Oser réfléchir aux enjeux de la Bioéthique

Intervention de Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay du 30 octobre 2019 à la Maison diocésaine La Providence au Puy-en-Velay.

Introduction

Oser réfléchir

En vous remerciant de participer à cette soirée de réflexion et de débat, je voudrais reprendre le titre de cette rencontre : « Oser réfléchir aux enjeux de la Bioéthique ». Les chrétiens, comme beaucoup d’autres dans notre société, se disent concernés par ces questions si importantes qu’abordent les lois sur la Bioéthique. Il s’agit de projets de lois qui touchent notre humanité dans des domaines aussi fondamentaux que le don de la vie à un enfant, la filiation et l’inscription de l’être humain dans une famille, le respect de la vie en ses débuts comme en sa fin, l’intégrité ou non du génome humain avec les recherches sur l’embryon, etc. Il apparaît nécessaire et urgent que nous mettions en œuvre cette capacité que nous avons de nous informer, de réfléchir, de nous interroger, de poser des questions, de discerner les « enjeux d’humanité » de ces choix politiques et donc éthiques.

Certains, peut-être, parmi vous s’interrogent : « Cela vaut-il encore la peine de discuter, puisque le parlement a déjà voté la loi, et qu’elle a beaucoup de chance d’être promulguée dans quelques mois, après le passage au Sénat ? » Il est bon de se rappeler, les propos que tenait Mgr Pierre d’Ornellas, il y a un an :

« Par définition, nous entrons dans le débat de société par le dialogue. La loi sera ce qu’elle sera dans le pays démocratique qui est le nôtre. Ce n’est pas pour cela que la mission de l’Église catholique ne continue pas à être fondamentale car, pour citer la Lettre à Diognète, elle est « l’âme dans le corps ». Ce n’est pas parce que la loi est ce qu’elle sera que tout est fini mais qu’au contraire, l’âme doit pouvoir irriguer le corps. Le témoignage des catholiques qui sont engagés en politique, dans le droit, dans la médecine, dans l’accompagnement, etc., est d’autant plus nécessaire que peut-être la loi ne serait pas celle que nous estimons la plus juste. Si la loi n’est pas celle que nous pensons être juste, cela n’empêche pas que notre mission continue. [1] »

La volonté des évêques de France a été – et est – d’aborder ces questions en osant entrer dans le débat, en apportant des éléments à la réflexion de tous, et en particulier aux hommes et femmes en responsabilité politique. « L’Eglise n’entend pas se substituer à ceux qui sont chargés de conduire les affaires publiques, mais elle souhaite avoir sa place dans les débats, pour éclairer les consciences à la lumière du sens de l’homme, inscrit dans sa nature même.  [2]» Il nous faut donc oser le débat, nous confronter à d’autres, et pouvoir développer et affirmer ce qui nous semble fondamental sur ces diverses questions au nom de la raison comme au nom de la foi. Il est bon de rappeler que foi et raison ne s’opposent pas et qu’il y a toujours un cercle entre la raison et la foi : penser l’homme à partir de la foi n’exclut pas la raison ; penser l’homme à partir de la raison n’exclut pas la foi. La grandeur de la raison est de chercher la vérité, y compris sur les chemins ouverts par la religion. La vérité ne se cherche que par le dialogue et la réflexion dans un climat de respect et de liberté. C’est là que la raison humaine apparaît dans toute sa richesse et qu’elle révèle ses potentialités.

Pour conclure sur ce point, disons que l’Eglise doit éviter deux écueils : le défaitisme et la croisade !

