Homélie de la messe radiodiffusée sur RCF – Haute-Loire

« Il se fit reconnaître par eux à la fraction du pain » (Luc 24, 13-35)

L’espérance chrétienne : le Christ nous rejoint là où nous sommes

« Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » (Lc 24, 32) Avec un peu de recul, les deux disciples relisent ce qui leur est arrivé sur la route, quelques heures plus tôt. Ils se souviennent de cet homme qui les a rejoints et est venu marcher avec eux, comme cela se fait souvent ; par exemple sur le Chemin de Saint Jacques de Compostelle, on reste rarement seul. Puis il leur a demandé de quoi ils parlaient. Bien sûr, comme tout le monde, ils discutaient des évènements qui s’étaient passés, ces derniers jours, à Jérusalem. Surprenant d’ailleurs que ce voyageur ne semblait pas du tout au courant de ce qui faisait, comme on dirait aujourd’hui, le « buzz » de toutes les conversations, à savoir ce qui était arrivé à Jésus de Nazareth. Ainsi, il a fallu lui expliquer toute l’histoire de ce Jésus de Nazareth ; cette histoire qui malheureusement se terminait si tristement pour ses disciples, eux qui avaient cru en lui et qui pensaient qu’il allait délivrer Israël.

Et puis, chemin faisant, cet étrange marcheur s’était mis à leur parler longuement. Ils l’avaient écouté sans l’interrompre pendant deux heures, le temps d’aller jusqu’à Emmaüs. Il connaissait bien les Ecritures, et en particulier les Prophètes, ceux qui depuis des siècles annoncent la venue du Messie. Et justement, il leur a expliqué beaucoup de choses sur le Messie – le Christ –, combien il devait souffrir, avant d’entrer dans sa gloire. Tous les deux étaient, alors, bien loin de percevoir que ses propos parlaient de lui, ce voyageur inconnu. Cependant, ses paroles ne les laissaient pas indifférents, elles résonnaient en eux, elles rejoignaient quelque part ce qu’ils avaient vécu avec Jésus, elles touchaient – elles brûlaient – leur cœur. Mais lui, ils ne l’avaient pas reconnu tandis qu’il faisait route avec eux. Il a fallu ce repas où l’inconnu a béni puis partagé le pain, pour que leurs yeux s’ouvrent et qu’enfin ils le reconnaissent, lui Jésus, présent avec eux. Alors, il a disparu à leurs regards. Ils n’avaient pas su reconnaître le Ressuscité qui venait à leur rencontre. Sa présence avait pourtant rendu leurs cœurs – « lents à croire » – tout brûlants : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »

Dans l’évangile selon saint Luc, ce récit des disciples d’Emmaüs est le seul grand récit d’apparition du Christ ressuscité, avant qu’il soit présent, une dernière fois, parmi ses disciples et les envoie comme témoins de sa résurrection. Si c’est le seul grand récit après la résurrection, c’est sûrement pour l’évangéliste, une manière de nous dire, à nous, ses disciples d’aujourd’hui : « N’ayez pas peur, ne soyez pas tristes… le Christ vient à votre rencontre, il marche avec vous, il vous explique l’Ecriture. Vous ne le reconnaissez pas, mais soyez confiants car le Ressuscité n’abandonne pas ses amis et vient cheminer avec eux, hier comme aujourd’hui ! » Finalement, l’expérience des disciples d’Emmaüs est celle de tout disciple du Christ. C’est l’expérience des communautés chrétiennes à l’écoute de sa Parole et assidues au partage du pain. C’est l’expérience de des chercheurs de Dieu qui découvrent qu’Il n’est pas un Dieu lointain ou caché, mais un Dieu qui a pris figure humaine en Jésus et qui vient les rejoindre sur les chemins, heureux ou douloureux, de leurs existences. C’est l’expérience du Christ qui se révèle par sa Parole et par le pain partagé, signe de son amour donné à tous.

En ce temps si particulier de confinement, où les disciples du Christ ne peuvent pas – temporairement – se rassembler pour partager le repas du Seigneur, signe de sa présence parmi nous, il nous faut demeurer attentifs, car le Ressuscité n’attend pas, comme pour ses deux compagnons de route, que nous arrivions au village pour nous partager le pain. Il se donne à voir, si nous apprenons à le reconnaître, en écoutant sa Parole, en nous en nourrissant et en la laissant brûler en nos cœurs. La Parole du Seigneur, à l’écoute des Ecritures et sous la force de l’Esprit, nous est donnée pour avancer sur la route intérieure de nos cœurs et de nos vies. Le Ressuscité nous rejoint là où nous sommes, et nous accompagne jour après jour, même si nous demeurons confinés pour lutter contre l’épidémie.

Au cours de cette semaine qui commence, nous pourrions, comme les deux disciples, relire notre vie et regarder combien et comment le Seigneur a été et est présent. Sur le moment, souvent nous ne percevons pas sa présence, mais, avec le regard de la foi, nous voyons bien que le Christ était là dans tel ou tel évènement, dans telle période difficile, dans le choix compliqué d’une décision à prendre, sur un chemin qui nous avait semblé si rude. Il nous faut entendre une nouvelle fois les dernières paroles de Jésus avant de quitter ses disciples : « Et moi je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28, 20)

C’est cela l’espérance chrétienne ! Elle n’est pas une simple idée, une illusion réconfortante ou une fuite de la réalité. L’espérance chrétienne, c’est très concrètement la présence du Christ vivant à nos côtés, hier, aujourd’hui et demain, et jusqu’à la fin des temps. Le temps pascal, que nous vivons actuellement, est le temps privilégié pour rendre plus vive et plus forte notre espérance parce que le Christ est vraiment ressuscité !

Amen.

+ Luc Crepy,

évêque du Puy-en-Velay