Allocution de Mgr Henri Brincard, pour les fêtes du 15 août 2011.
Chers amis,
En ce jour de fête qui remplit nos cœurs d’espérance, votre présence à l’évêché honore grandement le diocèse que j’ai le privilège de servir depuis de nombreuses années. Je suis heureux aussi de ce moment d’amitié.
« Au terme de sa vie terrestre, l’Immaculée, Mère de Dieu a été élevée en son âme et en son corps à la gloire du ciel ». Telle est la foi de l’Église, telle est la foi catholique. Ainsi que le chante la liturgie : « Dieu a préservé de la dégradation du tombeau le corps qui avait porté son propre Fils et mis au monde la vie ». Comme le proclame encore la liturgie de ce jour : « Nous contemplons aussi en Marie, celle qui partage le triomphe du Christ sur la mort et règne pour toujours avec lui ». Cette contemplation est source de joie et d’espérance car « Marie est la parfaite image de l’Église à venir, l’aurore de l’Église triomphante ».
La fête d’aujourd’hui nous aide à nous souvenir de notre destinée et donc du sens de notre pèlerinage sur la terre. L’Assomption de la Vierge Marie rappelle enfin l’éminente dignité de notre corps, appelé à devenir dans la gloire du ciel le resplendissement de notre âme.
Cher frère dans l’épiscopat,
Venu à mon invitation célébrer au Puy les fêtes de l’Assomption, votre présence parmi nous est une grâce renforçant de manière heureuse notre communion missionnaire.
Votre pays natal est le Liban. Vous êtes en effet né dans un village du diocèse de Byblos au sein d’une famille maronite, la plus importante communauté catholique du Liban.
Au sein de l’ordre des Carmes Déchaux auquel vous appartenez, vous avez occupé de hautes fonctions. Puis, en 2001, vous avez été nommé Archevêque de Bagdad des Latins. Votre modestie dût-elle en souffrir, je tiens à saluer votre courage, votre bienveillance envers tous et un sens aigu du dialogue évangélique. Veillant avec sollicitude sur le peuple qui vous est plus spécialement confié, vous êtes aussi auprès de tous un serviteur inlassable de la paix fondée sur la justice et le respect mutuel.
Par votre exemple et par des enseignements remplis de sagesse, vous nous montrez le chemin d’un dialogue fructueux avec les musulmans. En nos pays d’Occident, trop souvent aveuglés par des idolâtries qui mettent à mal tant les relations humaines que le respect du faible ou du plus petit, votre témoignage nous aide à ne pas oublier que la foi en Jésus-Christ a un rôle spécifique pour servir la vraie paix entre les hommes. Permettez-moi à présent de développer ce point d’une grande actualité. Je me limiterai cependant à quelques considérations au sujet de la foi chrétienne.
Lors du premier Noël, les anges, ceux qui adorent jour et nuit la Face Dieu, ont entonné cette louange : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur terre aux hommes que Dieu aime ». Par sa venue, le Fils de Dieu, le Verbe fait chair, Jésus-Christ apporte au monde la paix, c’est-à-dire une plénitude de vérité et d’amour, source d’une nouvelle communion des hommes avec Dieu et des hommes entre eux. Cette communion a été scellée à la croix. À la Pentecôte, l’Église en devient la servante. Depuis, ce service constitue une partie essentielle de sa mission, mission qu’elle accomplit fidèlement, malgré la fragilité de ses membres.
Celui qui est mort et ressuscité pour que « le monde ait la vie en abondance », condamne avec la plus grande netteté la violence qui outrage Dieu en ceux qu’elle détruit. Jésus-Christ a même fait du pardon le chemin nécessaire d’une paix durable et d’une unité véritable.
C’est dire que si, en certaines circonstances, le recours à la force est parfois nécessaire, surtout si la responsabilité du bien d’une communauté est en jeu, il n’est cependant jamais permis à quiconque se disant disciple du Christ de recourir à la vengeance, ni même d’observer la loi du talion. Au cours de l’histoire, nombreux ont été les disciples du Crucifié qui ont suivi les enseignements de leur Maître jusqu’à donner leur vie pour leurs frères. Le martyr est celui qui, en versant son sang, déverse sur le monde les torrents d’amour contenus en son cœur. Et c’est ainsi que l’Évangile a bouleversé en profondeur les âmes.
