évêque du Puy-en-Velay, le 15 août 2007, à l’évêché

Chers amis, Je suis heureux de vous accueillir à l’évêché dont j’aime à dire qu’il est une maison de famille où, avec ses particularités, chacun a une place unique.

Plusieurs d’entre vous assument des responsabilités dans la pastorale diocésaine. Je tiens à leur exprimer ma reconnaissance ainsi qu’à ceux qui œuvrent à l’annonce de l’Evangile dans notre diocèse qu’aujourd’hui je confie spécialement à la Vierge Marie. Je salue fraternellement mes frères évêques auxquels je suis uni dans la communion apostolique, communion qui a pour serviteur le pape Benoît XVI, successeur de l’apôtre Pierre sur lequel, comme nous le rapporte l’Evangile, le Christ a fondé son Eglise.

Cher Christophe, Ta présence est une joie. Evêque de Limoges, tu parcours inlassablement ton diocèse, aimé de tous ceux qui te rencontrent comme de nombreux échos m’en apportent la preuve. Tu es vraiment le bon berger, plein d’initiatives pastorales. A ce titre, tu m’encourages sur le chemin d’une mission commune. Pour ma part, j’apprécie particulièrement la manière dont tu exerces une charge importante, confiée par notre conférence, celle de Président de la « Commission épiscopale pour la catéchèse et le catéchuménat ». Avec habileté et persévérance, tu ouvres à la catéchèse des horizons nouveaux. « Ecclésia 2007 » a déjà mobilisé dans notre diocèse 150 personnes ayant des responsabilités catéchétiques. Je suis certain que cette manifestation connaîtra, grâce à ton impulsion et à de précieuses collaborations, un vrai succès.

Mgr Jean-Marie Le Vert, est un jeune évêque, auxiliaire de Mgr Albert-Marie de Monléon, évêque de Meaux. Il n’est pas avec nous car il célèbre à l’église Saint Laurent la messe de la fête de l’Assomption. Parmi ses nombreux talents, mon confrère a celui d’excellents contacts avec les jeunes. Son exemple m’invite à parcourir d’un pas toujours plus allègre et confiant les chemins de l’Evangile.

Comment ne pas évoquer aujourd’hui le souvenir du cardinal Jean-Marie Lustiger dont le décès a suscité tant d’émotion ?

A deux reprises le Cardinal est venu dans notre diocèse : une première fois pour présider en 1987 les fêtes de l’Assomption et, à nouveau, le 17 juillet 2005, afin de bénéficier de la grâce du jubilé. A cette occasion, en l’accompagnant, j’ai été frappé par sa gravité, son recueillement et son humilité. Jadis, je l’avais connu entraînant des foules d’étudiants sur les routes de Chartres et, le 17 juillet 2005, je le voyais absorbé dans un colloque avec son Seigneur et son Dieu. « Le choix de Dieu », tel est le titre d’un remarquable ouvrage du Cardinal. Après avoir bouleversé le cours de son existence, ce choix a guidé Jean-Marie Lustiger jusqu’à la rencontre définitive avec « Celui qui nous aime et nous a lavés de son Sang » . Au cours de son allocution sur les escaliers de la cathédrale au terme de la traditionnelle procession du 15 août, le Cardinal a prononcé ces paroles qui n’ont rien perdu de leur actualité : « Mes amis, ce qui m’a touché au cœur pendant ces longues prières que nous avons faites ensemble, c’est au fur et à mesure que s’avançait la statue de la Vierge Noire, Notre-Dame du Puy, parmi vous dans les rues, et que priant avec vous je jetais un regard à droite et à gauche, j’ai cru lire sur les visages de tous ici quelque chose de peu fréquent et qui est peut-être la grâce maternelle de la Vierge répandue à travers les cœurs et les vies de tant d’hommes et de femmes si différents, parfois sans doute éloignés de la foi catholique, parfois malheureux et perdus, c’est une complicité mutuelle, une tendresse si rare en notre temps dur, une véritable fraternité d’hommes et de femmes qui peuvent devenir des frères parce qu’ils regardent l’effigie d’une mère dont ils savent qu’elle est aussi leur mère. »

En cette maison voulant mettre en valeur aujourd’hui un aspect de sa vocation, celui d’être un lieu où pour le plus grand bien de la communauté humaine, se développent de nécessaires collaborations, je suis heureux de souhaiter avec un profond respect et beaucoup d’amitié la bienvenue aux diverses autorités qui me font l’honneur de venir en ce lieu lors d’une fête religieuse importante pour les catholiques. Le Vice-président de la Commission européenne, Jacques Barrot m’a fait part personnellement de son vif regret de ne pouvoir être des nôtres en ce jour de fête. J’ai été très sensible à cette marque d’amitié.

