31è journées nationales de l’ANDASS [1]

26 septembre 2019

Confiance et courage : voici deux termes qui sont clairement inscrits dans l’horizon de la foi chrétienne, car ils sont tout simplement déjà inscrits dans l’horizon de ce qui fait notre humanité. Avant toute référence religieuse, dans l’ordinaire de nos existences personnelles, nous savons d’expérience, dans nos relations comme dans nos projets et nos engagements, l’importance primordiale et même vitale de la confiance et du courage. Et nous percevons bien comment notre monde ne pourraient relever les défis qui se posent à chaque époque, s’il n’y avait des hommes et des femmes de confiance et de courage pour chercher le bien commun et travailler à un monde plus juste et plus fraternel. Quelles que soient nos convictions religieuses ou philosophiques, nous sommes tous témoins, jour après jour, d’initiatives très concrètes manifestant la confiance en la vie et en autrui. Nous voyons aussi le courage de bien des personnes dénonçant ce qui défigure nos sociétés et notre planète, et s’engageant  dans la construction d’un monde meilleur. Oser le courage de l’avenir ne peut se faire sans une confiance partagée entre les personnes et les peuples.

Comme catholique, permettez-moi de citer une expression célèbre et forte qui pourrait résumer notre thème. C’est la parole du pape Jean-Paul II : « N’ayez pas peur ! », prononcée le 22 octo­bre 1978, place Saint-Pierre, pour inaugurer son pontificat [2]. Sans aucun doute, ces trois premiers mots sont ceux qui, au-delà même des fidèles catholiques, demeurent encore aujourd’hui dans la mémoire de bien de nos contemporains, croyants ou non, hommes politiques, responsables économiques, intellectuels de tout bord.

« N’ayez pas peur ! »Ce sont les paroles même du Christ [3] lorsqu’il marche sur les eaux au cœur de la tempête [4], ou lorsqu’au petit matin de Pâques, le Ressuscité rencontre les femmes venues au tombeau, désormais vide [5].

Les paroles de Jean-Paul II sont prophétiques car aujourd’hui notre monde est habité par la peur. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, beaucoup pensent que demain sera plus difficile qu’hier ; la notion de progrès s’est effacée et les grandes idéologies porteuses – parfois de manière trompeuse – d’espérance ou de jours meilleurs ont disparu. La question de l’avenir de la planète pèse lourdement sur les jeunes générations. Et peu à peu, la peur s’installe : peur de l’avenir, peur de la mondialisation, peur des immigrés, peur de l’autre, peur de s’engager et d’agir. La peur est alors la route du repli sur soi, du communautarisme, de la défiance et de l’inaction.

C’est ce chemin de la peur – ici et ailleurs – qu’il nous faut refuser de prendre. Pour sortir de cette ornière mortifère, la confiance et le courage constituent deux attitudes fondamentales de l’existence humaine qui ouvrent une possible espérance pour notre monde actuel. Dominer la peur, est alors la condition de tout changement – de toute conversion – tant personnel que collectif. Quand les hommes préfèrent le dialogue plutôt que de se murer dans leurs propres certitudes, quand les hommes préfèrent risquer leur vie plutôt que se calfeutrer dans leur confort personnel ou leurs apparentes sécurités, quand les hommes choisissent d’œuvrer ensemble pour le bien… tout devient alors possible.

La foi, source de confiance

Pour les croyants, la foi en Dieu est source de confiance : de confiance en soi parce qu’aimés de Dieu, de confiance en l’autre, lui aussi aimé de Dieu. Les racines latines du mot foi, fides, et du verbe croire, credere, expriment l’idée de confiance. La foi en Dieu, en soi, en l’autre, est créatrice de relation de confiance, mais aussi de liberté d’esprit et d’ouverture de l’intelligence. Mais il nous faut aller plus loin et affirmer comment et combien la foi en Dieu, et pour les chrétiens, la foi en Dieu révélée en Jésus Christ, est source de confiance et de courage dans la participation à la vie de la société actuelle, dans la recherche du bien commun avec les hommes et les femmes de bonne volonté. Ainsi l’énonçait le célèbre  texte du Concile Vatican II : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur.  [6]»