Ne pas oublier que beaucoup de questions de bioéthique s’enracinent dans des souffrances

Au point de départ de ces questions, se trouvent très souvent des situations difficiles et douloureuses comme l’infertilité dans un couple, la souffrance en fin de vie, le défi d’accueillir un enfant porteur de handicap, et d’autres encore auxquelles se trouvent confrontées bien des personnes. Ces situations constituent pour une large part les motivations – légitimes – des législateurs : comment apporter une aide, comment résoudre ces situations difficiles ? Soulignons que la dimension subjective – affective, émotionnelle – prend aussi une grande part dans la perception de ces situations. La réponse des technosciences dans ces différents domaines, peut-elle alors se présenter comme LA solution. En offrant des réponses techniques pour résoudre ces situations complexes et douloureuses, les biotechnologies écartent les questionnements éthiques nécessaires : ce n’est pas parce que la science rend possible telle ou telle pratique, que cette solution est éthiquement satisfaisante. Ce qui est techniquement possible devient-il moral, puisqu’il s’agit de répondre à un  manque et à une souffrance ? Les moyens ne sont pas questionnés et seule la fin demeure l’argument en faveur de telles pratiques. Mais la fin ne justifie pas les moyens.

Un autre aspect souvent évoqué dans le débat actuel est le désir d’enfant. Le désir d’enfant, en soi, est un beau sentiment et c’est d’ailleurs ce que l’Eglise pose comme une des conditions du sacrement de mariage. Ce désir d’enfant se trouve chez bien des hommes et des femmes qui ne sont pas en situation de vivre la fécondité charnelle au sein d’un couple hétérosexuel. La souffrance liée au désir d’enfant ne peut être ni minimisée ni abordée par le seul remède de la technique. Cependant le désir d’enfant, aussi fort soit-il et aussi respectable soit-il, ne peut être l’ultime critère éthique pour discerner ce qui est mis en jeu dans les biotechnologies. Ce désir d’enfant conduit certains à parler de « droit à l’enfant », pour répondre à ce désir [3]. Mais ce droit demande à être confronté aux « droits de l’enfant », qui, s’ils ne sont pas respectés, conduisent à créer de nouvelles situations de souffrance, telle qu’on le voit déjà chez des personnes nées sous X ou par PMA (procréation médicalement assistée), en quête de leur géniteur. Le désir d’enfant, aussi respectable soit-il, ne peut justifier certains moyens mis en œuvre pour y répondre.

Si la bioéthique touche tant de personnes, et si l’Eglise prend part au débat en vue de la recherche d’un bien commun, c’est à la fois parce qu’il y a des personnes vivant des situations complexes et douloureuses, mais c’est aussi que ces situations ne peuvent être simplement résolues par des solutions techniques qui mettent en œuvre des transformations fondamentales de l’existence humaine. Nous sommes responsables du chemin d’humanisation que doit sans cesse tracer notre monde : ainsi, dans la réflexion éthique, l’affirmation de la dignité de la personne et la prise en compte de la souffrance humaine dans la complexité des situations, invitent à la question suivante : « Que devons-nous faire pour être plus humain ? »

Quelques éléments utiles pour oser réfléchir aux enjeux des lois de bioéthique

A partir du livre « Bioéthique. Quel monde voulons-nous ? Discerner des enjeux d’humanité  [4]», quelques éléments importants de souligner :

