Mgr Brincard fait partie des évêques français appelés à l’épiscopat par le bienheureux Jean-Paul II. Aussi participera-t-il à sa béatification, le 1er mai prochain à Rome. Il propose une réflexion sur les liens entre la piété mariale de Jean-Paul II et sa sainteté.

Au cours de mon épiscopat, j’ai eu plusieurs occasions de rencontrer Jean-Paul II : visites ad limina, messes privées, audiences… Le secret de la sainteté du bienheureux Jean-Paul II ne réside-t-il pas, en partie, dans sa piété mariale, lui qui avait tenu à mettre le grand « M » de Marie dans ses armes papales, signe qu’il désirait placer son pontificat sous le signe de la Mère de Dieu ?

Découverte progressive

Sa découverte progressive de l’importance du mystère de Marie dans l’économie du salut est assez tardive puisqu’elle date de l’époque de sa préparation clandestine au sacerdoce. Jusque là, il se tenait en retrait de la dévotion mariale craignant qu’elle ne lui masque le mystère central de notre foi, celui du Christ. Ecoutons-le dire lui-même : « J’étais déjà convaincu que Marie nous conduit au Christ, mais alors je commençai à comprendre aussi que le Christ nous conduit à sa mère. Il y eut une période où je remis en cause dans une certaine mesure mon culte pour Marie… Oui, Marie nous rapproche du Christ, nous conduit à lui à condition que l’on vive son mystère dans le Christ  » (1). Jean-Paul II reprendra à plusieurs reprises et sous diverses formes cette intuition spirituelle très profonde : « l’authentique dévotion à la mère de Dieu est véritablement christocentrique  » (2). Marie nous conduit au Christ et elle nous guide sur le chemin de la sainteté. 
Au cours de ses années de formation, Karol Wojtyla comprendra de mieux en mieux à quel point le mystère de Marie est au cœur du plan de Dieu. En effet, depuis le concile d’Ephèse, en 431, l’Eglise reconnaît à Marie le titre de « Mère de Dieu » signifiant ainsi que le Fils de Dieu a voulu prendre d’elle sa nature humaine. Cette maternité inouïe a eu un prolongement à la croix : au moment même où s’accomplit le salut du monde, Jésus dit à sa mère, en désignant l’apôtre Jean : « Femme, voici ton fils ». Marie devient alors « la mère des vivants » (3), «  notre mère dans l’ordre de la grâce » (4).

L’étape du Concile

Le concile Vatican II a souligné la grandeur de cette maternité divine. Plus que d’autres, le cardinal Wojtyla, qui a collaboré à l’élaboration de plusieurs textes majeurs du concile, sera attentif à mettre en lumière, pour notre temps, le mystère de Marie, mère de Dieu et mère des hommes. Devenu pape, Jean-Paul II poursuivra l’approfondissement du rôle de Marie dans la vie chrétienne. De sa première encyclique « Le Rédempteur de l’homme » à la Lettre apostolique « Au début du nouveau millénaire », la cohérence de sa pensée est totale. 
Sa piété mariale ainsi que les actes majeurs de son pontificat s’inscrivent dans le droit fil de Vatican II : un appel pressant à la conversion et à la sainteté, fondé sur une foi christocentrique ayant une dimension mariale. En effet, si le Christ est « le centre du cosmos et de l’histoire » (5), s’il est « l’unique orientation de notre esprit, l’unique direction de notre intelligence, de notre volonté et de notre cœur  » (6), Marie, en raison de sa maternité, participe « au dessein divin du salut de l’homme, à travers le mystère de la Rédemption » (7). 
Mais la piété mariale, que Jean-Paul II renouvelle à la suite du dernier concile, ne transforme pas Marie en une sorte de déesse, ou d’archétype éthéré de la femme parfaite. Si Dieu comble Marie de grâces dès le premier instant de sa conception, lui donnant, à la croix, d’enfanter tous les hommes à la sainteté, cela ne signifie nullement que la Vierge « sauve le monde ». En effet, il n’y a qu’un seul médiateur et sauveur : le Christ, «  témoin fidèle, le premier né d’entre les morts, le chef des rois de la terre ». En revanche, la mère de Dieu accompagne l’Eglise sur son chemin ici-bas. Proche de chacun de nous, « son amour maternel la rend attentive aux frères de son fils dont le pèlerinage n’est pas achevé  » (8). Elle exerce cet amour de manière très concrète, comme seule une mère peut l’exercer à l’égard de ses enfants. Sur ce point encore, Jean-Paul II, loin de toute forme d’exagération sensible, reprend l’enseignement des pères conciliaires, avec des accents nouveaux, nous faisant ainsi comprendre à la fois l’éminente dignité de la Mère de Dieu et son extraordinaire proximité.

