Homélie prononcée par Mgr Luc Crepy, évêque du Puy, pour la messe des Rameaux, en la cathédrale Notre-Dame de l’Annonciation, le 14 avril 2019.

Le passage de la lettre de Paul aux Philippiens que nous venons d’entendre condense en quelques phrases tout le mouvement de la Passion et de la Résurrection du Christ, c’est-à-dire cet abaissement du Fils de Dieu jusqu’à la mort en croix et son entrée définitive dans la gloire, auprès du Père. Tout au long de cette Semaine Sainte, nous sommes invités, au cœur de notre prière et de nos célébrations, à contempler et à méditer ce grand passage – la Pâque – du Christ mort et ressuscité.

« Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes.  » (Ph 2, 6-7) Nous croyons que Dieu s’est fait homme, qu’il est devenu semblable à nous, qu’il est venu habiter parmi nous et qu’il s’est fait serviteur pour tous et de tous. « Moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert.  » (Lc 22,27) dit le Christ à ses disciples, lui qui n’est pas venu pour être servi mais pour servir. (Mc 10,45) C’est que nous rappelle le Jeudi saint avec le lavement des pieds des disciples par Jésus. L’Incarnation est un acte d’humilité – « Dieu si grand et Jésus si proche  » disait Bérulle – où nous découvrons qui est Dieu. Comme l’écrit le père François Varillon « Si l’Incarnation est acte d’humilité, c’est que Dieu est un être d’humilité. ‘ Qui m’a vu, a vu le Père’, dit Jésus (Jn 14,9). Le voyant laver les pieds d’hommes, je « vois » donc Dieu même, éternellement mystérieusement, Serviteur avec humilité au plus profond de sa Gloire. L’humiliation du Christ n’est pas un avatar exceptionnel de la gloire. Elle manifeste dans le temps que l’humilité est au cœur de sa gloire.  [1] » Dans notre Eglise habitée par des tentations de toute-puissance, comme nous le montre les évènements récents des abus sexuels, il nous faut nous rappeler sans cesse que la toute-puissance de Dieu, c’est l’amour qui, jamais ne domine ni n’écrase, mais qui sans cesse s’abaisse et sert. Contempler le Serviteur souffrant est le chemin de purification qu’il nous faut prendre pour ôter toute dérive d’emprise sur notre prochain.

« Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. » (Ph 2, 6-11) Au mont des Oliviers, Jésus prie seul, ses disciples n’ont pas la force de veiller. Il sait qu’on va venir l’arrêter et le condamner. Il est face à son destin pleinement humain, ce destin que le Fils de Dieu partage avec toute l’humanité à travers la confrontation au mal et face à la mort. Il ne cherche ni la souffrance, ni la mort mais il affronte la violence et la haine des hommes. Il manifeste ainsi que seul l’amour peut sauver le monde. « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » (Lc 22, 42) Faire la volonté du Père jusqu’au bout en « devenant obéissant jusqu’à la mort », c’est la preuve ultime de la confiance du Fils envers le Père, c’est le dernier cri de Jésus avant d’expirer sur la croix : « Père, entre tes mains je remets mon esprit.  » (Lc 23, 46) En vivant la Semaine Sainte, l’Eglise – et donc chacun de nous – renouvelle sa confiance en Dieu : Dieu se révèle comme Celui qui fait passer de la mort à la vie, qui transforme les impasses de nos existences en chemins nouveaux, qui fait renaître au cœur même des souffrances une espérance.

« C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.  » (Ph 2, 9-11) Déjà au pied de la croix, quand Jésus rend son dernier souffle, quelqu’un perçoit la grandeur de cet évènement et rend gloire à Dieu. C’est un païen, un de ceux qui, sans doute, a participé à la crucifixion de Jésus : un centurion romain. « À la vue de ce qui s’était passé, le centurion rendit gloire à Dieu : « Celui-ci était réellement un homme juste.  » (Lc 23, 47) Nous sommes face à ce paradoxe impressionnant où sont liées définitivement la croix et la gloire de Dieu ! Dans l’horreur de ce supplice de la croix, l’humanité atteint ce qu’elle a de plus abject et de plus indigne. Le Christ s’abaisse jusqu’à ce degré ultime « d’inhumanité », rejoignant tout être humain défiguré, torturé en notre monde. La gloire de Dieu n’est plus à chercher sur la montagne de la Transfiguration, mais sur le visage du Crucifié : en rejoignant par amour les bas-fonds de notre monde, le Christ devient Seigneur, Celui devant qui tout genou fléchit. C’est le grand paradoxe de notre foi – « scandale pour les juifs et folie pour les nations païennes  » (cf. 1 Co 1, 23) – : nous croyons en Jésus, Fils de Dieu, qui s’est fait homme, qui est mort crucifié, qui est ressuscité et dont toute langue est appelée à proclamer qu’il est Seigneur, à la gloire du Père. C’est de ce grand mystère de la foi dont nous sommes témoins, c’est cette Bonne Nouvelle que nous cherchons à annoncer par notre vie, c’est le cœur de la Semaine Sainte dans laquelle l’Eglise entre aujourd’hui.

Demandons à la Vierge Marie, qui accompagna Jésus jusqu’au bout de sa passion, de nous guider tout au long de ces jours afin que nous vivions plus pleinement la Pâque de son Fils !

+ Luc Crepy Evêque du Puy-en-Velay

Notes

[1] François Varillon, L’humilité de Dieu, Paris, Centurion, 1974, p. 59.