Homélie de Mgr Luc Crepy à l’occasion de la Messe des Cendres le 14 février 2018 à l’église du Val-Vert.

« Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! … Revenez au Seigneur votre Dieu car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment. » (Jl 2,12-13) « Revenez vers le Seigneur ! », tel est l’appel du prophète Joël au peuple d’Israël. Tel est l’appel que nous entendons ce soir en cette célébration qui ouvre notre temps de Carême, ces quarante jours vers Pâques.

Oui, il s’agit bien de revenir vers le Seigneur, de revenir à Lui d’une manière nouvelle, joyeuse et décidée. Il est bon d’envisager ce temps de Carême, non pas comme quelque chose de pesant et de triste, mais comme un temps privilégié, sans doute un peu rude, nous invitant à vivre de manière renouvelée notre relation à Dieu.

« Revenez vers le Seigneur ! »… Mais, me direz-vous, nous ne sommes pas partis loin de Lui… alors pourquoi revenir à Lui ? Dans notre foi et notre vie chrétienne, nous croyons que Dieu est proche, que le Christ marche à nos côtés, et nous ne voulons pas nous éloigner de Lui. Pourtant, il y a bien des domaines de notre existence où nous nous éloignons de Lui, où nous ne nous laissons pas toucher par sa tendresse et sa miséricorde, où nous sommes loin de l’Evangile et du chemin de justice, de paix et d’amour qu’il trace. Nos cœurs s’éloignent facilement de la présence de Dieu, pris par mille et une choses de la vie ordinaire, par les difficultés et les peines comme par les plaisirs de la vie. « Déchirez votre cœur pour revenir vers le Seigneur » nous dit brutalement le prophète Joël. Oui, acceptons cette invitation forte de déchirer tout ce qui endurcit notre cœur et nous sépare du Seigneur et des autres et apprenons de nouveau à vivre ce cœur à cœur avec Dieu.

Dans l’Evangile, Jésus nous dit la même chose, mais d’une manière apparemment plus facile à entendre. Il nous invite à nous tourner vers le Père, à revenir vers le Père à travers le partage, la prière et le jeûne. Par trois fois, il affirme : « Ton Père qui voit dans le secret, te le rendra. » (cf. Mt 6) Le Carême est ce temps privilégié où nous sommes appelés à vivre dans une plus grande intimité avec le Père. D’abord dans la prière : « Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. » (Mt 6,6) Revenir au Père comme le fils prodigue, vivre jour après jour dans une relation forte d’amour avec le Père – comme le Christ qui allait souvent prier, seul, sur la montagne, tôt le matin – : c’est, sans cesse, ce que Jésus a cherché à faire découvrir à ses disciples et c’est ce qu’il leur laisse comme ultime recommandation : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. » (Jn 14,23) Nous sommes invités à revenir vers le Père en prenant le temps de prier dans le silence, en acceptant de fermer la porte de nos occupations, de nos relations, de nos projets pour être là disponibles et accueillant à l’Esprit qui seul peut nous tourner vers le Père.

A la prière, il faut conjuguer le jeûne, nous dit Jésus. Le jeûne – qui peut se faire de bien des manières – nous permet de revenir vers Dieu. Le jeûne nous permet de quitter tout ce qui nous alourdit, tout ce qui pèse inutilement dans nos vies, parfois si centrées sur elles-mêmes, tout ce qui nous empêche de prendre un chemin nouveau pour revenir vers le Seigneur. Seul le Père saura ce que nous avons accepté de laisser sur la route pour aller vers lui. Dans le secret, Il nous accueillera dans notre pauvreté et nous manifestera toute la richesse de son amour.

Prier et jeûner, Jésus nous invite enfin au partage. Rappelons-nous qu’il est impossible de revenir vers Dieu sans revenir vers nos frères, vers les pauvres, vers ceux et celles qui sont laissés en marge de nos sociétés et de notre monde. « Revenez vers Dieu ! » se conjugue avec « Revenez vers vos frères ! » Si le Carême est un itinéraire spirituel pour notre foi où nous essayons de nous rapprocher de Dieu par la prière et le jeûne, le Carême est également un itinéraire de charité : mettre en œuvre le grand commandement de l’amour laissé par le Christ d’aimer son prochain comme lui-même nous aime. Revenir vers le Christ dont nous fêterons la mort et la résurrection à Pâques, c’est le reconnaître à nos côtés dans le visage de ceux qui souffrent et qui peinent dans la vie.

Finalement le Carême est le temps du « grand retour »… le retour vers Dieu, Père plein d’amour qui voit dans le secret ; le retour vers le Christ dont la mort et la résurrection sont source d’espérance ; le retour vers l’Esprit car c’est Lui qui nous fait revenir vers Dieu.

Puisse ce même Esprit Saint nous conduire tout au long de ces quarante jours dans la joie de revenir vers le Seigneur et vers nos frères !

+ Luc Crepy, 
évêque du Puy-en-Velay