Au coeur des débats contemporains

Il convient cependant de mesurer la portée de cette maternité sur les hommes car elle peut éclairer un certain nombre de débats actuels. Par exemple, Jean-Paul II dans sa « Lettre aux femmes » (9) rappelle la place unique de la femme dans la mission de l’Eglise. Pour le comprendre, souvenons-nous d’une exclamation célèbre de saint Augustin : «  Celui qui a tout créé sans toi ne te sauvera pas sans toi ! » Qu’est-ce que cela signifie, sinon qu’en Marie, l’humanité est pleinement associée au salut ? Mais ce don de Dieu à Marie fait d’elle, par excellence, « la parfaite Servante du Seigneur ». C’est dire qu’elle occupe aussi la première place parmi les humbles et les petits : «  Le Seigneur fit pour moi des merveilles, saint est son nom ! » 
Ainsi, Dieu accomplit, en Marie, un renversement total de perspectives, renversement qui, aux origines du christianisme, stupéfia le monde païen et nous déroute encore aujourd’hui. Marie nous apprend, en effet, que le plus important est d’aimer et non pas d’exercer un pouvoir trop souvent recherché pour lui-même. Or l’amour est accueil et don et, partant, source d’une communion qui apporte au cœur de l’homme une plénitude de joie et de paix. Si tel est l’amour, Marie, dans la création, en est le signe le plus éloquent. De ce fait, elle jette une lumière nouvelle sur le mystère de la femme, appelée à conduire l’homme jusqu’aux sommets du don de soi. Elle est vraiment, pour nous, la Mère du « Bel amour » et de la « Sainte espérance » renouvelant sans cesse le cœur de ceux qui cherchent le secret de la sainteté. En Marie, le pouvoir est donné dans l’amour et par l’amour.

Consécration de l’Église à Marie

Le 8 octobre 2000, en présence de 1600 évêques, venus du monde entier, Jean-Paul II a confié l’Eglise à la Vierge Marie. J’étais présent sur la place Saint Pierre. Ce grand moment, inouï, me laisse un souvenir ineffaçable. Cet « affidamento » – qui, selon les termes mêmes du pape, a été un acte de « remise de l’Eglise et du monde entre les mains de Marie  » – participe de ce qu’on a pu appeler « la logique mariale » de son pontificat. En effet, Jean-Paul II – dans ses voyages comme dans ses discours ou ses écrits – ne cesse d’appeler l’Eglise et les hommes de bonne volonté, à la conversion et à la sainteté. Pour y parvenir le Christ nous donne sa mère et celle-ci nous redit comme à Cana : « Faites tout ce qu’il vous dira ! » En contemplant, avec Marie, la bonté infinie du Père exprimée dans le don de son Fils, le croyant découvre l’immensité de la tendresse de Dieu, une tendresse si bouleversante qu’elle suscite un désir quasi irrésistible de se jeter dans les bras d’un Dieu si grand et si aimant. N’en doutons pas, Marie, « la Toute Sainte » comme l’appellent nos frères d’Orient a puissamment contribué à la sainteté de Jean-Paul II !

+ Henri BRINCARD 
Evêque du Puy-en-Velay

1) Jean Paul II : « Ma vocation, don et mystère » 
2) Jean Paul II : « Entrez dans l’espérance » p. 307 Plon-Mame 
3) Vatican II, « Constitution sur l’Eglise » n°56 
4) Vatican II, « Constitution sur l’Eglise » n°61 
5) Le Rédempteur de l’homme n°1 
6) Le Rédempteur de l’homme n°7 
7) Le Rédempteur de l’homme n°22 
8) Concile Vatican II, Constitution sur l’Eglise, n°62 
9) « Lettre du Pape aux femmes » 1995