A. Privilégier le politique ou l’éthique ?

  • Un choix politique et non éthique : il est clair que le candidat Emmanuel Macron avait annoncé dans sa campagne l’ouverture de la PMA à toutes les femmes et le gouvernement actuel va jusqu’au bout de ce projet. Les Etats généraux de la Bioéthique n’ont guère été pris en compte dans cette perspective. Le dialogue promis par le gouvernement n’a pas eu lieu : une simple bienveillance aux propos des évêques ne constitue en rien une écoute sérieuse, comme d’ailleurs d’autres instances non-confessionnelles – comme l’Académie nationale de médecine – n’ont guère été écoutée, dès que des critiques de fond sont formulées vis-à-vis des lois de bioéthique. Il y a bien ici un choix politique avant d’être un choix éthique. Avant d’être la conséquence d’avancée scientifique, le choix de la PMA pour toutes est un choix du législateur. Le légal et le moral ne vont pas toujours ensemble… une question ancienne depuis Antigone : les lois du roi ou celles des Dieux !
  • Ethique du curseur ou éthique d’humanisation : L’éthique est perçue aujourd’hui comme la recherche d’un équilibre entre les demandes sociétales, les possibilités technique ouvertes par la recherche, mais aussi le gigantesque marché de la procréation. Il s’agit alors de mettre le curseur pour répondre à l’ensemble de ces pressions et de légiférer en fonction de la position du curseur. Dans cette perspective, aucune place n’est faite aux valeurs fondamentales qui définissent l’existence humaine dans sa dimension naturelle [5], sociale, culturelle et spirituelle. L’éthique ne peut se définir seulement en fonction des attentes des personnes et des sociétés, mais elle s’enracine dans des repères fondamentaux et universels de l’intégrité de l’être humain.
  • La toute-puissance des techniques : bien que le projet de loi s’en défende  – « Elargir l’accès aux technologies disponibles sans s’affranchir de nos principes éthiques [6] » -, s’exerce une fascination des sciences. Or la science ne peut nous dire si ce qu’elle permet de réaliser est bien ou mal, elle met juste dans les mains de l’homme des potentialités, et c’est à l’homme, dans sa liberté et dans sa conscience de juger s’il faut accueillir ou non tel progrès scientifique. La science ne peut pas se substituer aux normes éthiques. « La science porte sur ce qui est et ne peut rien dire de ce qui doit être. Elle porte sur ce qui est possible de faire, et non sur ce qu’il vaut mieux faire. [7] » La manipulation de l’atome comme la manipulation du vivant ne sont pas neutres. Tout ce qui est techniquement faisable n’est pas éthiquement admissible. La technique n’a pas vocation à affranchir les humains de toute limite mais à les rendre libres pour assumer les limites constitutives de notre humanité. Ajoutons sur ce point que pour certains, le progrès des biotechnologies serait de fabriquer un homme augmenté en s’affranchissant  de la dimension biologique de notre existence
  • La Fraternité : si l’on pense souvent à l’égalité et à la liberté, deux des trois composantes de notre devise républicaine, la fraternité invite à penser les liens entre les individus, la solidarité entre les personnes et surtout la dignité de toute personne et des plus fragiles en particulier. C’est aussi reconnaître qu’il y a des vulnérabilités inhérentes à l’espèce humaine qui sont portées différemment par les uns et les autres. Dit autrement, il y a des limites en chaque être humain qu’il nous faut apprendre à respecter car elles font aussi partie de sa dignité. La personne vulnérable est la pierre d’angle de l’éthique.
  • La technique, servante du plus faible : cette considération est inhérente à la fraternité. Le plus petit, le plus faible, celui dont les limites sont lourdes et pesantes ne peut être oublié, ni condamné par la technique qui invite toujours à dépasser – à supprimer – les limites. Comment maintenir la technique au service du plus faible ?

B. Les risques éthiques d’une nouvelle logique libérale et technicisante

Pourquoi l’ouverture de la PMA à toutes les femmes prend-elle tant d’importance dans le débat actuel, alors que ce projet de loi comprend bien d’autres sujets importants. Pourquoi d’ailleurs constitue-t-elle le premier article de loi qui a été voté ? Le projet de loi en supprimant le critère médical de l’infertilité ouvre un mode inédit de filiation, fondé sur la seule volonté des adultes, en particulier des femmes, seules ou en couple. Le Conseil d’Etat avait écrit dans son étude préalable : « L’ouverture aux couples de femmes et aux femmes seules induirait un changement de logique, en supprimant la condition d’existence d’une pathologie au profit d’un projet parental quelle que soit sa nature. [8] » Pour nombre de promoteurs de la PMA, il s’agit explicitement de faire entrer dans un autre modèle de société où seule la dimension culturelle de la personne prédomine, puisque c’est la volonté de la personne qui détermine le mode de filiation.