À côté de la cohorte innombrable des martyrs et des saints qui, tel François d’Assise, ont éclairé le monde en se consumant au service des petits et des délaissés, il y a aussi les faiblesses et les misères qui ont marqué le cheminement chrétien à travers les siècles. Parmi ces faiblesses, la plus grande est de courtiser les puissances temporelles au point de trahir le message de l’Évangile. Lorsque la foi se laisse « instrumentaliser » par ceux qui détiennent le pouvoir temporel, cette foi sert des intérêts qui ne sont plus les siens. Inévitablement, elle deviendra alors cause de scandales et de funestes divisions. En France, au XVIème siècle, les guerres de religion en fournissent un tragique exemple. En revanche, au nom de sa mission, la religion chrétienne unit profondément les hommes. Cette unité est construite par les moyens que l’Évangile propose.
Au milieu de nous, cher frère dans l’épiscopat, votre présence est tonifiante. En effet, par votre exemple et par vos paroles, vous nous invitez avec une douce énergie au courage apostolique, courage dont le pape Benoît XVI, en une brève et percutante formule nous a rappelé l’importance : « C’est précisément sur la base du courage d’évangéliser que se mesure l’amour des croyants pour le Seigneur ».
La relation d’amitié et de confiance que nous voulons nouer avec les musulmans peut donc être utilement mise à profit pour témoigner de la foi et de l’espérance qui nous habitent. Les musulmans étant généralement sensibles au religieux et ayant le sens du sacré, il est indispensable que notre foi soit clairement manifestée et que nous soyons fidèles à la prière et à la pratique religieuse. Ne l’oublions pas : ce que nous sommes est plus important que ce que nous faisons et ce que nous faisons doit manifester ce que nous sommes. Soulignons également que le désintéressement et la gratuité touchent les cœurs. De telles attitudes auront d’autant plus d’impact qu’elles reposeront sur l’enracinement explicite dans la foi en Jésus-Christ sans en rester simplement au niveau de l’altruisme.
Avant-hier soir, en vous écoutant nous parler des rapports que doivent entretenir pour le bien de la société humaine le politique et le religieux, je me suis posé la question suivante : « Le rôle du politique est-il d’accompagner les évolutions de la société ? » Il apparaît clairement qu’il faut répondre non. En effet, l’homme politique, au grand sens du terme, préfère toujours sa conscience et des convictions solidement établies à la recherche d’un pouvoir aimé pour lui-même. Mais me direz-vous : « Ai-je le droit comme homme public d’imposer mes convictions chrétiennes à autrui ? » Il y a une chose certaine : nul ne peut jamais, et donc en aucune circonstance, agir contre sa conscience pourvu que celle-ci soit éclairée par une recherche constante de la vérité. Nous savons aussi que le premier guide de la conscience humaine est la raison droite. Ne jetant pas à la contradiction mais au mystère, la foi au Christ assume sans difficulté cette conscience.
Respecter les valeurs fondamentales, telles que celle de la dignité de la personne humaine, est une exigence pour tous que l’on soit chrétien, musulman ou agnostique. Cependant, le chrétien, grâce à la lumière de la foi, approfondit ces valeurs en leur donnant une profondeur nouvelle dans la lumière du Sauveur du monde. La foi chrétienne offre un soutien précieux à l’homme politique qui a le bonheur d’en vivre, sans pour autant imposer ses exigences spécifiques à ceux dont l’homme politique a la charge au nom du bien de tous.
En élargissant le débat, Jean-Paul II nous rappelait qu’une démocratie dont les assises ne sont pas fondées sur une juste conception de la grandeur de l’homme est une démocratie vouée à disparaître après avoir semé derrière elle ruine et larmes. En effet, « une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois comme le montre l’histoire » . Alors nous comprenons mieux pourquoi une majorité politique n’a pas le pouvoir de décider du bien et du mal moral. En certains domaines, l’opinion du plus grand nombre, opinion souvent façonnée par les groupes de pression, ne peut être la référence ultime orientant les lois vers le vrai bien de la société. Il y a des lois déraisonnables et donc injustes ! À cet égard, l’histoire du siècle dernier fourmille d’exemples tragiques. Il est sage de ne jamais l’oublier car notre conscience, éclairée par la raison et par la foi au Christ, nous fait un grave devoir de combattre de telles lois.
À tous et à toutes, je souhaite une sainte et belle fête de l’Assomption !
+ Henri Brincard Évêque du Puy-en-Velay