Ce qui s’est passé au Brésil est une affaire dramatique, médiatisée avec fracas. Il ne s’agit pas d’abord de réagir mais surtout de réfléchir afin d’opérer quelques discernements dictant la conduite à tenir. Esquissons une telle réflexion en reprenant les choses telles qu’elles ont été rapportées par les agences de presse et par les journaux. Nous nous poserons ensuite quelques questions et nous nous efforcerons d’apporter d’utiles précisions.

Il s’agit d’une enfant de neuf ans ou un peu plus, attendant des jumeaux. Sa jeunesse, le contexte de misère dans lequel elle a vécu, le traumatisme d’un viol et celui d’un avortement suscitent immédiatement, pour la victime, une compassion sans limite.

Cependant, lorsque les faits rapportés sont passés au crible d’une critique lucide, il est aisé de constater que nous sommes fort mal informés sur divers points qui deviennent autant de questions sans réponse.

Voici quelques questions :

  •  Les parents ont-ils été victimes de manipulations les empêchant de prendre une décision personnelle ? Si de telles manipulations ont existé, pourquoi ont-elles eu lieu ? En quoi ont-elles consisté ? Enfin, qui en sont les véritables responsables ? 
  •  Le premier objectif des médecins a-t-il été de sauver à la fois la vie de la mère et celle des enfants conçus ? Seule la consultation complète du dossier médical permettra de répondre à une telle interrogation. 
  •  Qu’en est-il exactement de l’affirmation selon laquelle l’archevêque de Recife se serait contenté de procéder à une excommunication. Qui est concerné par cette excommunication ?

Venons-en maintenant à quelques considérations sur ce terrible drame qu’est l’avortement

Quiconque réfléchit sans a priori finit par trouver les raisons pour lesquelles l’avortement est en lui-même un acte d’une extrême gravité. Cependant prenons soin de distinguer aussitôt la gravité de cet acte et la responsabilité de la personne qui le commet.

L’avortement interroge sérieusement la conscience humaine. En effet, il porte directement et très violemment atteinte à la dignité de l’être conçu, dignité qui ne lui est pas donnée par une décision des hommes. Une telle dignité doit donc être reconnue et servie comme un absolu car il n’appartient à aucun homme de dire à un autre : « Tu es un être humain à partir du moment où je le décide. »

Soulignons également que si le drame de l’avortement est d’abord celui de l’enfant conçu, privé d’une existence dont la grandeur et la richesse appelaient respect et service, ce drame est aussi celui d’une mère profondément blessée dans son cœur, car cet acte terrible ne respecte ni sa dignité de personne humaine ni son désir profond – si du moins aucun drame ne vient le faire oublier – de contribuer au bonheur de l’enfant qu’elle portait en elle. Une fois de plus, disons clairement que la raison humaine peut saisir ce qui fait la gravité de l’avortement.

Dans la lumière de sa Foi, l’Église catholique considère aussi que la dignité de tout être humain, quel qu’il soit, a une dimension sacrée puisque cette dignité est donnée par Dieu qui accorde à l’homme le privilège d’être « à l’image et à la ressemblance » de son Créateur. A la lumière de la même Foi – lumière dépassant ce que peut découvrir la raison par elle-même – l’Église affirme aussi que l’être humain n’a pas seulement la dignité d’une personne, mais aussi celle de fils de Dieu, participant dans le Christ à la Vie même de son Créateur et Père. Dès lors, on comprend mieux pourquoi Jean Paul II, faisant appel en même temps à la raison et à la foi, n’a cessé de rappeler fortement que, lorsqu’il est « un meurtre délibéré et direct, quelle que soit la façon dont il est effectué, d’un être humain dans la phase initiale de son existence, située entre la conception et la naissance », l’avortement est un acte dramatique par sa gravité et par ses conséquences.

Quelle a été l’attitude des chrétiens concernés de manière directe par le drame de cette fillette ?

Des précisions fort opportunes ont été apportées par l’archidiocèse de Olinda et Recife dans une “déclaration” en date du 16 mars 2009 et signée par les collaborateurs immédiats de l’archevêque mis en cause. La déclaration, et c’est un point important à signaler, a été également signée par le curé de la paroisse sur le territoire de laquelle habitaient la jeune fille enceinte et sa famille.

Citons un passage significatif de la déclaration : « Nous tous, à commencer par le curé d’Alhagoinha, nous avons traité la jeune fille enceinte avec toute la charité et toute la tendresse voulue. Dans sa sollicitude pastorale, le curé, dès qu’il a appris dans sa cure la nouvelle, s’est immédiatement rendu à la maison de la famille où il a rencontré l’enfant pour lui apporter aide et accompagnement dans la grave et difficile situation où celle-ci se trouvait. Cette attitude a été adoptée pendant tout le temps qui s’est écoulé jusqu’au triste événement de l’avortement de deux innocents. Sans qu’aucune équivoque ne soit possible, il est donc évident que personne n’a songé en premier lieu à une excommunication. Nous avons eu recours à tous les moyens dont nous disposions pour éviter l’avortement et sauver ainsi les TROIS vies. Le curé a uni ses efforts à ceux du “Conseil des enfants” de la ville, efforts cherchant le bien de la jeune fille et de ses deux enfants. Lors de ses visites quotidiennes à l’hôpital, ce prêtre a eu une attitude de délicate affection, attitude manifestant, tant à l’égard de la jeune fille qu’à l’égard de sa mère, qu’elles n’étaient pas seules mais que l’Église, d’abord représentée par le curé, leur apportait toute l’assistance nécessaire, certifiant aussi que tout serait fait pour le bien de la jeune fille et pour sauver ses deux enfants. »

Ces précisions manifestent à quel point de trop nombreux articles de journaux ainsi que les propos tenus par des personnes exerçant en des domaines divers de hautes responsabilités, ont méconnu complètement la réalité des faits parce que, sans doute, on n’a pas pris le temps d’une réflexion suffisante, réflexion indispensable pour parvenir à de justes discernements.

