Mercredi 20 juin 2012, Mgr Brincard, a présidé une messe pour les avocats du barreaux du Puy et les personnes travaillant au service de la justice, en la cathédrale du Puy-en-Velay. Voici le texte de l’homélie qu’il a prononcée en cette occasion.
Mesdames et messieurs les chefs de juridiction,
Mesdames et messieurs les Magistrats,
Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats,
Mesdames et messieurs les avocats,
Le personnel des greffes,
En ce haut-lieu de prière et d’espérance, une espérance fondée avant tout sur la miséricorde de Dieu, je tiens à vous saluer respectueusement et à vous souhaiter de trouver pendant notre célébration eucharistique le « supplément d’âme » dont nous avons tous le plus grand besoin.
Je suis plein de gratitude envers ceux et celles qui servent notre recueillement de bien des manières mais notamment par la beauté des chants.
Patron des hommes de loi, saint Yves a mené une vie frugale et austère. En un mot une vie de grande simplicité reflétant la pauvreté de cœur que Jésus loue dans l’Evangile : « Il s’est fait une bourse qui ne s’use pas, il s’est fait un trésor inépuisable dans les cieux » . Sa vie nous pose la question ô combien actuelle : où est notre trésor, où est notre cœur ?
Dans le respect de votre indépendance, permettez-moi d’aborder avec vous la conscience du Magistrat. Une autre fois, nous pourrions nous livrer à quelques considérations sur la conscience de l’avocat et pourquoi pas, un jour – et ce sera tout profit pour moi – sur la conscience de l’homme d’Eglise. J’aborde ici une question vaste, si vaste que je suis dans l’obligation de me contenter seulement de trois observations que je livre à votre réflexion. Je serai d’ailleurs heureux de profiter de celle-ci.
La justice ne peut être rendue sereinement si celui qui l’exerce est habité par une volonté de puissance. Comme tout un chacun, le juge est donc appelé à l’anéantissement non pas de sa conscience mais de son « moi ». Toutes réactions personnelles négatives, comme la colère, l’envie, la jalousie, voire l’indignation elle-même, doivent être prescrites.
En second lieu, le juge non seulement ne doit pas tenir compte de ce qu’il ressent mais il ne peut pas davantage tenir compte de l’identité sociale de ceux qu’il juge. Il lui certes possible trouver des circonstances atténuantes mais il lui faut juger les faits et les mobiles et non pas l’identité de celui qui est soupçonné. C’est dire aussi que le juge est appelé à être impartial et ce quel que soit son sentiment sur l’ordre de la société. Il est en effet au service de la justice. Il ne peut donc être l’agent d’une quelconque idéologie ou pire encore le jouet d’une vengeance sociale.
A notre époque où malheureusement la justice ne se rend plus sous un chêne mais sous le regard des média, le juge a le devoir de tenir compte de l’irruption de ce cinquième pouvoir. Il rend la justice avec la même rigueur quel que soit l’individu soupçonné ; il prend garde à ce que les mâchoires d’acier du Léviathan médiatique ne viennent dévorer celui qui comparaît devant lui avant même que justice ne soit rendue.
Une question se pose. Si telles sont les exigences d’une justice impartiale et il y en a bien d’autres, comment celui qui la rend avec compétence, peut-il y faire face sans changer son cœur ? Un tel changement a pour nom « la conversion ». Ici le chrétien demande à Dieu la force pour servir avec équité les hommes vis-à-vis desquels il exerce un pouvoir aussi nécessaire que redoutable.
A présent, je voudrais insister sur un point qui m’interpelle autant que vous : si la conscience en tout homme est un juge souverain qu’il faut certes éclairer mais toujours suivre, il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui cette conscience est menacée d’un nouveau et très grand péril. En effet, quiconque veut placer sa conscience au-dessus de toute autre considération est inévitablement confronté à un problème soulevé avec pertinence par Jean-Paul II : « L’introduction de législations injustes place souvent les hommes moralement droits en face de difficiles problèmes de conscience en ce qui concerne les collaborations, en raison du devoir d’affirmer leur droit à ne pas être contraint de participer à des actions moralement mauvaises. Les choix qui s’imposent sont parfois douloureux et peuvent demander de sacrifier des positions professionnelles confirmées ou de renoncer à des perspectives légitimes d’avancement de carrière… Refuser de participer à la perpétration d’une injustice est non seulement un devoir moral mais aussi un droit humain élémentaire. S’il n’en était pas ainsi, la personne humaine serait contrainte à accomplir une action intrinsèquement incompatible avec sa dignité. Ainsi la liberté même de la personne humaine, liberté dont le sens et la fin authentique résident dans l’orientation vers la vérité et le bien, en serait radicalement compromise » .
En écho à ces fortes paroles qui nous interpellent tous – et moi le premier – je veux citer en terminant un propos de Mgr Julian Herranz qui, en son temps, fut membre du Tribunal suprême pour la Signature apostolique et Président du Conseil pontifical pour les textes législatifs : « On pourrait dire aujourd’hui, comme jamais dans le passé, la science du droit et la conscience même des législateurs et des juges se trouvent à un carrefour, à un croisement décisif. Le tout est de s’engager à ce carrefour sur la bonne voie. La bonne voie, en marge de toute opposition entre « culture laïque » et « culture catholique », entre « morale publique » et « morale privée », ne peut être autre que celle de l’invitation adressée naguère par Jean-Paul II à tous les hommes de bonne volonté : s’engager loyalement pour défendre aux différents niveaux de la société humaine, « la structure morale de la liberté » c’est-à-dire dans le cas qui nous intéresse, « la structure morale du droit dans une société libre ».
Saint Yves, tant que tu as vécu parmi nous,
tu as été l’avocat des pauvres,
le défenseur des veuves et des orphelins,
la providence de tous les nécessiteux ;
écoute aujourd’hui notre prière.
Obtiens-nous d’aimer la justice comme tu l’as aimée.
Fais que nous sachions défendre nos droits,
Sans porter préjudice aux autres,
En cherchant avant tout la réconciliation et la paix.
Suscite des défenseurs qui plaident la cause de l’opprimé
Pour que « justice soit rendue dans l’amour ».
Donne-nous un cœur de pauvre,
capable de résister à l’attrait des richesses,
capable de compatir à la misère des autres,
et de partager ».
+ Henri Brincard
Evêque du Puy-en-Velay