Ce « changement de logique » pose des questionnements éthiques importants – « des enjeux d’humanité » – dont on ne peut pas minimiser l’importance et l’inquiétude pour l’avenir, et qu’on ne peut éviter sous prétexte qu’ils sont posés par l’Eglise entre autres. Bien d’autres voix, religieuses ou pas, ont aussi vainement tenté de se faire entendre pour dire que ces lois instituent l’absence de père, le choix de la monoparentalité, la pseudo-égalité des filiations, une ouverture vers la GPA, la question de l’accès aux origines. Elles mettent aussi en cause le principe de gratuité, le refus de l’eugénisme et le juste exercice de la médecine. 

La mise en œuvre de ce projet doit s’affronter à divers obstacles éthiques majeurs [9]

« L’intérêt supérieur de l’enfant » exige une référence paternelle

Puisque l’enfant doit être voulu pour lui-même, le bien de l’enfant devrait prévaloir sur celui des adultes. Le droit international semble le ratifier en consacrant la notion juridique d’« intérêt supérieur de l’enfant » dont la « primauté » est, pour le Conseil d’État, « incontestable ». Comment pourrions-nous nous contenter collectivement de l’instauration d’une sorte d’« équilibre » entre cet intérêt de l’enfant et celui des adultes ?

La suppression juridique de la généalogie paternelle porte atteinte au bien de l’enfant qui est privé de sa référence à une double filiation, quelles que soient ses capacités psychiques d’adaptation. Cette exigence de la référence à un père est confirmée par les citoyens qui se sont exprimés lors des États généraux de la bioéthique et dans deux sondages posant explicitement la question du père. La suppression juridique du père encourage socialement la diminution, voire l’éviction, des responsabilités du père. Une telle dérive pose non seulement un problème anthropologique mais aussi psychologique et social. Pourrions-nous accepter collectivement que l’homme soit considéré comme un simple fournisseur de matériaux génétiques et que la procréation humaine s’apparente ainsi à une fabrication ?

Le maintien du principe de l’anonymat du tiers-donneur empêche les enfants et les adultes en souffrance d’accéder à leur « origine masculine », alors même que la légitimité d’un droit à connaître ses « origines » progresse dans la société. En minimisant ainsi l’intérêt des enfants, voire en l’occultant, un pouvoir injuste est exercé sur eux. Devons-nous  accepter  cette  injustice?

Le risque de marchandisation

Une demande croissante de sperme sera induite par l’ouverture de l’« AMP pour toutes les femmes ». Il n’est pas certain qu’une telle ouverture suscitera plus de dons. Le contraire est sans doute plus probable si le principe de l’anonymat était partiellement levé. Pour remédier à la pénurie prévisible, la tentation sera de rémunérer les donneurs, voire de charger l’État d’importer du sperme. Accepterions-nous collectivement que ce commerce ruine le principe de gratuité des éléments du corps humain et tende ainsi à ranger la personne du côté des biens marchands ? Le principe de gratuité est essentiel pour traduire juridiquement que ni la personne ni aucun de ses éléments corporels ne sont assimilables à des choses.

Des conséquences prévisibles de la prépondérance du « projet parental »

L’ouverture de la « PMA pour toutes les femmes » est fondée sur le « projet parental » qui devient le critère supérieur de régulation des techniques de PMA. Il donne un poids prépondérant à la volonté individuelle au détriment d’une référence à la dignité de la procréation et à l’intérêt de l’enfant. Comment peut-on réguler le pouvoir de ce « projet parental » ? Que deviendrait la possible évaluation actuelle par le médecin de « l’intérêt de l’enfant à naître » pour accéder à la PMA ? Si, comme l’imagine le Conseil d’État, deux femmes font une déclaration anticipée de filiation devant un notaire, quels seraient pour lui les critères d’évaluation de «l’intérêt de l’enfant à naître » ? La seule référence au « projet parental », c’est-à-dire aux volontés individuelles, conduit également à supprimer la règle juridique actuelle empêchant le double don (spermatozoïdes et ovocytes). Il n’y a plus aucun lien biologique de l’enfant avec ses parents, tout en étant conçu selon leur projet.