Qu’en est-il maintenant de l’excommunication portée par l’archevêque de Recife ?

Comme nous le savons, les médias ont insisté sur cette excommunication, provoquant ainsi dans l’opinion une indignation qu’au premier abord on aurait été tenté de partager pleinement. Mais la rigueur intellectuelle et l’honnêteté exigent de ne négliger aucune source d’information. Afin de lever des incertitudes, il apparaissait indispensable d’examiner attentivement les choses à la lumière de la déclaration de l’archidiocèse de Olinda et de Recife. Voici donc un autre extrait de ce document : « Après le transfert de la jeune fille dans un hôpital de Recife, nous avons essayé d’utiliser tous les moyens légaux pour éviter l’avortement. L’Église s’est constamment impliquée à l’hôpital. Le curé de la jeune fille s’est rendu chaque jour à cet hôpital distant de 230 kilomètres de Recife, sans compter les efforts qu’il a déployés afin que la jeune fille et sa mère perçoivent la présence de Jésus, le Bon Pasteur, qui va à la rencontre de ses brebis qui ont le plus besoin d’être secourues ». Ainsi le cas a été considéré avec toute l’attention nécessaire de la part de l’Église et non pas « hâtivement »…

Interrogé par les journalistes, le mardi 3 mars, veille de l’avortement, l’archevêque, parmi d’autres propos qu’il eût fallu aussi rapporter, a précisé, à la suite d’une question posée, que l’avortement entraînait automatiquement une excommunication pour les catholiques ayant engagé leur responsabilité dans un tel acte. En clair, cela signifie qu’il n’est pas nécessaire d’annoncer officiellement une sanction ayant pour but non seulement de souligner la gravité de l’acte commis mais aussi de susciter de profonds regrets appelant le pardon de Dieu. En apportant une telle précision, l’archevêque n’avait nullement l’intention d’accabler ou de rejeter les personnes concernées. Il voulait seulement attirer l’attention sur le fait qu’il est dramatique, dans un pays où les catholiques sont largement majoritaires, « qu’il y ait chaque année un million de vies innocentes fauchées ». La déclaration ajoute qu’un silence de l’archevêque aurait pu être interprété comme une forme de d’indifférence ou même de complicité à l’égard d’un drame interpelant toutes les consciences. Par ailleurs, il précisé que « les médecins avorteurs ont réalisé l’avortement en connaissance de cause et conformément à ce qu’ils croient et enseignent. Ils ont déclaré dans les médias brésiliens qu’ils ont fait et continueront à faire, avec beaucoup de fierté, ce à quoi ils sont habitués. »

Est-il nécessaire d’ajouter que l’excommunication n’a jamais concerné la fillette car, et cela est évident pour tous, elle n’était aucunement en mesure de faire en ce domaine des choix responsables. Elle est une victime dans tous les sens du terme.

Que penser de la médiatisation à outrance d’une affaire très pénible ?

Appuyée sur des informations partielles, pour ne pas dire tronquées, cette médiatisation outrancière pose une sérieuse question. Quel est le but visé ? A ce propos, je me contente seulement de remarquer qu’une telle médiatisation a eu pour effet d’exposer à la vindicte publique certaines autorités religieuses dont les intentions ont été déformées au point de faire paraître odieux leur comportement.

Quelles conclusions tirer ?

Pour quiconque réfléchit, il y en a beaucoup. Énumérons-en quelques-unes : 

  •  On peut à juste titre s’interroger sur les véritables mobiles de plusieurs grands médias. A l’avenir, observons une honnête prudence avant de nous livrer à des jugements qui, pour être les plus justes possibles, ont besoin d’être fondés sur des enquêtes sérieuses, notamment auprès de divers témoins directs. 
  •  La légalisation de l’avortement pose un très grave problème à la conscience humaine et à la conscience chrétienne. Le « légal » et le « moral » ne coïncident pas toujours, comme nous le rappelle déjà une tragédie de Sophocle… 
  •  Prenons grand soin de toujours distinguer l’acte posé et la responsabilité de celui qui le commet. A ce sujet, il est important de rappeler ceci : l’Église n’a cessé d’affirmer que la miséricorde de Dieu est toujours proposée à celui qui se repent d’un acte ayant engagé de manière négative sa responsabilité. La miséricorde divine renouvelle le cœur, inspire le ferme propos de ne plus recommencer, suscite enfin la volonté de réparer ce qui doit et peut l’être.

En terminant, qu’il me soit permis une réflexion personnelle. Il me paraît urgent, dans mon diocèse en particulier, que nos communautés chrétiennes prêtent une attention particulière à la profonde détresse des femmes ayant vécu le drame de l’avortement. Avant de tenir des discours, si nécessaires soient-ils, sur un sujet très douloureux, efforçons-nous d’ouvrir notre cœur par une écoute humble et aimante. Tendons aussi une main secourable et efficace en prenant diverses initiatives concrètes. L’Évangile nous indique la route à suivre, celle d’une vraie compassion qui redonne espérance.

+ Henri Brincard 
Evêque du Puy-en-Velay