le 14 août 2016

Pour les Fête de l’Assomption et la clôture du jubilé, Mgr Crepy évêque du Puy, s’est adressé aux autorités civiles.

Mesdames, Messieurs, chers Amis,

Je vous remercie très chaleureusement d’avoir répondu à mon invitation et d’être présents aujourd’hui à l’évêché pour ce temps convivial à l’occasion de la clôture des fêtes jubilaires du Puy et en cette veille de la fête de l’Assomption. Je saisis cette occasion pour exprimer ma vive reconnaissance à tous ceux qui ont oeuvré avec dévouement et compétence afin que le jubilé de Notre‐Dame du Puy se déroule dans de bonnes conditions. Je remercie en particulier Monsieur Eric Maire, Préfet de Haute‐Loire, et Monsieur Michel Chapuis, Maire du Puy, ainsi que leurs services, pour leur aide et leur soutien si efficaces. Je ne peux tous vous nommer mais le Jubilé n’aurait pas pu accueillir tant de personnes sans votre concours efficace.

Bien qu’il ne soit pas encore présent parmi nous, je tiens aussi à exprimer ma grande reconnaissance au Cardinal Beniamino Stella, Préfet de la Congrégation pour le Clergé qui nous fait la joie de venir de Rome présider ces fêtes.

Je garde la tradition de mon prédécesseur, Mgr Henri Brincard, d’adresser la parole à ses invités, tout particulièrement aux autorités civiles, lors des fêtes mariales. Je me permets donc de vous partager quelques points de réflexion au sujet de l’actualité. Tout d’abord, au terme de cette première année d’épiscopat, je vous entretiendrai de ce que je retiens des visites pastorales effectuées dans l’ensemble des paroisses du diocèse. Puis, quelques mots sur le dialogue inter‐religieux si nécessaire, comme l’ont montré les réactions suscitées par l’assassinat du P. Jacques Hamel à Saint‐Etienne‐du Rouvray. Enfin, quelques paroles ayant trait à la contribution que les évêques de France et de nombreux catholiques, guidés en particulier par la Doctrine sociale de l’Eglise, ont cherché à apporter au débat politique à l’approche de l’élection présidentielle.

Renouveler et raviver une Eglise de « proximité » dans notre diocèse rural

Le diocèse du Puy a été marqué, cette année, par le Jubilé de Notre‐Dame du Puy, vécu en trois étapes. La première étape a été l’organisation, dans les paroisses, d’un temps de mission ouvert à tous, c’est‐à‐dire un temps d’annonce de l’Evangile par des spectacles, des conférences, des célébrations, et des activités diverses. Il s’agissait de réveiller quelque peu la vie des communautés catholiques, en les interrogeant : qui sommes‐nous ? Que faisons‐nous aujourd’hui, en Eglise et dans la société ? Que voulons‐nous pour demain ? Ces questions ont nourri les échanges et la réflexion, lors des visites pastorales que j’ai menées comme nouvel évêque. C’était la deuxième étape. Enfin, la dernière étape a été la démarche jubilaire à la cathédrale, vécue par de nombreuses personnes, qui, en famille ou en paroisse, sont venues prier Notre‐Dame du Puy. Il me semble que cette triple démarche a favorisé chez beaucoup de personnes, un ressourcement de la foi, un regard réaliste sur la vie de l’Eglise en Haute‐Loire, et en particulier sur leur propre communauté paroissiale, et enfin la prise de conscience qu’il est nécessaire de penser ‐ d’inventer ‐ la vie de l’Eglise dans le monde rural, d’une nouvelle manière… non pas comme on la rêve mais dans la situation actuelle avec ses joies et ses difficultés. S’il y a un mot que je retiens de ces visites dans notre beau département – jusque dans des villages isolés où personne ne pensait que l’évêque viendrait – et surtout de ces rencontres avec les paroissiens, les divers acteurs économiques, sociaux et culturels, les élus locaux – j’ai rencontré sans doute neuf maires sur dix ‐, c’est le terme « proximité ». Il est revenu très souvent et de bien des manières dans les échanges que j’ai eus avec tous. Les élus locaux s’inquiètent de la disparition des services dits – justement – de proximité : boulangerie, épicerie, bureau de poste, école… Qu’allons‐nous devenir s’interroge bon nombre de nos concitoyens ? La mise en place des communautés de communes suscite aussi bien des questions : comment tenir ensemble la dimension locale, riche de son identité et la dimension intercommunale, qui offre, certes, entraide et mutualisation des moyens, mais qui s’étend sur des dizaines de communes ? Tous ces constats – et d’autres encore… on pourrait parler ici de la place des agriculteurs – manifestent que le monde rural vit aujourd’hui une situation difficile. La campagne, où parfois la désertification est forte, va‐t‐elle devenir un espace abandonné de tous ou bien, au contraire, est‐ce que le monde rural – qui en certains endroits attire de nouveaux résidents ‐ est une chance pour inventer aujourd’hui un nouveau « vivre ensemble » ? Dans le rural, bien des personnes prennent des initiatives intéressantes : elles mettent en avant la qualité de vie qui favorise la connaissance mutuelle, un renouvellement des relations, et une convivialité n’ayant rien à envier à la vie citadine.