L’impossible justification par le seul argument de l’égalité

Le seul argument de l’égalité pour justifier la légalisation de « la PMA pour toutes les femmes » est utilisé à tort, comme le reconnaît le Conseil d’État. En effet, l’égalité juridique ne se justifie que pour des situations semblables. Or l’infertilité du couple homme-femme est une situation non identique à celle d’un couple de femmes dont la relation ne peut être féconde. Si l’argument d’égalité est brandi au bénéfice des femmes, alors l’ouverture de « la PMA pour  toutes  les  femmes » conduira à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA), même si celle-ci fait l’objet, pour l’instant, d’une large réprobation éthique. En effet, la référence à l’égalité, indissociable de la dignité, s’applique tout autant aux femmes qu’aux hommes [10].

C. Dignité de la personne et fraternité nouvelle [11]

Vers une démarche nouvelle en bioéthique

Considérer l’enfant comme le fruit de l’amour durable d’un homme et d’une femme n’est pas devenu une option ; cela reste la norme éthique fondamentale qui doit encore configurer cette forme première de l’hospitalité qu’est la procréation. Sans nier ses difficultés, le lien conjugal stable demeure le milieu optimal pour la procréation et l’accueil d’un enfant. En effet, ce lien offre la pleine capacité d’hospitalité et le plein respect de la dignité des personnes, enfants et adultes.

Ces réflexions éthiques sur la PMA ne sont pas déconnectées des autres problématiques sociales et politiques. Les manières d’organiser les liens de la procréation humaine rejaillissent sur toutes les relations sociales et politiques. Le droit ne fait pas qu’arbitrer des conflits, il institue des relations entre les personnes. Ces relations façonnent leur identité et doivent structurer les exigences propres à la fraternité. L’éthique relie indissociablement la dignité, source de droits, et la fraternité, source de reconnaissance mutuelle et de devoirs qui nous engagent tous à participer à la vie sociale et politique. Par égard pour la dignité des personnes et de la procréation, le droit ne peut pas contribuer à la marchandisation et à l’instrumentalisation de la procréation. Cela serait gravement contraire aux valeurs essentielles pour la vie de l’humanité et pour les relations tissées entre les êtres humains : la dignité, la liberté, l’égalité, l’hospitalité et la fraternité.

Il importe plus que jamais d’aborder l’ensemble des questions d’éthique biomédicale dans le cadre plus large d’une réflexion écologique qui relie la préoccupation des personnes à celle de l’environnement, et qui pose une réflexion critique sur les technosciences dans la gestion de l’environnement. Nous pouvons résister collectivement à la fascination des techniques et du marché, en cultivant notre attention sur la personne dans toutes ses dimensions. Sans elle, les débats de bioéthique risquent de se réduire à des discussions techniques, juridiques et financières, qui ne parviennent pas à s’ancrer dans la profondeur du mystère de la personne et de sa dignité.

La dignité de la personne inclut la procréation

Le Conseil d’État a rappelé que la « dignité » est placée « au frontispice » du cadre juridique de la bioéthique française et qu’elle a une « valeur constitutionnelle ». Il a souligné également qu’«une conception particulière du corps humain » en « découle » et que « l’enveloppe charnelle est indissociable de la personne ». La dignité de la personne inclut donc le processus de la procréation – conception et gestation – où se développe notamment son corps. La question pour le législateur est de savoir s’il est conforme à l’intérêt de l’enfant de naître d’une femme qui s’est engagée à le remettre à d’autres à sa naissance

La procréation ne doit s’apparenter ni à une fabrication, ni à une marchandisation, ni à une instrumentalisation

Puisque toute personne, quelle qu’elle soit, a une dignité, elle doit être traitée comme une fin et jamais comme un simple moyen. Procréer, c’est désirer faire advenir une personne en la voulant pour elle-même. Aucune souffrance relative au désir d’enfant ne peut donc légitimer des procédés de fécondation et des modalités de grossesse qui s’apparentent à une fabrication, une marchandisation ou une instrumentalisation d’un être humain au service d’autres êtres humains, ou encore au service de la science ou de la société.