La foi invite à regarder en face – sans peur, mais avec confiance – les réalités et la complexité du monde. Pour les chrétiens, la vie personnelle et sociale, de même que l’agir humain dans le monde, sont toujours marqués par le péché, mais Jésus Christ, en affrontant le mal, l’injustice, la violence jusque dans sa mort en croix, a ouvert une route nouvelle. Il nous enseigne que la loi fondamentale de la perfection humaine, et donc de la transformation du monde, est le commandement nouveau de l’amour : « Aimez-vous comme je vous ai aimés. » (Jean 13, 34)  Il apporte aux croyants « la certitude que la voie de l’amour est ouverte à tous les hommes et que l’effort qui tend à instaurer une fraternité universelle n’est pas vain. [7] ». Un disciple du Christ ne peut demeurer indifférent à ce que vivent ses contemporains et ne peut passer, sans s’arrêter, à côté de ceux qui souffrent. A l’image du Bon Samaritain qui prend soin de cet inconnu blessé sur le chemin (Luc 10, 35), l’engagement des chrétiens traduit leur foi en Dieu pour qui tout être humain compte et qui ne demeure jamais indifférent à la détresse et à l’injustice. Ainsi saint Jacques rappelle de manière vigoureuse : « Mes frères, si quelqu’un prétend avoir la foi, sans la mettre en œuvre, à quoi cela sert-il ? » (Epitre de Jacques 2, 14)

Très concrètement, un certain nombre d’organismes catholiques caritatifs – comme par exemple le Secours catholique – traduisent combien la foi est source de confiance dans l’action afin de permettre à d’autres de se relever, de changer des situations au premier abord désespérées, de s’engager même si les conditions sont peu favorables. Foi et confiance, non sans courage bien souvent, s’unissent sur les terrains de la solidarité et de l’entraide dans notre société. Pour illustrer, voici un simple texte composé par des personnes œuvrant au Secours Catholique :

Accepter la confiance, c’est prendre une responsabilité
C’est un appel à la connaissance mutuelle et à la générosité
C’est accepter la fragilité de l’autre dans le même temps que ses qualités
C’est se rendre disponible sans aller au-delà de ses possibilités
C’est un engagement à ne pas trahir ou à planter
Au-delà du temps et des susceptibilités

Le courage d’agir selon l’Enseignement social de l’Eglise

Dans l’Eglise catholique, existe une expression claire du lien étroit entre la foi et l’action, entre la foi et le courage de s’engager pour plus de justice et, plus largement, dénoncer tout ce qui porte atteinte à notre humanité. C’est l’Enseignement – la Doctrine – social de l’Eglise : elle rassemble et éclaire depuis plus d’un siècle la réflexion et l’action des catholiques, ainsi que « des hommes et femmes de bonne volonté [8] », dans leurs engagements dans la vie politique, économique, sociale et culturelle. Par son enseignement social, l’Église entend annoncer et actualiser l’Évangile au cœur du réseau complexe des relations sociales. Il ne s’agit pas simplement d’atteindre l’homme dans la société, l’homme en tant que destinataire de l’annonce évangélique, mais de féconder et de fermenter la société même par l’Évangile. [9]Il s’agit de prendre soin de l’homme. La vie commune en société détermine souvent la qualité de la vie et, par conséquent, les conditions où chaque homme et chaque femme se comprennent et décident d’eux-mêmes et de leur destinée. Voilà pourquoi l’Église n’est indifférente à rien de ce qui, dans la société, se choisit, se produit et se vit, à la qualité morale, c’est-à-dire authentiquement humaine et humanisante, de la vie sociale. En effet, la société, avec tout ce qui s’y réalise, concerne l’homme [10]. C’est la société des hommes,qui sont « la première route et la route fondamentale de l’Église [11]», disait Jean-Paul II.

Parfois certains s’inquiètent, s’interrogent où même dénoncent cette attitude de l’Eglise catholique : ne sort-elle pas de son domaine de compétence ? Ne ferait-elle pas mieux de s’occuper uniquement des choses dites spirituelles ? Non, pour les catholiques, tout ce qui concerne la communauté des hommes — situations et problèmes relatifs à la justice, à la libération, au développement, aux relations entre les peuples, à la paix — n’est pas étranger à l’évangélisation, et celle-ci ne serait pas complète si elle ne tenait pas compte de l’appel réciproque que se lancent continuellement l’Évangile et la vie concrète, personnelle et sociale, de l’homme.  Il existe des liens profonds entre évangélisation et promotion humaine, comme le souligne le pape Paul VI :

« Liens d’ordre anthropologique, parce que l’homme à évangéliser n’est pas un être abstrait, mais qu’il est sujet aux questions sociales et économiques. Liens d’ordre théologique, puisqu’on ne peut pas dissocier le plan de la création du plan de la Rédemption qui, lui, atteint les situations très concrètes de l’injustice à combattre et de la justice à restaurer. Liens de cet ordre éminemment évangélique qui est celui de la charité: comment en effet proclamer le commandement nouveau sans promouvoir dans la justice et la paix la véritable, l’authentique croissance de l’homme ? [12] ».

