Journée mondiale des pauvres

Homélie de la messe radiodiffusée sur R.C.F. Haute-Loire

C’est dans l’attention aux pauvres que fructifient nos talents

En cette quatrième Journée mondiale des pauvres, demandée par le pape François, l’Evangile parle d’argent, de grosses ou petites sommes d’argent remises à des serviteurs par leur maître, afin de les faire fructifier. Est-ce bien adapté de parler d’argent aujourd’hui, en pensant à ceux qui en manquent cruellement ? En fait, dans cette parabole qui évoque le Royaume des Cieux (Mt 25, 1), il n’est pas question d’argent, mais de tout à fait autre chose, qui rejoint par bien des aspects le souci des plus pauvres. Notons que la langue française nous aide à comprendre cette parabole, car le mot « talent » signifie à la fois la monnaie du temps de Jésus, mais aussi les qualités que Dieu nous a données, les talents que chacun de nous possède. Ainsi nous pouvons accueillir les paroles du Christ comme une invitation forte à rendre grâce pour les qualités que chacun de nous a reçues, mais aussi à nous interroger sur ce que nous faisons de toutes les richesses humaines, spirituelles et matérielles reçues.

Dans cette parabole, l’important n’est pas d’avoir le plus grand nombre possible de talents, mais de les faire fructifier. Et paradoxalement, celui qui en a reçu le moins – le serviteur qui a reçu un seul talent – n’a pas été capable de rendre fécond le talent reçu. Les serviteurs, qui ont été fidèles à la volonté de leur maître, sont félicités et récompensés : « Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur. » (Mt 25, 21). Au-delà de l’image des talents, faire fructifier ce que nous avons de reçu de beau et de bon, c’est laisser s’épanouir de bien des manières tout ce que nous pouvons mettre au service des autres. C’est en donnant et en partageant que nos talents s’épanouissent et se multiplient. Ce que Dieu nous donne ne peut rester pour nous-mêmes. C’est notre vocation humaine : Dieu nous donne pour que nous devenions capables, comme Lui, de donner. Aujourd’hui, Jésus nous redit, comme aux disciples, que Dieu son Père nous fait confiance. Il nous donne, confie des talents : des capacités, des aptitudes, des compétences. Il nous donne un cœur pour aimer, un cœur ouvert à la compassion, au partage, à l’attention aux autres, aux plus pauvres. Il s’agit, comme nous y invite le pape François, dans son message pour cette journée mondiale des pauvres, de tendre la main aux pauvres : « Tendre la main est un signe : un signe qui rappelle immédiatement la proximité, la solidarité, l’amour. [1]»

Cette main tendue n’est pas seulement un vague regard ou une rapide salutation, mais dans cette main tendue, nous mettons notre force, nos talents, notre volonté pour aller vers celui ou celle qui vit dans une situation difficile, précaire, indigne ou déshumanisante. « Tendre la main fait découvrir, avant tout à celui qui le fait, qu’existe en nous la capacité d’accomplir des gestes qui donnent un sens à la vie.[2]» Oui, c’est en tendant la main aux autres, aux plus pauvres, que nous découvrons notre capacité à faire des gestes qui donne un sens à la vie. Bien de nos talents risquent de demeurer cachés ou stériles quand nous oublions de nous tourner vers l’autre. C’est dans l’amour du prochain – et des plus pauvres – que fructifient pleinement les talents que nous avons reçus. En accueillant l’autre, dans sa pauvreté matérielle, spirituelle, physique ou morale, nous découvrons – souvent d’ailleurs avec étonnement et joie – qu’au-delà de nos propres pauvretés, le Seigneur nous donne la force, les moyens, la confiance de sortir de nous-mêmes afin de développer – de manière simple et modeste – nos capacités d’entraide, de solidarité et d’amitié. « Avoir le regard tourné vers le pauvre est difficile, mais plus que jamais nécessaire pour donner à notre vie personnelle et sociale la bonne direction. Il ne s’agit pas d’exprimer beaucoup de paroles, mais plutôt d’engager concrètement la vie, animée par la charité divine.[3] »

En ces temps difficiles que nous vivons actuellement, notre regard et notre cœur s’attachent souvent à tout ce qui ne va pas – et il y a beaucoup de choses difficiles à vivre en ce moment et beaucoup de pauvretés nouvelles –, et nous risquons de ne plus voir ce qu’il y a de beau, de perdre confiance et de laisser s’éteindre cette vigilance du cœur, à laquelle le Christ nous appelle. Alors il nous faut nous-mêmes tendre la main vers les autres en en rendant grâce pour tous les mains tendues autour de nous, et garder confiance comme nous y invite le pape François : « En ces mois où le monde entier a été submergé par un virus qui a apporté douleur et mort, détresse et égarement, combien de mains tendues nous avons pu voir ! La main tendue du médecin qui se soucie de chaque patient en essayant de trouver le bon remède. La main tendue de l’infirmière et de l’infirmier qui, bien au-delà de leurs horaires de travail, sont restés pour soigner les malades. […] La main tendue du prêtre qui bénit avec le déchirement au cœur. La main tendue du bénévole qui secourt ceux qui vivent dans la rue.  La main tendue des hommes et des femmes qui travaillent pour offrir des services essentiels et la sécurité. Et combien d’autres mains tendues que nous pourrions décrire jusqu’à en composer une litanie des œuvres de bien. Toutes ces mains ont défié la contagion et la peur pour apporter soutien et consolation.[4] »

Le plus grand talent que Dieu nous a donné, c’est d’aimer. Le plus grand talent que Dieu nous adonné : ce sont un cœur, une intelligence et des mains pour aimer comme le Christ nous a aimés (Jn 13,34). Dans le visage du pauvre, pour nous chrétiens, se reflète le visage du Christ. Tendre la main au pauvre, c’est tendre la main au Christ, lui qui, sans cesse, saisit la nôtre pour nous guider, nous relever et nous faire vivre. Alors, « même un sourire que nous partageons avec le pauvre est source d’amour et permet de vivre dans la joie.[5] »
Que cette joie soit la nôtre !

Amen !

+ Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay


[1] Pape François, Message pour la 4ème Journée mondiale des pauvres, 13/06/20.

[2] Idem.

[3] Idem.

[4] Idem.

[5] Idem.