La Chaise-Dieu

Homélie de Mgr Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay, prononcée le dimanche 19 août 2018, lors de la messe inaugurale du Festival de la Chaise-Dieu.

(Jean 6, 51-58)

En cette messe inaugurale du Festival de la Chaise-Dieu, il me semble, sans vouloir faire de concordisme trop rapide, que la question de l’intériorité qui est au cœur de l’évangile de ce jour, touche aussi ceux et celles pour qui la musique et le chant sont des chemins possibles d’une expérience intérieure et, au sens large, d’une expérience spirituelle. Le Festival de la Chaise-Dieu, par la qualité et la diversité des concerts proposés, offre à beaucoup la possibilité de vivre un temps fort, une expérience du beau qui ne laisse pas indifférent et permet de se ressourcer. La vie et les œuvres artistiques sont aussi dans l’Eglise une approche et une ouverture à la transcendance, au divin et, souvent, à la découverte de la foi. En accueillant le Festival en ses murs mais aussi en son histoire, l’abbatiale Saint Robert nous offre la possibilité de conjuguer dimensions artistiques et spirituelles et de tracer ainsi, le temps d’un concert, un voyage intérieur.

Pour les chrétiens, qu’est-ce que l’intériorité ? Qu’est-ce qu’une vie intérieure ? Comment traduire l’expérience spirituelle qui anime le cœur des croyants qui reconnaissent en Jésus Christ le vrai visage de Dieu ? L’évangile selon saint Jean, que nous venons d’entendre, nous apporte des éléments forts pour répondre à ces questions. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. » (Jean 6, 56). Cette parole de Jésus surprend ses auditeurs et elle demeure tout aussi surprenante aujourd’hui. Comment entendre ces propos ? Manger la chair et boire le sang sont des termes qui nous effraient si ce n’est qui nous répugnent, tout autant que ses interlocuteurs. « Les Juifs se querellaient entre eux : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » (Jean 6, 52)

A la différence des trois autres évangélistes, chez saint Jean, il n’y a pas de récit de la dernière cène – du dernier repas – au cours de laquelle Jésus prend du pain et du vin, et le donne à ses disciples en leur disant : « Prenez et mangez ce pain, ceci est mon corps ; prenez et buvez ce vin, ceci est mon sang. » Ces paroles sont celles que nous redisons lors de chaque messe. Saint Jean, lui, rapporte ce grand enseignement de Jésus sur le « pain de vie », c’est-à-dire ce pain descendu du ciel qui donne la vie éternelle : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » (Jean 6, 51) Dans ce grand discours, Jésus annonce le don de lui-même qu’il fera pour tous par sa chair crucifiée et son sang versé sur la croix. Ce don de Lui-même est la source du salut et de la vie. Jésus offre à ses disciples d’accueillir ce don de sa personne, à travers ce pain et ce vin qui deviennent signe et moyen –sacrement – de partager sa propre vie.

« Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. » (Jean 6, 56). La vie chrétienne se nourrit ainsi de la présence du Christ. Le chemin intérieur de tout baptisé est un compagnonnage avec le Christ, comme sur le chemin d’Emmaüs. Dans la foi, la vie spirituelle est sans cesse découverte et approfondissement de la présence du Ressuscité dans nos vies d’hommes et de femmes. L’expérience mystique qu’ont vécue de nombreux saints et saintes est la traduction de cet amour fort envers le Christ vivant. Saint Paul dira « Ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi. » (Gal 2,20). L’intériorité chrétienne, c’est cette présence du Christ en nous, et cette présence est la force et la joie qui nous permet de vivre l’Evangile au quotidien. C’est ce que signifie cette figure du pain que l’on mange et qui s’incorpore en nous.

Ce 19 août est aussi la date à laquelle l’Eglise fête saint Jean Eudes [1] et vous me permettrez, moi qui suis eudiste, d’apporter à cette homélie quelques propos de ce grand saint normand du XVII° siècle qui a beaucoup parlé de l’intériorité. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, la vie chrétienne consiste à former Jésus en nous, à laisser le Christ prendre toute sa place. Il ira jusqu’à dire que notre cœur et que le cœur du Christ ne font plus qu’un. En ce sens, il sera le premier à introduire dans la liturgie de l’Eglise le culte du Cœur de Jésus, comme celui d’ailleurs du Cœur de Marie (qui ne fait qu’un avec celui de son Fils). Permettez-moi de citer pour votre méditation intérieure ces quelques mots de saint Jean Eudes :

Le mystère des mystères et l’œuvre des œuvres, c’est la formation de Jésus, qui nous est marquée en ces paroles de saint Paul : « Mes petits enfants, pour qui j’éprouve de nouveau les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous » (Ga 4, 19). C’est le plus grand mystère et la plus grande œuvre qui se fasse au ciel et sur la terre par les personnes les plus excellentes de la terre et du ciel, c’est-à-dire par le Père éternel, par le Fils et par le Saint-Esprit par la très sainte Vierge et par la sainte Église.

Aussi ce doit être notre désir, notre soin et notre occupation principale, que de former Jésus en nous, c’est-à-dire de le faire vivre et régner en nous, et d’y faire vivre et régner son esprit, sa dévotion, ses vertus, ses sentiments, ses inclinations et dispositions. C’est à cette fin que doivent tendre tous nos exercices de piété. C’est l’œuvre que Dieu nous met entre les mains, afin que nous y travaillions continuellement.  [2]

Notes

[1] 1601-1680

[2] Saint Jean Eudes, Le Royaume de Jésus, Œuvres Complètes, Tome I, PP. 271-279.