Il y a parmi nous diverses autorités publiques que je salue à nouveau respectueusement. Leur présence m’incite à vous proposer une brève réflexion sur l’importance pour l’avenir de notre pays d’une relation stimulante entre le monde politique et l’Eglise catholique. Permettez-moi d’introduire mon propos en citant une fois encore le cardinal Jean-Marie Lustiger : « Si le monde se refroidit, si la foi des chrétiens défaille, le monde mourra parce que plus personne n’osera croire en l’homme ni défendre l’homme. C’est une des illusions tragiques de l’époque qui nous a précédés d’avoir cru que Dieu était l’ennemi de l’homme et qu’on ne pouvait exalter et défendre l’homme qu’en le délivrant de Dieu. Tragique erreur, car en voulant tuer Dieu, on tue l’homme, en niant Dieu, on renie l’homme, en refusant la grâce, on fait sombrer la raison dans la folie, en récusant la source du droit, on fait sombrer le droit dans l’arbitraire. La foi est le salut de l’homme et de la raison, et voilà notre mission. » Ce rappel lucide et courageux de la mission de l’Eglise appelle quelques développements afin de mieux saisir la pertinence des propos du défunt Cardinal.

1. Nous sommes tous persuadés que l’esprit confère à l’être humain la dignité d’être une personne. C’est, en effet, l’esprit qui permet à l’homme d’être la cause profonde de ses actes et, par conséquent, d’être libre et responsable. La conscience humaine évalue cette responsabilité car elle est une voix qui ne cesse de presser l’homme « d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal » et qui, « au moment opportun, résonne dans l’intimité de son cœur ». Mais s’il est vrai qu’une conscience droite juge selon la raison, c’est-à-dire conformément au bien véritable, il n’en reste pas moins que cette même conscience a besoin d’être éduquée afin de ne pas être faussée par des influences négatives et surtout par ce mauvais amour de soi appelé égoïsme. Une société voulant promouvoir la dignité de la personne humaine reconnaîtra sans peine le caractère sacré de la conscience individuelle. Cette société se fera, par conséquent, le devoir d’en stimuler l’exercice par des lois justes. Il appartiendra ensuite aux autorités publiques, chacune en son domaine, de respecter les consciences et non pas de les asservir en s’attribuant le droit, avoué ou non, de les régenter. 2. Selon nous, la politique est « une action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun » . 3. Dès lors nous comprenons pourquoi « il n’appartient pas à l’Eglise de formuler des solutions concrètes – et encore moins des solutions uniques, au sujet des questions temporelles que Dieu a laissées au jugement libre et responsable de chacun » . En ce sens, l’Eglise ne fait pas de politique, souhaitant au contraire que la diversité des opinions puisse s’exprimer librement au moyen d’un débat digne d’une démocratie vivante. En revanche, « il est juste qu’elle puisse porter un jugement moral, même en des matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent » . C’est dire que si la politique est une activité ayant sa spécificité et donc, à ce titre, une autonomie aussi indispensable que légitime, une telle autonomie ne peut aller jusqu’à oublier des exigences morales non négociables, exigences mises en lumière grâce à une juste conception du caractère central de la personne humaine. De plus, il est aisé de comprendre que « la structure démocratique sur laquelle entend se construire un Etat moderne aurait une certaine fragilité si elle ne prenait pas comme fondement le caractère central de la personne ». 4. Si, comme l’a rappelé le cardinal Lustiger, l’Eglise a pour mission première de servir cette œuvre divine qu’est la transformation profonde des cœurs, la communauté chrétienne, fondée par le Sauveur du monde, n’est pas, tant s’en faut, indifférente aux destinées de la société terrestre dont cette communauté veut être un membre actif. En effet, l’Eglise veut œuvrer au sein de cette société en collaborant avec ceux que le bienheureux pape Jean XXIII nommait « les hommes et les femmes de bonne volonté ». Afin de mieux comprendre comment l’Eglise entend servir la communauté humaine, écoutons le pape Benoît XVI : « Ce n’est pas le rôle propre de l’Eglise de prendre en charge le combat politique pour réaliser la société la plus juste possible ; toutefois, elle ne peut et ne doit pas non plus rester à l’écart de la lutte pour la justice. » « L’Eglise doit s’insérer en elle par la voie de l’argumentation rationnelle et elle doit réveiller les forces spirituelles, sans lesquelles la justice, qui requiert toujours aussi des renoncements, ne peut s’affirmer ni se développer » . L’enseignement de Benoît XVI trouve une belle illustration dans l’histoire de l’Hôtel-Dieu. Prolongement naturel du sanctuaire de Notre-Dame du Puy, l’Hôtel-Dieu est connu, depuis ses lointaines origines, sous le nom d’Hôpital des « pauvres Notre-Dame ». En effet, l’Hôtel-Dieu a été au cours du second millénaire l’hôtel de la charité chrétienne, le lieu d’un accueil privilégié du pauvre et du malade. Au XIIème siècle déjà, le célèbre « Guide du pèlerin » d’Aimery Picaud définissait clairement le but de ces hospices du monde chrétien : « Des maisons de Dieu pour le réconfort des saints pèlerins, le repos des indigents, la consolation des malades, le salut des morts, l’aide aux vivants ». Par conséquent, on pourrait apposer sur les murs de l’Hôtel-Dieu l’inscription suivante : « Ici pendant des siècles, les petits et les malades ont été reçus avec un grand dévouement à la lumière d’une parole de l’Evangile : « J’étais malade et vous m’avez visité » . A la veille d’une heureuse et nécessaire restauration de l’Hôtel-Dieu, notre Eglise diocésaine demeure attentive à la destination de lieux non seulement tout proches d’un important sanctuaire marial mais aussi chargés d’un message lié de manière privilégiée à l’histoire de la charité chrétienne, charité toujours fort active dans notre département. 5. ” La laïcité, comprise comme autonomie de la sphère politique par rapport à la sphère religieuse et ecclésiastique – mais pas par rapport à la sphère morale – est une valeur acquise et reconnue par l’Eglise ». A ce propos, un point doit retenir notre attention : l’impossibilité pour le politique de s’affranchir d’exigences éthiques fondamentales provient du fait que la raison est en mesure de connaître suffisamment en quoi consiste la dignité de la personne humaine. De ce fait, si on ne cède pas, par faiblesse ou par calcul, aux sirènes d’un relativisme sans consistance intellectuelle, il nous faut reconnaître qu’une telle connaissance – parce que fondée sur l’intelligence de l’homme, possède un caractère universel.