Mon propos n’est pas d’apporter une réponse à ces questions complexes auxquelles beaucoup d’entre vous s’intéressent sûrement. Si je me permets d’en parler, c’est parce qu’au fil de mes rencontres avec les communautés paroissiales, j’ai constaté que la vie ecclésiale affronte des problématiques très proches. Autrefois, chaque village avait son curé qui assurait bien des tâches de la vie pastorale. Le dimanche matin, les cloches sonnaient dans la commune et tous savaient que c’était l’heure de la messe, avec la vie sociale qui y est associée : rencontre entre habitants, activités dans les commerces – y compris les bars du village ! ‐, animation autour de l’église. Par ailleurs, il était facile de rencontrer les prêtres, présents dans chaque commune, parfois même dans de petits hameaux dont l’ancien presbytère est toujours visible. Et que dire des nombreuses communautés religieuses – les écoles tenues par les soeurs, en particulier – disséminées un peu partout dans la campagne ? N’oublions pas les Béates, présence chrétienne bien originale en Haute‐Loire, dont les maisons d’assemblée, souvent encore très bien entretenues aujourd’hui, rappellent la présence.

Mais la situation a changé : les vocations de prêtres sont peu nombreuses, les paroisses sont devenues des ensembles paroissiaux, regroupant plusieurs communes et animés souvent par un ou deux prêtres, les messes dominicales ne sont plus assurées partout chaque semaine… et les mêmes questions reviennent : « Alors, Père évêque, est‐ce que l’Eglise va aussi nous abandonner ? Après les commerces et les administrations, est‐ce que l’Eglise va aussi quitter la commune ? Va‐t‐elle abandonner les campagnes pour s’établir uniquement dans les villes ? » Ou encore : « Est‐ce que vous allez nous donner des prêtres ? »… Les paroissiens ne sont pas les seuls à poser ces questions, car la vie d’une paroisse, est pour beaucoup, quelles que soient leurs convictions religieuses, un réseau de relations, d’entraides, de dynamisme dans la vie locale.

Cependant j’ai aussi rencontré bien des chrétiens qui ne désespèrent pas, mais au contraire prennent bon nombre d’initiatives manifestant la vitalité de l’Eglise dans le monde rural. Il convient de souligner que l’Eglise ne peut se définir comme « service de proximité du religieux », car l’Eglise est constituée de personnes ‐ les baptisés ‐ qui se sentent responsables de leur communauté paroissiale et plus largement de la vie du diocèse. La vie chrétienne ne se limite pas à la messe dominicale, aussi importante soit‐elle, mais elle se déploie déjà dans toute la vie familiale, professionnelle et sociale. La vie paroissiale, elle non plus, ne se réduit pas à la célébration de l’eucharistie ; elle s’exprime dans toutes les relations d’une communauté qui prie, partage et vit sa foi au quotidien, « au plus près du terrain ». Nombre de communautés, parfois de petite taille et dans de petits villages, ont ce souci d’entretenir la flamme d’une présence chrétienne et de la proposer de bien des manières, souvent discrètes, à commencer par l’ouverture de l’église, les propositions de partage sur l’Evangile, de groupes de prière, de formation catéchétique aux enfants, de temps festifs, etc.

Afin de se rendre présente dans les campagnes et les villes, l’Eglise a toujours cherché à inventer de nouvelles expressions de vie chrétienne. Dans les années qui viennent, nous aurons ainsi à repenser l’organisation des paroisses, la répartition des prêtres, la place des laïcs, etc. Au bout d’un an d’épiscopat, demeurer proche de tous dans notre vie en Eglise m’apparaît être un critère prioritaire pour guider nos choix.

