Homélie de Mgr Crepy prononcée à l’abbaye de la Chaise-Dieu le 21 août 2016, à l’occasion du cinquantième anniversaire du Festival de la Chaise-Dieu.

Le texte de l’évangile de Luc (Lc 13, 22-30) présente, au premier abord, un contraste fort : Jésus invite d’abord à entrer par la porte étroite, c’est-à-dire à vivre sans être encombré par bien des choses inutiles. Et ajoute-t-il « beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas. » La porte semble bien étroite et il n’est pas facile d’y passer. Sont-ils peu nombreux ceux qui y accèdent ? Puis, Jésus annonce « que l’on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. » Des quatre coins de l’horizon, tous sont invités à entrer dans le Royaume de Dieu et dans sa joie, tels que les préfigure le festin. L’évangile ne nous dit pas si l’interlocuteur de Jésus est finalement satisfait de cette réponse contrastée à sa question : « N’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? »

Mais peut-être n’y a-t-il pas de contradiction dans les propos du Christ. Il ne s’agit pas de donner une réponse quantitative – le nombre – de ceux qui seront sauvés ou non, mais, pour Jésus, de dénoncer, chez ses contemporains, ceux qui pratiquent l’injustice et n’accueillent pas l’Evangile dans ses exigences d’amour, de vérité et de justice. Ceux-là, trop encombrés d’eux-mêmes, ne peuvent pas passer la porte étroite. D’autres, innombrables, venant de tous continents, accueillent et accueilleront l’Evangile… cette Bonne Nouvelle qui rejoint tout être humain dans sa quête d’humanité, de sens et de fraternité. Pour les chrétiens, le salut apporté par le Christ s’inscrit dans la foi en un Dieu qui ouvre largement la porte de sa maison pour accueillir chaque personne, librement, comme ses propres enfants, à la suite de Jésus, le Fils bien-aimé du Père.

Dans le message chrétien, il y a une universalité qui, loin d’être totalisante, rejoint à la fois la dimension singulière de chaque être humain, dans le respect de ce qu’il est et de sa responsabilité à l’égard du bien et du mal ; et à la fois la dimension commune – universelle – de notre humanité dans ses aspirations les plus profondes. La porte étroite est cette figure qui dit à la fois l’exigence personnelle d’une vie à la suite du Christ, mais n’écarte en rien le fait que la porte est ouverte à tous. Cette tension inhérente au christianisme conjugue la prise en compte de toute personne dans son unicité, et l’ouverture à tous, de toute culture, race et langue. Elle manifeste ce qui est au cœur de la foi : l’amour de Dieu, révélé en Jésus le Christ : l’amour ne se réalise vraiment que dans la relation à l’autre dans sa singularité, et l’amour n’est véritable que quand il est ouvert à toute rencontre. Comme le dit souvent l’Eglise, tout homme et tout l’homme sont importants aux yeux de Dieu et l’on ne peut séparer l’un de l’autre. Si la porte est étroite, c’est que chacun est appelé à y passer en vérité avec lui-même, avec les autres et avec Dieu… si la porte est étroite, elle demeure ouverte à tout homme et toute femme de bonne volonté.

Cette dimension singulière et universelle de la proposition de la foi chrétienne où le Christ va à la rencontre de toute personne, trouve dans l’art, de nombreux échos, et peut-être plus encore dans la musique sacrée qui, par sa beauté et sa profondeur, peut également rejoindre chacun et s’offrir à tous. En ce lieu de la Chaise-Dieu, depuis plus d’un millénaire, des moines célèbrent, par la musique et par le chant, le projet de Dieu. Le Festival de la Chaise-Dieu apporte une belle et riche contribution à la découverte pour beaucoup de cette musique où la foi et le génie artistique se conjuguent.

Jean-Paul II écrivait : « pour transmettre le message que le Christ lui a confié, l’Église a besoin de l’art. Elle doit en effet rendre perceptible et même, autant que possible, fascinant le monde de l’esprit, de l’invisible, de Dieu. Elle doit donc traduire en formules significatives ce qui, en soi, est ineffable. Or, l’art a une capacité qui lui est tout à fait propre de saisir l’un ou l’autre aspect du message et de le traduire en couleurs, en formes ou en sons qui renforcent l’intuition de celui qui regarde ou qui écoute. Et cela, sans priver le message lui-même de sa valeur transcendantale ni de son auréole de mystère. » (Lettre aux artistes, 1999, § 12)

André Gounelle, pasteur protestant et professeur de théologie, écrivait : « La musique nous fournit aux uns et aux autres un modèle très intéressant pour penser et vivre l’unité de la foi. Trop souvent, on estime que cette unité demande que tous les chrétiens croient, prient, célèbrent les sacrements de la même manière, qu’ils pensent et affirment les mêmes choses, qu’ils défendent et suivent des valeurs identiques, qu’ils s’expriment d’une seule voix. Si on transpose, cela reviendrait à faire de l’unisson le seul vrai modèle du chant et du solo l’idéal ou le sommet de la musicalité. Or la chorale, l’orgue, l’orchestre associent des voix, des jeux, des instruments qui diffèrent, qui suivent chacun une partition propre, même si elle se combine avec celle des autres. Le génie et la richesse de la musique lui permettent d’éviter l’uniformité quelque peu lassante et mutilante de la note unique et d’allier des diversités, de les faire participer à quelque chose que l’on pourrait comparer à une communion dans la différence. »

Entre la foi chrétienne et l’art, entre la musique et la foi chrétienne, il y a depuis des siècles un long compagnonnage, un dialogue fécond, une quête de beauté où l’homme, comme disait Pascal, est invité à passer l’homme, une recherche jamais terminée d’atteindre une plénitude de sens, de paix et de joie profonde. Puisse le Festival de la Chaise-Dieu qui fête son cinquantième anniversaire, poursuivre longtemps son œuvre si bien commencée.

Luc Crepy, évêque du Puy