530 chrétiens parents ou proches de personnes homosexuelles ont cosigné un appel aux évêques de France. Retrouvez ci-dessous le texte intégral de L’APPEL AUX ÉVÊQUES DE FRANCE (durée de lecture: environ 15 minutes).
Chers Pères évêques,
En ces temps de confinement, nos familles font l’expérience plus que jamais d’être de petites églises domestiques. Comme le rappelle le cardinal Mario Grech, secrétaire du synode des évêques dans une interview du 23 octobre 2020, « ce n’est pas la famille qui est subsidiaire à l’Église, mais l’Église qui doit être subsidiaire à la famille ». En vous écrivant personnellement, nos familles prennent au sérieux ce principe de subsidiarité, ainsi qu’un extrait du document final du Synode des évêques sur la famille : « La famille se constitue ainsi comme sujet de l’action pastorale à travers l’annonce explicite de l’évangile et l’héritage de multiples formes de témoignages : la solidarité envers les pauvres, l’ouverture à la diversité des personnes […]. »
Nous vous confions un questionnement commun à de nombreux parents catholiques d’enfants homosexuels : la dignité de la personne homosexuelle est-elle bien prise en compte aujourd’hui par la doctrine de l’Église ? La capacité à recevoir la vie de Dieu en abondance et à annoncer la résurrection du Christ est-elle bien reconnue à ces personnes ?
Nous, parents, témoignons que cette dignité et ces capacités sont totales, non diminuées ou déviantes, mais plus complexes à affirmer, à vivre. Nous constatons dans le même temps que le chemin qui conduit à la formulation des réponses, même si certains diocèses y sont engagés, doit souvent encore être tracé. Nous avons à cœur de diminuer les souffrances voire les contre-témoignages provoqués par beaucoup d’ignorance, de manque d’expérience et d’incompréhension.
Le pape François nous invite à construire des ponts, et c’est dans cet esprit de rencontre que nous partageons avec vous, chers pasteurs, notre expérience de parents de personnes homosexuelles qui sont aujourd’hui des hommes et des femmes adultes entre 18 et 50 ans. Nous espérons que cette initiative permettra d’engager un dialogue approfondi, apaisé et concerté dans l’Église, afin de participer à la construction de la « civilisation de l’amour » à laquelle nous sommes tous appelés.
1 – Qui sommes-nous ?
Notre expérience commune au cœur de l’Église
Vous nous connaissez bien, nous sommes même familiers puisque nous œuvrons ensemble depuis quelques décennies au service et au sein de l’Église catholique. Nous sommes des couples mariés, quinquagénaires et plus, pères et mères ou grands-parents de familles catholiques unies, enracinés dans la foi et engagés. Nous sommes vos paroissiens du dimanche ou de la semaine, et avons travaillé à vos côtés lorsque vous étiez prêtres en paroisse : catéchistes, animateurs d’aumônerie, responsables de préparation au baptême, à la confirmation ou au mariage, membres de vos EAP et des groupes liturgiques, responsables scouts, parents dans l’enseignements catholique. Certains d’entre nous sont salariés à l’évêché, diacres mariés ou aumôniers des hôpitaux, ou encore diplômés de théologie.
Nous avons suivi vos pas dans des pèlerinages et participé à des retraites que vous prêchiez, ou bien encore nous sommes membres de communautés nouvelles. Nous avons prié en famille, nos enfants ont été éduqués dans la foi catholique, nombre d’entre eux ont fréquenté les scouts ou ont été servants de messe, puis ont participé aux FRAT, aux JMJ.
Voici ce qui nous est commun et nous pousse à vous écrire : un jour, notre fils, notre fille de 13, 20 ou 30 ans, est venu(e) se confier : « Papa, Maman, je suis homosexuel(le). » Nous n’étions préparés à entendre cela ni comme parents ni comme chrétiens, et pourtant, comme pères et mères aimants, nous avons écouté nos enfants et leur souffrance parfois aigüe de se découvrir ainsi sans l’avoir choisi. Ils ne nous ont pas « avoué » leur homosexualité comme on avouerait un péché. Cette expression prononcée par un évêque sur une radio chrétienne en octobre 2020 est significative du fossé entre le réel vécu par les personnes et la connaissance qu’en a une partie du clergé. Un adolescent découvre son homosexualité, peu à peu, même s’il n’a rien acté. Il s’agit d’une façon d’être au monde, existant même en dehors de toute relation affective. Cette façon d’être au monde ne concerne pas seulement leur vie sexuelle (le mot homosexuel est piégé) mais bien toutes les dimensions de leur personne, corps, cœur, esprit. Il n’y a pas de péché à avouer, « juste » accueillir et consentir à ce qui est, et le vivre dans sa richesse et sa complexité.
