Homélie prononcée par Mgr Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay, lors de la messe à l’occasion des finales de labour, avec les jeunes agriculteurs, à Monlet, le 2 septembre 2017.

(Matthieu 16, 21-27)

Depuis l’aube des temps, l’homme pour se nourrir, a travaillé le sol afin d’y faire pousser des plantes diverses et, plus tard, nourrir ses troupeaux. Les labours font, si je puis dire, partie du patrimoine de l’humanité : retourner la terre après la moisson, préparer le sol pour les futures récoltes, tracer ces beaux sillons droits qui façonnent le paysage de nos campagnes. Les labours dessinent les liens forts qui unissent l’homme à la terre. Votre finale des labours, ici à Monlet, n’est pas seulement une affaire de concours – le meilleur laboureur – mais elle traduit aussi votre amour de la terre, votre goût du travail bien fait pour que les champs produisent les récoltes nécessaires à tous.

Dans l’Evangile, Jésus est attentif à cette belle activité humaine qui s’offre à ses yeux dans les champs qu’il traverse et il en a tiré plusieurs paraboles. A travers les labours, les semailles, les moissons, ce qui parle le plus à Jésus semble être la relation étroite entre la vie et la mort. Labourer, semer, récolter est une question de vie et de mort. Ainsi une des paraboles célèbres est-elle celle du grain de blé. Le grain de blé doit mourir pour germer et donner de nouveaux grains en abondance. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jn 12,24) Mourir pour vivre, telle est l’histoire du grain de blé. De même, les labours vont enfouir les restes des moissons, les plantes adventices et la terre se trouve nue, sans végétation, comme apparemment morte. Puis viennent les temps des semailles et des premières germinations : la vie apparaît, fruit du travail de l’homme, et l’agriculteur contemple avec bonheur cette vie née de son labeur et annonçant la joie de la récolte.

Mourir pour vivre : curieuse logique que celle des semailles et du grain de blé ! Et pourtant cette logique si ordinaire dans la vie des cultivateurs ne résonne facilement ni à nos oreilles, ni à nos cœurs. Faut-il vraiment mourir pour vivre ? Pour les plantes, pourquoi pas ? Mais pour nous ? Nous savons cependant que pour grandir, pour avancer dans la vie, il nous faut laisser sur le chemin bien des choses qui nous encombrent ; il nous faut faire des choix et choisir c’est toujours mourir à d’autres projets, à d’autres désirs, à d’autres rêves ; il nous faut aussi mourir à certaines parts de nous-mêmes si nous voulons être vrais et cohérents dans notre existence. Mourir pour vivre fait partie de nos propres expériences humaines. Si le grain de blé doit mourir pour porter du fruit, nous aussi, dans notre humanité, nous franchissons des étapes de mort pour renaître à une vie nouvelle.

Dans la vie chrétienne, entrer et vivre dans cette dynamique profonde et vitale de l’existence humaine, c’est suivre le Christ sur le chemin même qu’il a tracé. Ainsi dans l’évangile de ce jour, Jésus commence-t-il à annoncer à ses disciples qu’il va souffrir beaucoup, qu’il va être crucifié et mis à mort, mais que le troisième jour il ressuscitera. Pierre lui reproche vivement de tels propos : comment celui qui fait tant de prodiges et parle si bien de Dieu, celui qui se révèlera le Fils de Dieu, peut-il passer par la mort, et une mort aussi infamante ? Jésus interpelle alors ses disciples : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. » (Mt 16,25) et il invite chacun à prendre sa croix et à le suivre. La parabole devient réalité : il ne s’agit plus seulement du grain de blé qui meurt pour porter beaucoup de fruit, mais de Jésus en route vers Jérusalem où il affrontera la calomnie, l’iniquité et la condamnation à mort. Mais du tombeau surgira la résurrection, le passage définitif de la mort à la vie, la victoire de l’amour sur la haine, la violence et l’injustice des hommes.

Pour les disciples de Jésus – ceux de l’Evangile et ceux d’aujourd’hui – cette première annonce de sa mort et de sa résurrection est difficile à entendre, difficile à comprendre, difficile à accepter ! Et pourtant Jésus cherche à leur dire que sa mort ne sera pas le dernier mot de son existence, mais que la vie triomphera dans la résurrection. Jésus n’a pas cherché à mourir mais ses paroles et ses actes dérangeaient trop de gens et remettaient en cause bien des choses, en annonçant qu’aux yeux de Dieu seul l’amour compte et donne du sens à nos vies. Par sa mort, le Christ a vaincu le mal et le péché qui travaillent sans cesse le cœur de l’homme. La résurrection du Christ manifeste la victoire de l’amour sur tout ce qui défigure notre monde, et parfois, chacun de nous.

Mourir pour vivre ! Bien sûr, nous ne sommes pas tous appelés à aller jusqu’au martyre en donnant notre vie jusqu’au bout, bien qu’aujourd’hui, de par le monde entier, des chrétiens soient toujours persécutés. Par contre, la foi chrétienne souligne combien la vie – la « vraie vie » comme on dit parfois – demande des abandons et des effacements, des morts à nous-mêmes, des changements radicaux tant pour nous-mêmes que pour la société. Vous, les agriculteurs, dans vos champs et vos cultures, vous êtes témoins au quotidien de ce nécessaire et beau passage de la mort à la vie. Dans notre société de consommation où règne le « tout, tout de suite », dans notre monde où le présent occulte souvent l’avenir, dans notre culture où la mort est souvent cachée, il est urgent de rappeler que les leçons de la nature ne sont pas une simple parabole mais, avec le Christ, une bonne nouvelle pour tous ! Le passage de la mort à la vie s’inscrit dans vos labours comme dans les labours du cœur de l’homme.