Il est temps de tirer des conclusions pratiques des quelques réflexions que je me suis permis de vous soumettre. Ces conclusions ont pour but de faciliter un dialogue constructif entre l’Eglise et les autorités temporelles.

a) En chaque être humain, il y a une aspiration profonde au vrai, au bien et au beau. La foi chrétienne comble une telle aspiration en découvrant à l’homme ce que « l’œil n’a pas vu, ni l’oreille entendu … » . Cette découverte inouïe, « révolutionnaire » – dirions-nous – dans un langage contemporain, tourne notre regard vers « Celui qui appelle les hommes des ténèbres à son admirable lumière » , vers le Christ Jésus, « la voie, la vérité et la vie » . C’est en ce sens que la première mission de l’Eglise est une mission de salut.

b) Le salut offert à tous les hommes par le Christ a des effets bénéfiques sur le plein exercice de l’intelligence humaine. En effet, non seulement la foi chrétienne augmente la connaissance de la dignité de la personne mais cette même foi libère aussi l’intelligence en l’aidant à aller jusqu’au bout de sa recherche. C’est ainsi que la foi est également « le salut de la raison ».

c) Parce que la politique est appelée à contribuer puissamment au bien public, on ne dira jamais assez que l’homme politique sert l’intérêt durable de son pays en respectant les exigences d’une conscience éclairée. N’y a-t-il pas des gloires trop chèrement payées ? N’y a-t-il pas des réussites illusoires lorsqu’elles sont acquises aux dépens d’un vrai respect de la personne humaine ? A ce sujet, notons que le point de vue de Machiavel ne s’accorde pas du tout avec la perspective ouverte par l’Evangile. En effet, pour le secrétaire florentin : « .. un prince ne peut observer toutes ces choses pour lesquelles les hommes sont tenus bons, étant souvent contraint, pour maintenir l’Etat, d’agir contre la foi, contre la charité, contre l’humanité, contre la religion. » A quoi l’Evangile répond et l’histoire humaine lui donne raison : « Que sert donc à l’homme de gagner le monde entier, s’il se perd ou se ruine lui-même ? » A mon avis, cet avertissement concerne aussi la société humaine. Ainsi que toute personne raisonnable en conviendra aisément, une majorité politique – quelle qu’elle soit, n’a pas le pouvoir de décider du bien et du mal moral. Dans le domaine éthique, l’opinion du plus grand nombre, opinion malheureusement parfois malléable à souhait, ne peut être la référence ultime pour l’élaboration de lois appelées comme telles à orienter vers le vrai bien de la société. Il y a des lois injustes. Ne l’oublions pas ! A cet égard, l’histoire du siècle dernier fourmille – hélas ! – d’exemples tragiques.

En cette belle fête de l’Assomption, fête qui nous rappelle le but ultime de notre pèlerinage terrestre et le chemin qu’il nous faut suivre afin de parvenir à notre parfait accomplissement, je souhaite qu’avec l’aide de la grâce de Dieu et dans une joyeuse espérance, nous réussissions tous notre vie.

Sainte fête de l’Assomption !

+ Henri Brincard Evêque du Puy-en-Velay