Pour dire les choses d’une autre manière, se joue la dimension prophétique de l’Eglise qui vient dénoncer tout ce qui entrave l’homme pour proposer des chemins de libération. « La mission propre que le Christ a confiée à son Église n’est ni d’ordre politique, ni d’ordre économique ou social: le but qu’il lui a assigné est d’ordre religieux. Mais, précisément, de cette mission religieuse découlent une fonction, des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et à affermir la communauté des hommes selon la loi divine [13]». Ceci veut dire que l’Église, avec sa doctrine sociale, n’entre pas dans des questions techniques et ne propose pas de systèmes ou de modèles d’organisation sociale: ceci ne relève pas de la mission que le Christ lui a confiée. L’Église a la compétence qui lui vient de l’Évangile, c’est-à-dire du message de libération de l’homme, annoncé et témoigné par le Fils de Dieu fait homme. La pensée sociale de l’Eglise vise à donner des repères solides aux chrétiens pour qu’ils agissent dans la société en cohérence avec leur foi. Elle est un référentiel de valeurs dans lequel peut s’exercer librement la conscience humaine.

Pour terminer, il est bon de souligner comment le pape François ouvre une nouvelle page de la Doctrine sociale de l’Eglise en invitant toute l’humanité à retrouver confiance en elle et à relever courageusement le grand défi du XXI° siècle, celui de la sauvegarde de notre maison commune face au changement climatique et à toutes les atteintes faites à notre planète. Son encyclique « Laudato Si’ » sur la sauvegarde de la maison commune constitue, plus qu’un texte de référence, un appel pressant à tous pour une prise de conscience  de la situation, pour le développement d’une vision intégrale de l’écologie et pour les nécessaires conversions personnelles et collectives. « Le défi urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral, car nous savons que les choses peuvent changer. Le Créateur ne nous abandonne pas, jamais il ne fait marche arrière dans son projet d’amour, il ne se repent pas de nous avoir créés. L’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune.[…] J’adresse une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète. Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous [14]»

En conclusion, je remercie l’ANDASS d’associer ainsi les représentants religieux à cette belle réflexion sur un vivre ensemble plus solidaire et plus fraternel. Tous nous essayons, dans nos différentes communautés, d’être des acteurs actifs de la recherche du bien commun, en souhaitant que la foi ne soit pas un facteur de division mais au contraire une source de confiance et de courage pour que notre monde trouve encore des raisons d’espérer.

+ Luc Crepy,
évêque du Puy-en-Velay


[1]  Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé des départements et métropoles.
[2] « N’ayez pas peur ! Ouvrez, ouvrez toutes grandes les portes au Christ. À sa puissance salvatrice, ouvrez les frontières des états, des systèmes politiques et économiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation et du développement. N’ayez pas peur ! Le Christ sait ce qu’il y a dans l’homme ! Et lui seul le sait ! »
[3] Expression dont on trouve 365 occurrences dans la Bible.
[4] Evangile de Jean 6, 18 – 20 : « Un grand vent soufflait, et la mer était agitée. Les disciples avaient ramé sur une distance de vingt-cinq ou trente stades, lorsqu’ils virent Jésus qui marchait sur la mer et se rapprochait de la barque. Alors, ils furent saisis de peur. Mais il leur dit : ‘ C’est moi. N’ayez plus peur.’»
[5] Evangile de Matthieu 28, 10-11 : « Et voici que Jésus vint à leur rencontre et leur dit : « Je vous salue. » Elles s’approchèrent, lui saisirent les pieds et se prosternèrent devant lui. Alors Jésus leur dit : ‘Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront.’ »
[6] Concile Vatican II, L’Eglise dans le monde de ce temps, 1965, §1.
[7] Idem, § 38.
[8] Il est intéressant de noter que depuis 1963 – l’encyclique Pacem in terris – les destinataires des encycliques sociales ne sont pas seulement les catholiques, l’ensemble des hommes et femmes de bonne volonté.
[9] Concile Vatican II, idem, § 40.
[10] Cf. Conseil pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, 2005, § 62.
[11] Jean-Paul II, Redemptor hominis – le Rédempteur des hommes, 1991, § 14.
[12] Paul VI, Evangelii nuntiandi (Annoncer l’Evangile), 1976, § 25-26

[13] Concile Vatican II, idem, §42.

[14] Pape François, Laudato Si’ – La sauvegarde de la maison commune -, 2015, §13-14.