Quant à nous parents, à la suite de nos enfants, nous avons cheminé, souvent bien seuls, la sidération laissant peu à peu place à d’autres émotions, colère, déni, tristesse, anxiété, culpabilité. Nous nous sommes questionnés : qu’avons-nous « raté » dans l’éducation de notre enfant ? Nous avons souvent expérimenté la honte qui nous faisait nous taire ou mentir, pour protéger l’image idéalisée de notre enfant et de notre famille. Nous avons eu peur pour notre enfant du harcèlement souvent réservé aux enfants différents à l’école, au collège, au lycée, dont certains restent marqués à jamais. Nous avons parfois traversé des tensions familiales ou des conflits durables après que notre enfant a eu le courage de dire qu’il était homosexuel, et nous avons rasé les murs de nos églises, nous demandant quelle serait notre place si cela se savait.
Nous avons naturellement cherché du soutien dans l’Église, et nous avons dû constater que le sujet était bien souvent tabou, ignoré, méconnu, quand nous ne tombions pas sur des discours ou attitudes blessant à la fois la vérité et la charité. Très rares sont ceux parmi nous qui ont trouvé auprès d’un prêtre une véritable écoute et une parole éclairante, c’est pourquoi nous sommes plein de gratitude à l’égard de ces hommes qui ont posé sur nous et nos enfants le regard que le Christ portait sur ceux qu’il rencontrait. Nous avons souvent fait face à des silences gênés. Nous avons entendu que nos enfants étaient des malades, pervertis, dépravés, affectivement immatures ou qu’ils étaient infestés par des démons. Le texte officiel du CEC résume leur vie psychoaffective à une « propension objectivement désordonnée ». Ces quelques lignes les concernant suivent directement (mais distinctement) les paragraphes sur la pornographie, la prostitution et le viol, ultime violence et injustice qu’on leur inflige lorsqu’à 15 ans ils consultent anxieusement le site du catéchisme. Tout ceci ne correspond en rien aux réalités que nous constatons chez eux depuis leur plus jeune âge. S’ils sont ordonnés différemment de leurs frères et sœurs, ils sont aussi intègres qu’eux et parfois plus. Certains discours vont jusqu’à nous rendre coupables de leur différence : la mère a été trop ci, le père pas assez cela, comme en d’autres temps on rendait responsables les parents de l’autisme de leur enfant.
Avant d’aller plus loin et pour anticiper quelques réactions possibles, nous tenons à affirmer ceci : si nous ne sommes pas membres ou militants de « lobbies LGBT », nous ne sommes pas non plus soumis à une institution ecclésiale qui rejette explicitement ou implicitement ceux que nous aimons, par ses textes et par ignorance de ce qu’ils sont vraiment. Pour n’en citer qu’un, le document Homosexualitas Problema signé le 1er octobre 1986 par le futur pape Benoît XVI affirme que « l’inclination particulière de la personne homosexuelle constitue néanmoins une tendance, plus ou moins forte, vers un comportement intrinsèquement mauvais du point de vue moral » ou encore que « l’opinion selon laquelle l’homosexualité serait équivalente à l’expression sexuelle de l’amour conjugal ou aussi acceptable qu’elle a un impact direct sur la conception que la société a de la nature et des droits de la famille, et met ceux-ci sérieusement en danger ». Notre expérience familiale est tout autre.
Enfin, même si cela n’est clairement pas l’objet de cette lettre, nous souhaitons associer dans notre démarche les parents chrétiens dont un enfant est transgenre, parce que l’ignorance et les difficultés avec l’Église à leur égard sont encore plus grandes.
2 – Que déplorons-nous ?