Il faut être lucide qu’une économie très rentable s’installe – dans le sillage de l’ultralibéralisme – avec un marché de la maternité – après le marché de la prostitution – avec les mères porteuses. L’éthique s’efface devant les possibilités toujours plus séductrices de l’idéologie ultralibérale. Ajoutons que « notre corps nous est propre, mais il ne nous appartient pas comme un bien, autrement dit une propriété inaliénable, que l’on peut donner ou vendre […] L’idéologie ultralibérale veut nous persuader que, puisque notre corps nous appartient, nous sommes libres de l’aliéner. Admirons le paradoxe. [12] »

La souffrance liée au désir d’enfant doit être accompagnée

La souffrance liée au désir d’enfant ne peut être ni minimisée ni abordée par le seul remède de la technique. Nous souhaitons le développement d’un accompagnement qui soit respectueux des personnes concernées, qui sache les informer loyalement pour que leurs décisions soient prises en conscience, de façon éclairée, et qui porte le souci de la dignité de la procréation.

Conclusion

« ‘Dans un pays où il y a des lois, écrit le philosophe – Montesquieu – la liberté consiste à pouvoir faire ce que les lois permettent.’ Ces lois instituent la liberté au nom du bien commun, de la justice et de la protection des droits fondamentaux reconnus à tout être humain. […] Aujourd’hui l’Europe et la France ont à choisir entre la perspective d’un « marché total », auquel rien ne devrait échapper, et celle d’une société soucieuse d’instaurer des institutions justes.  [13]»

Un parallèle semble se dessiner entre la crise écologique et ce changement de paradigme dans la procréation humaine : les générations actuelles responsables de la mise en place de tels processus dans la procréation humaine risquent, dans quelques décennies, d’être considérées comme responsables des mêmes graves erreurs d’une confiance univoque dans les technosciences et dans le marché libéral qui ont conduit à la catastrophe écologique actuelle. Là où la science fascine l’être humain et les techniques conduisent à s’évader des limites constitutives de son identité, alors la conscience s’estompe et accepte une société de plus en plus déshumanisée.

+ Luc Crepy
Evêque du Puy-en-Velay


[1] Mgr Pierre d’Ornellas, Assemblée des évêques à Lourdes, 06/11/18.
[2] Benoît XVI, 8 mars 2008.
[3] Un enfant est une personne, c’est-à-dire un sujet de droits, à la différence des choses, qui peuvent être objet de droit. C’est pourquoi il ne peut y avoir de droit à un enfant comme il n’y pas de droit à une femme ou à un homme.
[4] Mgr Pierre d’Ornellas, Bayard – Editions du Cerf – Mame, 2019.
[5] Il serait bon de relire « Le paradigme perdu : la nature humaine » d’Edgar Morin, qui souligne que l’homme est culturel par nature et naturel par culture.
[6] Titre I de la loi.
[7] Sylviane Agacinski, L’homme désincarné. Du corps charnel au corps fabriqué. Tracs Gallimard, n°7, 2019, p. 18.
[8] Bioéthique, idem, p. 69.
[9] Voir déclaration des évêques de France : https://eglise.catholique.fr/sengager-dans-la-societe/eglise-et-bioethique/science-et-ethique/debut-de-vie/460694-respectons-dignite-de-procreation/
[10] « L’usage d’une mère porteuse à l’étranger constitue maintenant un moyen légitime et légal de devenir père. » S. Agacinski p. 22.
[11] Cf. Déclaration des évêques de France, La dignité de la procréation, Coédition, Cerf, Bayard, Mame, 2018.
[12] Sylviane Agacinski, idem, p. 13.
[13] S. Agacinski,  idem, p.42.