Ne pas céder à la peur et oser le dialogue interreligieux

La mort du P. Jacques Hamel demeure aujourd’hui bien présente à notre esprit. Pour les catholiques, c’est un des leurs, un prêtre âgé, plein de bonté, célébrant la messe, qui a été honteusement assassiné. Ce meurtre a marqué la mémoire des musulmans, car cet acte barbare et injuste qu’ils condamnent porte atteinte à leur religion dont les extrémistes se réclament. Cette mort demeure aussi dans la mémoire des hommes et des femmes de bonne volonté, croyants ou non, qui rejettent cette violence extrême faite à un innocent. Au‐delà de la sidération provoquée par cet acte, la mort du P. Hamel – contrairement à ce qu’attendaient les terroristes ‐ a ouvert, dans notre pays, la porte à des dialogues jusqu’alors improbables et à des rencontres simples entre personnes de religions différentes.

Dans le monde, beaucoup de personnes – et de chrétiens – meurent à cause de leur foi et nous n’y prêtons pas toujours attention. Cependant, ici en France, cet événement a pris une tonalité particulière : quelque chose de surprenant et de beau s’est joué dans les jours qui ont suivi cet attentat. Tout ne sera désormais plus comme avant : des gestes ont été posés, des paroles ont été échangées entre croyants de différentes religions. Une volonté commune de condamner les extrémismes religieux s’est affirmée ; des initiatives ont exprimé une ferme volonté de développer une meilleure connaissance commune et d’oeuvrer ensemble pour plus de paix.

Tertullien, un des Pères de l’Eglise au IIème siècle, affirmait que « le sang des martyrs est semence de chrétiens » soulignant ainsi la fécondité du témoignage de ceux qui donnent leur vie jusqu’au bout. Dans son homélie, Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, disait : « Il ne m’appartient pas de déclarer « martyr » le Père Jacques. Mais comment ne pas reconnaître la fécondité du sacrifice qu’il a vécu, en union avec le sacrifice de Jésus qu’il célébrait fidèlement dans l’Eucharistie ? Les paroles et les gestes nombreux de nos amis musulmans, leur visite, sont un pas considérable. » Souhaitons que le sang innocent du P. Hamel soit semence d’unité entre tous.

Le pape François disait en janvier dernier (06/01/16) : « « La majeure partie des personnes sur la terre se déclarent croyants, et cela devrait conduire à un dialogue entre les religions. C’est seulement à travers le dialogue que nous pourrons éliminer l’intolérance et la discrimination. Le dialogue interreligieux est une condition nécessaire pour la paix dans le monde. Nous ne devrions jamais cesser de prier pour cela et de collaborer avec ceux qui pensent différemment. […] Beaucoup pensent de façons différentes, entendent de manière différente. Ils cherchent Dieu ou trouvent Dieu différemment. Certains se disent agnostiques, ils ne savent pas si Dieu existe ou non. D’autres se disent athées. Dans cette multitude, cette ample gamme de religions et d’absence de religion, il n’y a qu’une seule certitude : nous sommes tous des fils de Dieu. »

L’élection présidentielle : quel projet de société ? Quelles priorités pour le bien commun et pour un vivre ensemble juste et solidaire ?

La politique est la forme la plus haute de la charité, car elle cherche le bien commun, affirmait saint Thomas d’Aquin. A sa suite, Pie XI et ses successeurs ont souvent repris cette affirmation soulignant les enjeux si importants de la conduite de la cité au service de tout homme et de tout l’homme. Le pape François exhortait récemment à Rome les étudiants des universités jésuites à ne pas se laver les mains comme Pilate, mais à s’engager en politique et à prendre des responsabilités dans la société civile en oeuvrant avec d’autres. Pour l’Eglise catholique, la politique est une activité noble et belle d’hommes et de femmes qui veulent se mettre au service de leurs concitoyens. C’est d’ailleurs ce que j’ai constaté tout au long de mes visites pastorales en rencontrant les maires et les conseillers des communes : un vrai sens du service, une attention à tous et souvent une passion pour leur commune. La Doctrine sociale de l’Eglise invite à mettre en oeuvre dans la vie politique les grands principes nécessaires à une société humaine, digne de ce nom : le bien commun, la destination universelle des biens, la subsidiarité, la participation des citoyens à la vie et aux décisions de la cité, la solidarité. Ces principes s’inscrivent dans un horizon plus vaste : celui de la vérité, de la liberté et de la justice auxquelles tout homme aspire. Et pour nous chrétiens, la voie de la charité demeure enfin l’ultime et suprême chemin de l’existence humaine : tout l’ordre social, économique, politique, peut être et doit être compris, interprété, changé, développé, à l’aune de la charité plutôt que des rivalités. Nous comprenons alors les affirmations successives des papes déclarant que la politique est l’expression la plus haute de la charité.