Les terribles conséquences de l’ignorance et du non-dit
Certains d’entre vous qui n’ont pas eu l’occasion d’écouter des personnes homosexuelles ou leurs familles et n’ont d’autre référence que la doctrine seront peut-être surpris de lire les lignes ci-dessous. Pour d’autres au contraire ces réalités sont bien connues. Nous-mêmes avons longuement et souvent douloureusement cheminé pour faire le triste constat de ce qui suit. Par notre ignorance, notre isolement, notre absence de formation, notre croyance naïve en une Église « experte en humanité », et enfin par notre adhésion à des discours qui prétendent connaître parfaitement le « plan de Dieu » sur nos enfants, nous avons longtemps participé à cette omerta et à ces jugements maintenant les personnes homosexuelles dans la honte de ce qu’elles sont et la culpabilité de ce qu’elles font. Or le prix est cher payé et totalement injuste.
Pour les personnes homosexuelles : les jeunes se découvrant homosexuels peuvent passer par des phases de détresse, de désœuvrement et de solitude venant aggraver leurs interrogations et angoisses intimes quant à la valeur de leur existence et de leurs sentiments et quant à la légitimité de leurs appartenances diverses dont l’Église fait partie. Ils se construisent et se structurent sur l’injure et le mépris entendus dans leur famille, dans la société et aussi dans l’Église.
Certains ont tenté de se suicider, parce que, confient-ils, il leur était impossible de concilier vie chrétienne et homosexualité, et d’autres ne sont plus là pour en parler. Les plus « courageux » qui voudraient sincèrement vivre selon les recommandations du CEC risquent, en cherchant à sublimer, de s’égarer dans des délires mystiques ou de sombrer dans une dépression profonde voire dans des comportements violents parce qu’ils n’atteignent jamais – à quelques exceptions près – l’abstinence affective et sexuelle qu’on tente de leur imposer de l’extérieur. Combien sont ceux qui, parce que leur sexualité n’est pas reconnue, la détruisent par des rencontres furtives et éphémères, se réfugient dans la pornographie, et développent des addictions dont il leur sera extrêmement difficile de sortir ?
Enfin, beaucoup de ceux qui se sont réfugiés dans la vie religieuse dans un esprit de sacrifice expiatoire vain et mortifère ou se sont mariés en espérant que « ça passerait » se voient tomber dans une double vie. Des scandales plus ou moins étouffés éclatent, des familles sont en ruine, des conjoints et enfants souffrent, des demandes de nullité de mariage s’empilent dans les officialités.
Tels sont les chemins de mort encouragés par les jugements et injonctions insupportables que l’Institution Église fait peser sur les personnes homosexuelles, tout en s’en affranchissant parfois pour elle-même. Il est irrationnel de penser que l’homosexualité doterait les personnes concernées d’une capacité spécifique à s’amputer de leur vie affective et sexuelle dès la puberté et pour toujours. Et la foi ne change rien à cette réalité.
Prix cher payé également dans les familles : des parents ayant bien intégré « l’abomination de l’homosexualité » jettent leurs propres enfants à la rue. Des couples ou des fratries jusque-là très unis se divisent. Des jeunes vont suivre des accompagnements organisés par des religieux ou des laïcs animés de bonnes intentions, mais dissimulant derrière diverses appellations séduisantes des « thérapies de conversion » : ces thérapies prétendent guérir le jeune homme ou la jeune femme de son homosexualité, ou tout du moins le convaincre de ne pas la vivre, à travers des sessions promettant « restauration de l’identité », « guérison des racines familiales », « réconciliation de la sexualité », etc. Pire, certains témoignent avoir subi des prières de délivrance de l’homosexualité ou des exorcismes sauvages. Ces thérapies sont non seulement inefficaces, mais dangereuses.
Des familles restent profondément traumatisées par ces expériences menées sur elles et leurs enfants par des pseudo-thérapeutes ignorant ce que les sciences humaines savent aujourd’hui : on ne choisit pas son orientation sexuelle, on ne peut la modifier, on peut seulement apprendre à vivre avec, ce qui n’empêche nullement de désirer suivre le Christ et ses commandements et d’aimer avec respect. Une note publiée fin 2019 par le Service National Familles et Société de la CEF indique que « l’Église catholique ne peut cautionner ces thérapies » : c’est un pas en avant que nous saluons, tout en appelant nos pasteurs à un message plus engagé pour soutenir leur interdiction qui fait actuellement l’objet d’une proposition de loi en France. Près de 400 dignitaires religieux de 35 pays et de toutes confessions ont appelé mercredi 16 décembre 2020 à interdire ces thérapies, mais au jour où nous écrivons aucun évêque français n’apparaît dans la liste des signataires.
