Homélie de Mgr Luc Crepy, évêque du Puy, à l’occasion du Pèlerinage de Souvigny, prononcée le 06 mai 2018.
Saint Mayeul, saint Odilon, Mère Teresa et nous tous, pèlerins de ce jour : qu’est-ce qui nous rassemble ici à Souvigny ? Qu’y-a-t-il entre nous et ces saints abbés qui ont marqué par leur foi et leur charité la fin du premier millénaire ? Qu’y-a-t-il entre nous et sainte Teresa de Calcutta qui donna sa vie aux plus pauvres au siècle dernier ? Qu’est-ce qui nous réunit à ces grands témoins de l’Eglise, en cette belle et majestueuse prieurale Saint Pierre – Saint Paul ? Ce qui nous unit, ce qui nous rassemble ainsi, à travers les siècles et encore aujourd’hui, c’est notre foi au Christ ressuscité qui nous commande d’aimer : « Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres. » (Jn 15,17) Aimer, et toujours aimer un peu plus, un peu mieux… telle est la vocation de tout être humain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, comme saint Jean nous le rappelle : « Aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. » (1 Jn 4,7) Oui, nous savons tous, parfois confusément, que le bonheur de chacun de nous, comme celui de toute l’humanité, ne peut se construire sans la recherche incessante d’un amour plus vrai et plus fort entre les personnes.
Mais comment aimer ? Qu’est-ce qu’aimer librement, en vérité et en accueillant le prochain qui se présente à nous, non pas comme nous le rêvons mais comme il est, parfois sale, pauvre, malade, seul ou fatigué par la vie ? Aimer risque souvent de ne rester qu’un simple mot, facile à prononcer mais difficile à mettre en pratique. Dans l’amitié, la vie de couple, les relations professionnelles, la vie sociale, nous savons qu’aimer n’est pas toujours facile et que le chemin de l’amour au quotidien est souvent rude. Si Odilon, Mayeul, Teresa et bien d’autres ont su avancer sur ce chemin de l’amour, c’est qu’au cœur de leur existence résonnait le commandement nouveau du Christ, qui éclaire toute pratique de l’amour du prochain : « Mon commandement, le voici : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » (Jn 15, 12) Tout change avec ce petit « comme » : il s’agit d’aimer comme Jésus aime, il nous faut apprendre à aimer comme lui, à sa suite, à sa manière, à son écoute. Le Christ nous invite à mettre nos pas dans les siens pour apprendre, jour après jour, à aimer comme Il aime. Comme l’écrit Mgr Percerou, à l’occasion de ce pèlerinage, il s’agit « de prendre la route de la main tendue et du cœur grand ouvert, car c’est la route que le Christ a empruntée. » Le Christ trace et écrit par sa vie et ses paroles le chemin de l’amour.
Oui, à la suite du Christ, nous apprenons à servir et aimer : Tes mains pour servir… ton cœur pour aimer… Ce thème de notre pèlerinage est une invitation à demander au Christ que nos mains et que notre cœur soient signes de son amour à l’œuvre aujourd’hui. Les documents très anciens, comme le Cartulaire de Cluny, nous rapportent que les généreux donateurs de l’abbaye disaient : « Je donne à Cluny où Odilon sert plus qu’il ne commande. » Odilon, cinquième abbé de Cluny, servait ses frères et servait les pauvres. Par ses mains ouvertes, il donnait généreusement et il se mettait au service du prochain. A la suite du Christ, lavant de ses mains, les pieds de ses disciples, Odilon se rappelait que régner, c’est servir, et servir le plus pauvre, c’est servir le Christ. Les mains tendues, sont aussi celles du Christ sur la croix se donnant totalement par amour pour tous.
Les mains tendues pour servir le prochain manifestent aussi la présence d’un cœur largement ouvert pour aimer. Comme le dit Mère Teresa, nous puisons notre force d’aimer dans le cœur même du Christ : « L’âme puise directement dans le cœur de Jésus les grâces que la vie active a la charge de distribuer. » Notre cœur, à lui tout seul, est faible et, comme le dit l’Ecriture, « le cœur de l’homme est compliqué et malade » (Jr 17,9). A l’écoute du Christ, nous convertissons notre cœur, nous nous laissons transformer de l’intérieur pour laisser de côté tout ce qui empêche vraiment d’aimer. Nous accueillons l’Esprit Saint qui, seul, peut nous faire connaître combien Dieu nous aime, et faire d’un cœur de pierre, un cœur de chair. Comme dirait saint Jean Eudes, la vie chrétienne permet peu à peu à notre cœur de ne faire qu’un avec le cœur de Jésus, afin que les deux cœurs, unis l’un à l’autre, nous fassent demeurer dans son amour : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. » (Jn 15,9)
Tes mains pour servir… ton cœur pour aimer. Ouvre tes mains comme le Christ a ouvert les siennes au service de ses frères ! Ouvre ton cœur comme le Christ a ouvert le sien sur la croix, par amour pour tous ! Voilà ce à quoi nous appelle le Seigneur aujourd’hui. Chaque pèlerinage est un temps de grâce et de joie où le Christ nous rejoint sur la route de notre vie et nous redit qu’il est à nos côtés, même si nous l’oublions parfois ou si nous avons du mal à le reconnaître comme les pèlerins d’Emmaüs. Jésus nous appelle : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. » (Jn 15,16) Puissions-nous repartir de Souvigny en faisant fructifier ce que nous avons reçu aujourd’hui, ce commandement nouveau donné par Jésus : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Demandons à saint Mayeul et saint Odilon de nous aider, avec quelques mots de la prière souvent récitée dans ce beau sanctuaire :
Ô saint Mayeul et saint Odilon, Infatigables témoins de l’Evangile Sur les routes de votre temps, Conduisez-nous aujourd’hui encore Vers le cœur de Jésus Sauveur. Amen.