Les prochains mois vont être marqués par l’élection présidentielle et susciter une forte agitation médiatique. Ainsi les évêques de France, en juin dernier, ont souhaité contribuer au débat démocratique en apportant quelques pistes qui permettent aux électeurs, avant de se positionner sur un candidat, de réfléchir aux éléments nécessaires à un projet politique répondant aux attentes et aux besoins de nos concitoyens. Parmi les éléments proposés, je voudrais simplement en retenir trois : 

  • La solidarité : « La qualité humaine d’une société se juge à la manière dont elle traite les plus faibles de ses membres : ceux qui sont laissés au bord du chemin de la prospérité, personnes âgées, malades, personnes handicapées […] Une société vivante ne peut pas être la simple addition d’intérêts ou d’accords particuliers. Elle repose nécessairement sur la recherche du bien commun et la mise en oeuvre de moyens de solidarité efficace. C’est une des grandes responsabilités de l’État d’organiser cette solidarité, surtout dans les périodes de grandes difficultés économiques. » Et les évêques de souligner la grave crise du chômage, invitant les responsables « à gérer positivement la tension entre un libéralisme sans contrôle et la sauvegarde des mécanismes de protection sociale ». 
  • Les migrants : déjà le pape François dans son encyclique Laudato Si’ invitait tous les hommes de bonne volonté à construire, jour après jour, la maison commune que constituent notre planète et notre humanité, en soulignant que chacun doit pouvoir y trouver sa place. La question complexe, mais aussi tragique des migrants, et plus particulièrement des réfugiés, demeure posée aux responsables politiques de notre pays : comment se fait‐il que la France accueille si peu de réfugiés ? Les évêques écrivent ainsi : « Les événements dramatiques qui frappent les populations du Moyen‐Orient ou d’Afrique jettent sur les routes et sur la mer des centaines de milliers de réfugiés, véritables naufragés humains. Quand la Jordanie et le Liban reçoivent des millions de réfugiés, comment notre pays pourrait‐il reculer devant la perspective d’accueillir et d’intégrer quelques dizaines de milliers de ces victimes ? » Il n’y sûrement pas de « solution miracle » car la situation des réfugiés devient une question planétaire. Pour autant, ne faut‐il pas oser accueillir plus généreusement ? 
  • l’Europe : la volonté récemment exprimée par la Grande‐Bretagne de quitter l’Union Européenne ne laisse personne indifférent. Avant même cet événement important, le message des évêques soulignait que « le projet européen ne peut se poursuivre ni se développer sans une véritable adhésion des peuples d’Europe. Cette adhésion suppose de respecter davantage le fait historique et culturel des nations qui composent le continent. Une véritable pratique de la subsidiarité, telle qu’elle est inscrite dans ses textes fondateurs, serait une nouvelle chance pour l’Europe. »

Dans ce propos, comment ne pas entendre un écho du vibrant plaidoyer du pape François devant le parlement européen à Strasbourg en 2014 : « A l’Europe, nous pouvons demander : où est ta vigueur ? Où est cette tension vers un idéal qui a animé ton histoire et l’a rendue grande ? Où est ton esprit d’entreprise et de curiosité ? Où est ta soif de vérité, que jusqu’à présent tu as communiquée au monde avec passion ? De la réponse à ces questions, dépendra l’avenir du continent. […]. L’Europe doit réfléchir pour savoir si son immense patrimoine humain, artistique, technique, social, politique, économique et religieux est un simple héritage de musée du passé, ou bien si elle est encore capable d’inspirer la culture et d’ouvrir ses trésors à l’humanité entière. »

Ainsi la période électorale peut être une occasion privilégiée pour prendre du recul sur ce que nous vivons en France, en Europe et dans le monde ; une chance pour mettre en oeuvre – au regard des exigences évangéliques – une réflexion et un dialogue sur les changements (et les conversions) nécessaires pour répondre aux graves difficultés que rencontrent aujourd’hui tant de personnes, chez nous et ailleurs ; une opportunité pour promouvoir une action politique renouvelée, créative et plus généreuse.

Chers Amis, il y aurait bien d’autres sujets importants à aborder. Je souhaite que cette double année jubilaire – Jubilé de la Miséricorde et Jubilé du Puy – porte du fruit et suscite la réflexion et l’engagement des catholiques au service de leur prochain, aux côtés, bien sûr, de tous ceux et celles qui cherchent à contribuer, modestement mais sûrement, au bien commun et à un monde plus juste et plus beau. C’est ce que nous confierons ce soir et demain, dans notre prière, à Notre‐Dame du Puy.

Je souhaite à chacun de vous, une heureuse et belle fête de l’Assomption !