Enfin, l’Église paie un tribut élevé : ceux de nos enfants ayant toujours cultivé une foi profonde et une pratique régulière des sacrements désertent les bancs des églises parce qu’ils se sentent rejetés par elle et par Dieu. D’autres n’y trouvent pas l’accueil communautaire réservé à ceux qui vivent en situation dite « régulière », ou n’y trouvent tout simplement pas leur place.
D’autres encore développent, en réponse au rejet qu’ils expérimentent, une opposition frontale et militante contre l’Église. Bien que plusieurs diocèses ou paroisses mettent en place des groupes d’accueil (mot qui en dit long sur le rejet qui a longtemps sévi et qui suinte encore dans certains discours), ceux-ci sont encore combattus par une partie de la communauté : affiches arrachées, entraves diverses.
Par ailleurs des jeunes sans véritable vocation trouvent dans la vie religieuse une issue à leur problématique, ce qui se traduit par une surreprésentation de personnes homosexuelles à tous les échelons de la hiérarchie de l’Église catholique.
Nous constatons enfin de sérieuses incohérences concernant l’accès aux sacrements : des personnes se voient exclues du baptême et de la confirmation, voire d’inhumation religieuse, alors qu’elles vivent en couple de même sexe une relation durable d’amour authentique, tandis que d’autres menant une vie de vagabondage sexuel déshumanisant ont « droit » à ces sacrements. Des prêtres sont obligés de demander à des catéchumènes vivant en couple de même sexe de mentir en déclarant qu’ils sont célibataires, sans quoi le baptême leur est refusé. Concernant les confessions, des jeunes ont vécu des expériences traumatisantes : venant demander pardon et chercher la miséricorde et l’amour de Dieu, ils récoltent des paroles culpabilisantes, parfois menaçantes, quand ils ne sont pas jetés hors du confessionnal avec des insultes.
Il n’est plus acceptable de voir nos enfants, quand ils ont des aspirations spirituelles très fortes, être éloignés de Dieu et des sacrements parce qu’ils sont homosexuels par ceux-là même qui sont censés leur témoigner l’amour et la miséricorde infinie du Père en les guidant, comme tous, vers plus de beau, de bien, de vrai.
3 – Que découvrons-nous ?
Les bienfaits de l’acceptation de la réalité
Bien éloignés de tout militantisme, nous voulons seulement témoigner des réalités familiales que nous sommes nombreux à vivre (en France, on estime à un minimum de 4% la proportion de personnes homosexuelles, soit 3 millions d’hommes et de femmes répartis dans toutes les tranches d’âge).
Nos enfants homosexuels ont fait depuis toujours l’expérience de la différence, de la peur du rejet, du rejet même, de la solitude, de la honte, ce qui a souvent développé chez eux une sensibilité, une empathie, une humilité et une résilience hors du commun. Ils se sont construits dans un milieu et une famille parfois hostiles, sans modèle, leurs parents étant très majoritairement hétérosexuels. A posteriori, ils forcent souvent notre admiration. Ils nous ont enseigné des choses qu’aucun de nos autres enfants ne nous ont apprises : affranchissement du regard des autres, ouverture à l’altérité, acceptation de la part de mystère de l’autre, de ne pas tout comprendre et maîtriser, véritable chemin spirituel d’abandon et de confiance.
Une nouveauté que nous ne pouvons pas ignorer est désormais prise en compte par les théologiens travaillant sur cette question : pour des raisons historiques et sociales que nous n’exposons pas ici, les personnes homosexuelles révèlent désormais leur homosexualité beaucoup plus aisément que par le passé, quand cette réalité était impensable, et donc indicible. Même si ces « coming out » leur demandent parfois des années et beaucoup de courage, elles n’envisagent plus de s’amputer systématiquement de leur vie affective et sexuelle pour obéir à une doctrine qui a produit tant de désordres et de chemins mortifères. Elles sont déterminées à ne plus mentir ni se cacher, mais bien plutôt à vivre en vérité avec elles-mêmes et leur entourage, dans une fidélité aux valeurs de l’Évangile.
