. Le trône du Seigneur est une croix et sa couronne est d’épines car il a choisi de rejoindre par le don de sa vie tous ceux et celles qui n’ont plus d’espoir, qui souffrent et sont oubliés. Le Roi de l’univers est assis dans la rue, couché dans les hôpitaux, debout dans les camps de réfugiés, enfermé dans les prisons et, sans doute, à mendier pas bien loin de notre porte.

Le roi de l’univers n’est pas celui dont notre imagination ferait un portrait à la manière des grands de ce monde.  Ainsi, quand nous fêtons le Christ-Roi de l’Univers, le Fils de Dieu, le Seigneur des morts et des vivants, nous ne pouvons pas oublier, comme le dit si bien saint Paul, que le Christ n’a pas retenu le rang qui l’égalait à Dieu, qu’il s’est anéanti, par amour, jusqu’à la mort en croix, et c’est pour cela que Dieu l’a élevé au-dessus de tout et l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom (cf. Ph 2, 6-11).

Le Christ ne règne pas seulement à la fin des temps, il règne aujourd’hui ; et le jugement n’est pas prononcé à la fin des temps mais aujourd’hui par notre accueil ou non de l’autre. La force de la parabole, c’est qu’elle rompt avec nos représentations et nous fait joindre ensemble ce que nous séparons facilement. Nous disons souvent : « il y a Dieu et les autres à aimer ; il y a la fin des temps à espérer et il y a le Christ en qui il faut croire. » Mais Jésus, dans la parabole rassemble ce que nous séparons : l’amour de Dieu ne se sépare pas de l’amour du prochain, et la présence du Christ dans le frère nous fait entrer dans l’espérance et fonde notre foi parce qu’il est là comme un Roi, frère de chacun et confondu avec les plus petits d’entre nous.

A notre première question, l’Evangile est-il une bonne nouvelle ? La Parole de Dieu que nous venons d’entendre dans cette parabole nous conforte dans notre foi : oui, l’Evangile annonce à toute personne la proximité de Dieu dans tous les gestes d’amour en faveur de l’autre. Plus encore, l’Evangile invite chacun à découvrir le visage du Christ dans celui du frère, ouvrant le chemin d’une possible fraternité.

Finalement qu’est-ce que cela change d’être chrétien ? Rien et tout ! Cela ne change rien car comme tout être humain nous sommes appelés à aimer dans le concret de nos vies et de la société ; cela change tout car dans le frère et la sœur désemparés ou en difficulté, nous reconnaissons le Christ qui nous attend et qui nous appelle.

Amen !

+ Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay