Visuel: oeuf cosmique.

La revue Eglise en Haute-Loire a consacré un numéro sur foi et science. Nous publions ici en exclusivité la version longue de l’un des articles.

par M. Dominique Roux        

Ce qu’en dit la Bible

De tous temps l’homme s’émerveille devant la Création, il cherche à comprendre : d’où vient le monde ? Quelle est la place de l’homme ? Tout cela a-t-il un sens ? Il cherche à faire usage de sa raison pour tenter de répondre à ces questions, il fait des déductions, des expériences, ainsi naît la science, immense construction humaine pour savoir et finalement maîtriser le monde. D’un autre côté, peu à peu, s’est installée dans l’humanité l’idée d’un Dieu à l’origine de tout, alors sont apparues de grandes religions monothéistes, des croyances en un Dieu qui se manifeste, qui se révèle à l’homme par l’histoire d’un peuple et par des textes fondateurs : Torah, Évangile, Coran. Mais ce Dieu unique, immense et mystérieux, peut-il être lui-même un objet d’étude ? Accessible par démonstration ? Ou par expérimentation ?

Rapidement, l’homme se sent limité, dépassé par une transcendance inaccessible à la simple raison. Le grand prophète Isaïe nous dit (55 ; 8 et 9) :

« Vos pensées ne sont pas mes pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins. C’est que les cieux sont hauts par rapport à la Terre ; ainsi mes chemins sont hauts par rapport à vos chemins et mes pensées par rapport à vos pensées »

Et saint Paul confirme : « Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la science de Dieu ! Ses décisions sont insondables, ses chemins sont impénétrables ! (Romains 11 ; 33)

L’expression des musulmans est encore plus radicale : « Dieu est hors de tout concept ».

Nous allons voir que les mathématiciens savent démontrer qu’une preuve logique de l’existence de Dieu est illusoire, en revanche de grands témoins font état de rencontres avec le divin et d’expériences mystiques décisives, telles que celles que saint Paul relate dans ses lettres, ou telle que celle dont Moïse nous parle au début de la Bible.

Ce qu’en pensent les papes

Saint Jean-Paul II dit : « La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité ».

Dans Fides et Ratio § 100, il poursuit : « La foi et la raison s’aident mutuellement, exerçant l’une à l’égard de l’autre une fonction de crible purificateur ou bien de stimulant pour avancer dans la recherche et l’approfondissement »

François, dans la lettre Lumen Fidei au n° 34 dit :

« Le regard de la science tire profit de la foi ; cela invite le chercheur à rester ouvert à la réalité, dans toute sa richesse inépuisable. La foi éveille le sens critique dans la mesure où elle empêche la recherche de se complaire dans ses formules et l’aide à comprendre que la nature est toujours plus grande ».

Ou encore dans son exhortation apostolique La joie de l’Évangile, § 242 :

« Le dialogue entre science et foi fait partie de l’action évangélisatrice qui favorise la paix. La foi élève l’être humain jusqu’au mystère qui transcende la nature et l’intelligence humaine. La foi ne craint pas la raison ; au contraire elle la cherche et lui fait confiance, parce que la lumière de la raison et celle de la foi viennent toutes deux de Dieu et ne peuvent se contredire entre elles. Ceci est un chemin d’harmonie et de pacification »

De grands témoins

Nicolas de Cues (1401-1464)

Nicolas de Cues est le plus grand philosophe du XV° siècle, le dernier des anciens et le premier des modernes. Il est originaire de la région de Trèves, en Allemagne, au bord de la Moselle. Il est représentant de la mystique rhénane. Son œuvre importante débute par un ouvrage majeur : La docte ignorance et comprend aussi des traités de mathématiques. Car ce cardinal était aussi mathématicien et il est curieux de voir comment il mêle la géométrie à la théologie. Lors d’un retour de voyage à Constantinople où il avait rencontré des musulmans, il dit avoir reçu une révélation divine qu’il appelle « la coïncidence des opposés », selon laquelle des choses qui nous semblent contradictoires ou opposées, en Dieu ne le sont pas, (cf. Ecclésiaste 7; 18), façon de dire qu’en Dieu tout est possible. C’est ainsi qu’il a la certitude que pour Dieu les chrétiens et les musulmans sont équivalents, sont aimés de la même façon. (Le pape François ajoute qu’il en est de même pour les athées ou les agnostiques). Ce principe est très général et s’applique à de nombreux problèmes théologiques. Il revient à dire que le vieux principe de non contradiction, si cher à Aristote, selon lequel une chose ne peut pas à la fois être et ne pas être, ne s’applique qu’à ce qui est créé et fini mais explose dès lors que l’on considère des choses surnaturelles ou infinies. Le cusain représente Dieu par un cercle et chaque homme par un polygone, il affirme qu’il est possible de construire un carré ayant même aire qu’un cercle donné, c’est ce que l’on appelle le problème de la quadrature du cercle, il en donne une dizaine de preuves, toutes fausses, et pour cause, les mathématiciens prouveront à la fin du XIX° siècle que cela est impossible en démontrant que le nombre Pi n’est solution d’aucune équation algébrique. Mais le problème rebondit au XX° siècle sous la forme : est-il possible de découper un cercle en un nombre fini de morceaux et, à la manière d’un puzzle, avec les morceaux de construire un carré ? Problème plus difficile qui fut résolu par le hongrois Laczkovich en 1990, mais le découpage est très compliqué et fait intervenir un nombre astronomique de pièces, environ 10 exposant 50, ce qui est plus que le nombre de particules dans tout l’univers, donc impossible pour l’homme, mais possible dans l’absolu. Finalement Nicolas, guidé par la coïncidence des opposés, avait vu juste.

Hildegarde de Bingen (1098-1179)

Cette grande mystique musicienne du XII° siècle, bénédictine qui a fondé deux monastères, était passionnée par les sciences, particulièrement biologiques et médicales. Elle a reçu depuis son plus jeune âge des visions de feu prodigieuses, par lesquelles Dieu répond à des questions théologiques profondes en particulier montrant l’unité de la Création, la place de l’homme dans l’univers, ce qu’est l’âme humaine, etc. Citons un seul exemple frappant : « l’œuf cosmique », la représentation montre le cosmos, la Terre, la Lune, le Soleil, des étoiles, les bords de l’Univers. Mais c’est en même temps le schéma de l’appareil génital féminin, avec tous les détails anatomiques, jusqu’à la fécondation d’ovules au fond de l’utérus. Magnifique illustration de la coïncidence des opposés entre l’infiniment petit de la reproduction humaine et l’infiniment grand du cosmos. C’est une façon de dire que Dieu a « pensé » sa Création en totalité, de façon globale, en un seul et même mouvement. Mais cette vision prophétique est aussi une mise en garde contre nos agissements : PMA, GPA, etc., car elle montre une relation directe, une interdépendance entre nos petites actions terrestres et l’Univers tout entier. L’homme a fait de remarquables découvertes sur des faits inouïs : la vie, l’évolution (cf. Theilhard de Chardin, homme de foi et de science), le décodage du génome humain en 2003. Mais attention, on annonce sa synthèse pour 2026, alors jusqu’où irons-nous ? Sainte Hildegarde a été proclamée « Docteur de l’Église » par Benoît XVI en 2012. Elle savait que la nature est belle, qu’elle doit être sauvegardée, que tout est prévu pour nous nourrir et nous soigner. 

Blaise Pascal (1623-1662)

Dans la nuit de feu du 23 novembre 1654, il vit une expérience mystique qui bouleverse sa vie. Sur un petit bout de papier, « le mémorial », retrouvé après sa mort dans la doublure de son vêtement, il exprime sa joie, sa certitude, sa foi en le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Mais il dit aussitôt « non au Dieu des philosophes et des savants ».

Autrement dit, il place la foi en la révélation au-dessus de la raison. En l’homme coïncide deux opposés : sa misère, il est petit dans l’immense univers, et sa grandeur lorsqu’il est avec Dieu et qu’il comprend que sans Lui, il est misérable.

 « Les deux raisons contraires. Il faut commencer par là : sans cela on n’entend rien, et tout est hérétique ; et même, à la fin de chaque vérité, il faut ajouter qu’on se souvient de la vérité opposée ». (Pensée Br. 567). Coïncidence des opposés !

Pascal fut un génie mathématique et un grand physicien, d’une profondeur de pensée inégalée. Son intuition très fine lui fait comprendre que la philosophie ne répondra pas à sa quête d’absolu, il écrit : « Descartes inutile et incertain » (pensée Br. 78) et aussi : « Écrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences. Descartes » (pensée Br. 76). Lui qui utilise la langue française avec une précision chirurgicale en connaît les limites car, dit-il, on ne peut pas définir tous les mots, tels que temps, conscience, âme. Pour le verbe être il en donne la preuve : toute définition commence par « c’est ». Marthe Robin disait « les mots sont menteurs ». En conséquence l’accès à la Vérité, à l’Absolu, est hors de portée du langage.

Saint Paul nous dit avoir été enlevé au troisième ciel et y avoir entendu des paroles inexprimables que l’homme ne peut pas redire (2 Cor 12;4) L’expérience mystique permet d’approcher cela, mais elle est souvent incommunicable. Jésus lui-même n’a jamais produit de théorie ni de traité, il s’est exprimé par images, comparaisons, paraboles. La raison, la science, sont utiles, mais ne peuvent pas tout.

« Deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison » (Pensée Br. 253).

Alexander Grothendieck (1928-2014)

De l’avis de la communauté mathématique, il est le plus grand géomètre de tous les temps, même si sa personnalité n’était pas toujours appréciée. Mais il est aussi un des plus grands mystiques du XX° siècle. Son œuvre, plus de 100 000 pages, est monumentale.  Pour moitié de mathématiques et pour moitié de spiritualité. Issu d’une famille juive, il connaît le protestantisme pendant son passage au collège cévenol au Chambon-sur-Lignon de 1942 à 1944, puis il est attiré par le bouddhisme et l’hindouisme dans les années 1960, pour finalement, à la suite de lectures de Marcel Légaut, se tourner à la fin de sa vie vers Jésus, mais à la manière de Simone Weil, sans aller jusqu’au baptême. Il a milité contre la science, qu’il a pourtant tellement fait progresser. Lui qui avait été professeur au Collège de France, il passe les vingt dernières années de sa vie reclus comme un ermite dans un petit village de l’Ariège à écrire, méditer, prier. Ses grands textes : Récoltes et Semailles, La clef des songes, sont non publiés mais accessibles en ligne. Les derniers écrits sont inaccessibles, enfermés dans des malles à Paris en attendant une expertise.

A la base de ce cheminement il y a une expérience mystique fondamentale, non vécue par lui mais par son père, qui était un énergumène anarchiste russe ukrainien ayant été plusieurs fois emprisonné. A la fin d’un séjour en prison ce dernier tente d’assassiner le directeur de la prison. Il est torturé puis enfermé enchaîné dans un cachot. « Le sixième jour a lieu la chose inouïe-qui fut le secret le plus précieux et le mieux gardé de sa vie. C’était une vague soudaine de lumière d’une intensité indicible, en deux mouvements successifs, qui emplit sa cellule et le pénètre et l’emplit, comme une eau profonde qui apaise et efface toute douleur, et comme un feu ardent qui brûle d’amour-un amour sans borne pour tous les vivants, toute distinction d’ami et d’ennemi balayée, effacée… » Encore une coïncidence des opposés !

Saint Augustin (354-430)

Après une jeunesse tumultueuse il se convertit dans un jardin en lisant Saint Paul, devient évêque en Afrique du Nord, puis père et docteur de l’église, penseur majeur du christianisme occidental, ses écrits (en latin) sont fondamentaux.  Il s’intéresse aussi aux sciences, par exemple dans la « Cité de Dieu » au problème des nombres parfaits, nombres qui sont égaux à la somme de leurs diviseurs tels que 6, 28, 496, 8128,… Savoir combien il y en a est une énigme depuis plus de 2300 ans ! Mais concernant la science il écrit :

« Je n’appelle point science ce en quoi l’on peut être sujet à l’erreur. Car la science se compose non seulement de ce que l’on a appris, mais appris de manière à ne pouvoir ni s’égarer jamais, ni même chanceler sous le choc d’aucune contradiction (ce qui fait le procès à nos vaines connaissances humaines, et porte ailleurs le sanctuaire de la véritable science). Mais on n’y parvient qu’avec l’assistance, non des livres, mais d’un seul maître, qui est Jésus-Christ. Lui seul a pu arracher le monde aux ténèbres de l’ignorance, et à la servitude, ainsi qu’aux vaines disputes de la philosophie. Tous les efforts de cette orgueilleuse raison humaine n’auraient pu réussir jamais à délivrer le genre humain des ténèbres où il était plongé et de la fange où il croupissait, si le grand Dieu, dans un mouvement d’une clémence toute populaire, n’était venu parmi les hommes, courbant et assujettissant l’autorité de sa divine intelligence dans une chair humaine, nous donnant non seulement des préceptes, pour réveiller nos âmes, les faire rentrer en elles-mêmes, et les ramener à la patrie, sans tout le vain étalage des disputes de la philosophie »     

Ceci rejoint Isaïe (29, 14), repris par Saint Paul dans 1 Cor 1, 19 :

« La sagesse des sages se perdra et l’intelligence des intelligents s’envolera. » 

Les mathématiques

« Yahvé Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l’homme pour voir comment celui-ci appellerait : chacun devait porter le nom que l’homme lui aurait donné » (Genèse 2;19). Seulement, dans tous les animaux qui se présentent à l’homme, il n’y a pas que les poules, les vers de terre ou les rossignols. Il y a les nombres, les figures géométriques, etc. Toute la difficulté pour le mathématicien est de dégager du chaos l’idée, la clef, qui va permettre de voir, de reconnaître et de comprendre. Alors le mathématicien crée un nouveau mot pour donner un nom à un nouveau concept : vecteur, intégrale, structures algébriques… C’est, par exemple, arrivé une fois à Évariste Galois pour expliquer pourquoi il n’y a pas de formule générale pour résoudre les équations de degré supérieur à 4. C’est arrivé une douzaine de fois à Grothendieck qui était un visionnaire, un créateur d’une puissance exceptionnelle. Il dit « on cherche à tâtons dans le brouillard, puis il y a des trouées de lumière subites et les choses qui semblaient de guingois se mettent en place dans l’harmonie mutuelle qui leur est propre ». Il découvre l’harmonie du monde, une harmonie qui n’est pas due à l’homme mais qui préexiste de toute éternité. On peut dire que le mathématicien entrevoit l’extrémité du doigt créateur, son émotion est alors immense devant tant de beauté, il a un sentiment de cohérence et d’unité profonde.

Un des plus beaux résultats de ces derniers temps est le grand théorème de modularité découvert en 2001 par Breuil-Conrad-Taylor. Pour dire vite, il énonce qu’il y a identité entre les courbes elliptiques (une sorte de S tracé dans le plan) et des objets modulaires (objets chatoyants très riches en symétries, un peu comme un kaléidoscope) via un dictionnaire adapté. Pour le dire de façon imagée c’est comme si l’on disait qu’un ver de terre avec sa lourdeur est identique à un rossignol avec toute sa grâce et sa légèreté. Coïncidence des opposés !

Un autre exemple : le paradoxe de Hausdorff-Banach-Tarski (pour les curieux, voir sur internet) Les enfants aiment jouer avec des puzzles qui permettent avec des petits morceaux de bois de passer d’une figure à une autre, d’un carré à un triangle etc. Bien sûr, la figure de départ et la figure d’arrivée ont même aire. Dans l’espace c’est plus étrange. Par exemple, il est possible de découper une boule en un petit nombre de morceaux (5 ou 6 suivant la méthode) et avec ces morceaux, de reconstituer deux boules identiques à la première. On objectera qu’il n’y a pas conservation du volume, cela s’explique par le fait que les morceaux sont tellement compliqués (ils résultent d’un processus infini) qu’il n’est pas possible de leur attribuer un volume. C’est parfaitement démontré, cela avait même fait l’objet d’un problème de CAPES externe en 2004. Les candidats, guidés par de bonnes questions, avaient su redémontrer ce résultat. C’est irréalisable concrètement mais possible dans l’absolu. Finalement 1 = 2 ! Coïncidence des opposés.

Il y a plus surprenant : Les propositions indécidables. Le logicien autrichien Kurt Gödel avait, en étudiant la non contradiction des mathématiques, annoncé en 1930 que l’on pourrait un jour rencontrer une proposition indécidable, c’est à dire à la fois vraie et fausse (encore une coïncidence des opposés) Cela arriva pour la première fois en 1964 avec « l’hypothèse du continu » : existe-t-il un cardinal (entendre un nombre infini) entre le dénombrable (le cardinal des entiers) et le continu (le cardinal de tous les réels) ? On peut répondre oui ou non, dans les deux cas c’est juste. L’homme a la liberté de choisir sa vérité ! Nous savons que Dieu nous laisse une grande liberté, on peut même lui désobéir, heureusement l’Église nous offre le sacrement de réconciliation. Mais là, ça va bien plus loin : Dieu nous laisse libre face à la vérité, dans le domaine de l’infini. Depuis, on connaît un grand nombre de telles propositions.

Les mathématiques progressent à grands pas, de plus en plus vite. Il y a des progrès gigantesques vers leur « unification ». C’est en particulier l’objet de la « philosophie de Langlands », domaine très complexe dans lequel il y a une grande activité, concrétisée par des médailles Fields (distinction la plus haute décernée tous les 4 ans aux jeunes chercheurs) à Laurent Lafforgue en 2002, Ngô Bao Châu en 2010, Peter Scholze en 2018. Arithmétique, géométrie, analyse…tout se mêle pour construire un édifice extraordinairement harmonieux.

Au début du 21ième siècle, Gilles Dowek, professeur d’algorithmique à l’école polytechnique (science des algorithmes, que l’on met dans les ordinateurs) démontra en utilisant les outils de la logique mathématique que la preuve de l’existence de Dieu, appelée l’argument ontologique, si cher à Descartes, n’est pas valable. Pour dire vite, c’est ceci : on a l’idée de Dieu comme ayant toutes les perfections. Or l’existence est une perfection, donc Dieu existe sinon il lui manquerait une perfection. Gilles Dowek explique que cela prouve seulement qu’une chimère n’existe pas. Pascal l’avait deviné !

La physique moderne

L’homme pressent que des lois gouvernent le monde, le mouvement des astres, les interactions entre les corps… il cherche à les découvrir et élabore des modèles de plus en plus précis et de mieux en mieux ajustés au réel. Mais il se rend compte qu’il ne va pas jusqu’au cœur de la vérité et qu’il n’a pas encore l’explication ultime que l’on appellerait la théorie unitaire. Celle-ci est activement recherchée depuis Einstein. Deux théories se complètent : la Relativité qui décrit le très grand, le cosmos et la gravitation, et la théorie quantique qui concerne l’infiniment petit, les particules élémentaires et trois des 4 forces fondamentales : électromagnétisme, nucléaire faible et nucléaire forte. Mais ces deux belles théories ne s’accordent pas, elles sont inconciliables et utilisent des langages différents : mathématiques du continu pour la Relativité, mathématiques du dénombrable pour la Quantique. Pourtant que de grands et spectaculaires résultats récents ! Confirmation en 2006 du big bang il y a 13,8 milliards d’années par le rayonnement du fond cosmologique, boson de Higgs en 2012 pour expliquer la masse des particules, ondes gravitationnelles en 2015 montrant que le temps et l’espace entrent conjointement en vibrations, photo d’un trou noir en 2019.