Parents, nous reconnaissons en voyant nos enfants homosexuels déjà bien avancés dans leur vie d’adulte que le couple de même sexe fondé sur une relation d’amour authentique et stable est généralement bon pour eux, leur apportant un équilibre de vie comparable à bien des égards à celui de nos enfants hétérosexuels engagés dans une vie de couple. Ils y expérimentent le dépassement de soi, le soutien dans les épreuves, la joie de partager, d’aimer, de servir, de construire un projet de vie… Ils expriment leur amour, y compris de façon incarnée, même si cela paraît à certains d’entre nous difficile à comprendre ou à accepter, et si cette expression des corps est biologiquement inféconde. Cette infertilité biologique n’est d’ailleurs pas leur unique apanage : on marie bien des couples au crépuscule de leur vie. Nous regardons nos enfants dans la totalité de leur être, corps, cœur, esprit, et non à travers le prisme excessivement réducteur de leur activité sexuelle. L’important est qu’ils puissent se donner à leurs prochains et au monde en réalisant pleinement leurs aspirations profondes, notamment au travers d’une vie affective vécue en cohérence avec ce qu’ils sont, ce qui ne les empêche pas de chercher l’amour de Dieu dans leur vie, pour ceux qui ont la foi.
Ces couples d’hommes et de femmes portent des formes de fécondité qui méritent d’être soulignées : non les fruits de leur chair (ce qui constitue déjà en soi une épreuve de vie lourde et parfois un long deuil à traverser), mais des fruits que nos autres enfants mariés ne peuvent pas porter, à cause de leur charge familiale. Nous pensons au rôle souvent irremplaçable que ces couples jouent dans nos familles : attention aux parents malades ou âgés, aux personnes seules, aux jeunes ayant besoin de soutien dans leur orientation et leur insertion sociale et professionnelle, sens accru du service, du don de soi, de l’accueil, de la famille, etc. Nous pensons aussi à leurs engagements en paroisse (sous condition parfois de clandestinité), leur générosité dans la vie culturelle, associative, politique… Nous voyons les chemins spirituels qu’ils font à la suite du Christ et qu’ils incarnent dans leur vie de couple. Omettre ces formes de fécondité pour se concentrer sur la seule dimension génitale de leur vie, ou laisser entendre que ces couples seraient un danger pour les familles nous paraît totalement erroné.
Pour finir, nous témoignons avoir vécu grâce à nos enfants homosexuels une expérience de croissance humaine et spirituelle : l’homosexualité d’un proche nous a ouverts au mystère de l’homme, à l’altérité, et au respect. Ce qui nous a semblé au départ une épreuve parfois insurmontable nous a enseigné l’amour inconditionnel que le Père porte à chacun de ses enfants. Nous avons expérimenté que l’amour auquel le Christ nous appelle va tellement au-delà de nos jugements, de nos préjugés et de notre zone de confort ! Et ce chemin qui fut parfois si douloureux nous a offert des trésors inattendus de paix, de réconciliation, de joie, de fraternité, d’ouverture à l’inattendu de Dieu. Nous avons appris à aimer, vraiment !
4 – Qu’espérons-nous vivre en Église ?
Un regard renouvelé et une estime mutuelle
Dans nos responsabilités de parents figure en premier lieu notre souci de préserver la vie et la santé physique, psychique et spirituelle de nos enfants, et de faire grandir les liens d’amours fraternels et intergénérationnels qui nous unissent. Comme catholiques, nous faisons confiance à l’Église pour nous soutenir sur ces chemins de vie et de croissance, y compris pour nos enfants homosexuels et quels que soient leurs états de vie. Nous pouvons affirmer en ce sens que le chemin initié par le pape François, encourageant à mieux accueillir ces personnes dans nos familles et dans l’Église, nous donne des raisons d’espérer !
Sur le plan doctrinal, nous avons besoin d’un discours approprié à la réalité de ce que nous et nos enfants vivons. En premier lieu nous appelons à un discours plus clair, et donc plus éclairant, qui ouvre des chemins de vie au lieu d’en fermer en poussant des jeunes à la désespérance et des parents au rejet de ce que sont leurs enfants; un discours qui ne reste pas dans une idéalisation immature et inexpérimentée de la vie affective et familiale, mais qui regarde le réel en face et l’aborde sans tabou ; et enfin un discours qui ne provoque pas des blessures et désordres mais qui au contraire soit facteur de paix, de réconciliation et de croissance. Les références à l’Ancien Testament (Lévitique) ou à saint Paul sont inappropriées puisque l’homosexualité à ces époques n’était pas reconnue comme orientation sexuelle qui s’impose à la personne, celle-ci n’ayant été définie qu’au XIXe siècle.
