Homélie du 9 février 2017, de Mgr Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay, lors de l’Assemblée des prêtres (Gn 2,18-25)
Les prêtres, par leur ordination, sont configurés à plusieurs figures du Christ : configurés au Christ Tête, au Christ Pasteur, au Christ Serviteur mais aussi au Christ Epoux… Epoux de l’Eglise. Le texte de la Genèse que nous venons d’entendre nous offre quelques pistes de réflexion sur cet amour sponsal – comme dirait Jean-Paul II – qui lie les prêtres à l’Eglise et qui éclaire aussi, pour une part, le sens de notre célibat.
Ce texte de la Genèse retrace le deuxième récit de la création de l’homme et de la femme. Dans ce récit, l’homme est créé seul, sans la femme et vit l’expérience de la solitude. Cette expérience paraît lourde et Dieu de conclure « qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul. » (Gn 2,18) Jean-Paul II dans ses catéchèses sur l’amour humain remarque qu’il n’est pas anodin que la Genèse évoque cette solitude de l’être humain dès sa création. La solitude est constitutive de toute vie humaine : bien vécue, elle est le temps du retour sur soi, de la prise de conscience de ce que je suis, que j’existe… elle conduit à une intériorité et forge une liberté. La solitude, quand elle n’est pas isolement ou repli sur soi, nous permet de nous mettre face à nous-mêmes. Ceci est valable dans tous les états de vie : une vie de couple équilibrée doit permettre à chacun d’exister aussi pour lui-même et comporte une part de solitude, une vie célibataire ne doit pas fuir la solitude dans un activisme désordonné mais profiter de cet état de vie pour se retrouver et être, par-là même, disponible aux autres, la vie communautaire – religieuse – n’est possible que si chacun est capable de vivre seul, sans tout attendre de la communauté. Dans l’acceptation d’être seul face à ses choix et ses engagements se joue quelque chose de la grandeur et de la liberté de l’homme et se construit le chemin d’une vraie intériorité.
Si l’homme fait pleinement partie de la création, il se distingue – lui qui a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu – de tous les êtres vivants. Parmi tous les animaux, « il ne trouve aucune aide qui lui corresponde. » (Gn 2,20). Dieu crée alors la femme. Et l’homme, pour la première fois, dans la Bible, parle. Il reconnaît celle issue de ses os et de sa chair, celle avec qui il va découvrir qu’il est fondamentalement un être fait pour aimer et pour être aimé, un être appelé à se donner à l’autre pour donner la vie. La création de l’homme et de la femme, manifeste combien l’homme, capable de solitude, est essentiellement un être de relation à l’image de ce Dieu d’amour, de ce Dieu trinitaire que nous révèlera le Christ. La création est aussi une vocation : vocation à aimer l’autre dans la proximité et la différence, dans une relation qui est source de vie et de bonheur.
Ce récit de la Genèse ne constitue pas seulement une belle première lecture pour la célébration d’un mariage. Il trace aussi les contours de ce qui est en jeu dans la vie humaine et dans la définition de la personne humaine comme être de relation et être de don. Etre configuré au Christ Epoux par l’ordination presbytérale, c’est mettre en œuvre nos capacités d’aimer, de tisser des relations, d’accueillir les personnes à travers l’exercice du ministère qui nous est confié. A la suite du Christ, nous sommes appelés à aimer l’Eglise, à aimer avec tout ce que nous sommes – et la grâce de Dieu – le peuple de Dieu qui nous est confié Ainsi, la dernière ratio pour la formation des prêtres nous rappelle : « l’ordination presbytérale requiert de la part de celui qui la reçoit, une donation totale de lui-même pour le service du peuple de Dieu, à l’image du Christ Époux : « Le don que le Christ fait de lui-même à son Église, fruit de son amour, prend le sens original du don propre de l’époux envers son épouse ». Le prêtre est appelé à faire siens les sentiments et les attitudes du Christ envers l’Église, aimée tendrement dans l’exercice même du ministère ; c’est pourquoi, il lui est demandé d’être « capable d’aimer les gens avec un cœur nouveau, grand et pur, avec un authentique détachement de lui-même, dans un don de soi total, continu et fidèle. Et il en éprouvera comme une “jalousie” divine (cf. 2Co 11,2), avec une tendresse qui se pare même des nuances de l’affection maternelle ».
Aimer les gens avec un cœur nouveau… se donner fidèlement dans le quotidien de nos vies à ceux et celles vers lesquels le Seigneur nous envoie… tel est pour les prêtres le dynamisme profond de leur ministère et le sens de leur célibat. Notre affectivité, notre capacité à accueillir l’autre, notre volonté de nous donner à la suite du Christ sont mobilisés dans cette suite du Christ Epoux. Et c’est cette figure du Christ Epoux, à laquelle nous sommes configurés, qui, à mon avis, exprime le plus clairement l’amour qui transfigure et anime la figure du Christ Tête, Pasteur et Serviteur. Gouverner, guider, servir le Peuple de Dieu est avant tout une affaire d’amour à la suite du Christ « qui a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle afin de la rendre sainte… » (Ep. 5,21).
Puissions-nous vivre notre ministère et notre célibat dans la joie d’aimer comme le Christ aime, donnés à tous et accueillants à chacun !