Le catéchisme, publié il y a bientôt 30 ans, traite cette question en quelques lignes lapidaires et confuses, qui sont d’une grande violence pour les personnes qui les lisent pour elles-mêmes ou leurs proches. C’est pourquoi une demande de réécriture du paragraphe abordant cette question adressée aux instances compétentes nous paraît nécessaire et urgente, notamment compte tenu des apports inédits et nombreux des sciences humaines sur cette période.
Dans Un temps pour changer, le pape François écrit en décembre 2020 : « La Tradition n’est pas un musée, la vraie religion n’est pas un congélateur, et la doctrine n’est pas statique mais elle grandit et se développe, comme un arbre qui reste le même mais qui grandit et porte toujours plus de fruits. […] L’Esprit continue à nous guider, à chaque époque, en traduisant la Bonne Nouvelle dans différents contextes, afin que les paroles de Jésus continuent à résonner dans les cœurs et chez les hommes et les femmes. »
Sur le plan pastoral, nous avons besoin que soient créées dans les diocèses des conditions plus favorables à l’expression de la dignité des personnes homosexuelles, pour vivre une pluralité et un dialogue authentiques : il s’agit de libérer la parole et rendre visible la pastorale familiale à destination des personnes et familles concernées, en favorisant les groupes de soutien, de partage et d’échanges d’expérience pour accompagner ces situations de vie. Les jeunes qui se découvrent homosexuels et leurs parents, lorsque cette réalité leur est révélée, ont besoin d’être « équipés » pour aborder un chemin de vie qu’ils n’avaient souvent pas envisagé. Des formations par des professionnels qualifiés doivent être encouragées pour les laïcs comme pour les séminaristes, prêtres, diacres, religieux et religieuses.
On peut espérer ainsi que les enfants concernés par l’homosexualité et leurs proches (parents mais aussi fratries, grands-parents, parrains, marraines…) vivront désormais cette réalité dans la paix, loin de la honte et de la culpabilité qui trop souvent ont dominé jusqu’à nos jours. Il est essentiel que les jeunes élevés dans la foi catholique puissent confier le cas échéant cette facette importante de leur vie à leurs proches sans avoir peur d’être jugés ou rejetés par ceux qu’ils aiment le plus au monde. Nous leur souhaitons de construire leur vie affective de façon cohérente et intègre, fidèles à ce qu’ils sont et à leurs aspirations profondes, sans devoir choisir entre leur homosexualité ou leur foi chrétienne. Enfin nous demandons qu’à l’instar de leurs frères et sœurs, ils continuent d’appartenir pleinement à l’Église avec une place entière et reconnue, et non une place au rabais. Comme tous nos enfants qui ont la foi, ils ont besoin d’être encouragés et nourris dans leur vie spirituelle, de grandir en intimité avec le Christ, d’avancer sur le chemin de vie et d’amour singulier et unique que la vie leur impose. Ce n’est qu’en étant ainsi pleinement eux-mêmes, homosexuel et chrétien, et non amputés de l’un ou l’autre, qu’ils pourront se donner pleinement au monde. Écoutons le cri de ce curé : « Comment tant de jeunes qui n’étaient pas loin de Jésus, parce qu’ils sont homosexuels, s’en sont allés ? Mon cœur de prêtre souffre pour eux, et comment leur dire qu’ils sont aimés de Dieu ? »
Terminons sur une note d’espérance en l’avenir, en ces temps incertains où la jeunesse montre beaucoup de courage et d’abnégation : les jeunes générations sont non seulement prêtes mais dans une attente forte concernant la posture de l’Église vis à vis des personnes homosexuelles. Il n’est pas pensable pour l’immense majorité des jeunes catholiques aujourd’hui de ne pas accepter leurs frères, sœurs, ami(e)s homosexuel(le)s avec leur nature singulière. Ils se réjouissent du bonheur de leur proche lorsque celle-ci ou celui-ci rencontre l’amour, fût-ce avec une personne de même sexe, portant sur elle ou lui un regard chaste et respectueux de sa dignité. Ils l’ont compris, qui sommes-nous pour juger ?
Nous vous assurons, chers Pères, de notre prière pour vous et votre charge de pasteur, dans l’attente qu’un travail approfondi et concerté sur ce sujet voie le jour dans l’Église. Que l’Esprit Saint vous donne sa lumière pour discerner la volonté du Seigneur pour ses brebis.