Mais c’est dans le domaine quantique que notre intuition et notre sens commun sont le plus déconcertés : découverte de l’indétermination, de la non localisation des particules élémentaires, puis découverte de leur « intrication » une mystérieuse relation causale les relie de façon instantanée (alors qu’en relativité rien ne peut aller plus vite que la lumière), expérience du chat de Schrödinger à la fois mort et vivant selon les valeurs de sa fonction d’onde, (encore une coïncidence des opposés), téléportation de particules et maintenant d’atomes et même d’ensemble d’atomes… La science avance très vite et nous révèle un monde de plus en plus surprenant, reflet d’un projet inouï du Créateur qui, comme le dit la Bible, nous dépassera toujours. En effet, ces théories s’écrivent dans le langage mathématique (Galilée le disait déjà) mais les mathématiques sont un puits sans fond ainsi que l’a expliqué, vers l’an 2000, le mathématicien français Alain Connes, médaillé Fields. Nous arrivons à l’ère du vertige de la métaphysique et nous demandons qu’est le réel ? Quelle est la vérité ? Pour le chrétien, la Vérité est une personne : Jésus-Christ.

Le linceul de Turin

Saint Jean-Paul II disait que cette étonnante relique est une énigme pour la science. On y voit, en négatif, les marques d’un crucifié avec tous les détails de la passion racontés dans les évangiles : marque des clous, de la couronne d’épine, du coup de lance au côté, des coups de fouet dans le dos. On a même observé aux genoux des microcristaux d’une roche qui se trouve à Jérusalem sur le chemin du calvaire. Ce tissu ancien a fait l’objet de nombreuses études poussées. On en a même tiré une image en relief. Sans nul doute, elle n’est pas faite de main d’homme, il n’y a aucun pigment et avec toutes nos techniques on ne saurait pas refaire une telle image qui provient d’une légère brûlure superficielle de l’étoffe. Seule explication : le tissu a été irradié par un mystérieux rayonnement, que l’on peut attribuer au « flash » de la Résurrection du Christ. Les détracteurs ont demandé la datation au carbone 14. Résultat : XII° à XIII° siècle. Mais l’expérience a été faite dans des accélérateurs de particules à Grenoble, puis à Orsay de bombarder un tissu égyptien en lin vieux de 2000 ans. Résultat : le tissu est apparemment rajeuni et arrive dans la même époque, car les atomes de carbone ont été excités par l’irradiation, donc la datation est modifiée. Soit, mais se pose alors un gros problème, celui de la formation de l’image. Car lorsqu’on forme une image photographique sur une pellicule il faut diriger la lumière grâce à une lentille et former l’image au foyer de cette lentille. Sans cela l’image est brouillée, et on ne peut voir aucun détail. Dans le cas du linceul, les rayons sont tous parallèles, le foyer est à l’infini en haut, la direction est verticale, laquelle est définie par le champ de gravitation. Mais alors, il a fallu un couplage entre forces nucléaires et gravitation. On connaît les couplages entre les trois premières forces fondamentales, mais pas encore avec la gravitation qui est la force la plus mystérieuse, la plus faible et celle qui a la plus grande portée. Voilà un sujet de recherche pour les générations futures ! La gravitation joue un grand rôle dans le projet de Dieu. Sans elle il n’y aurait pas de soleil, pas de vie sur des planètes, rien. Elle est nécessaire au fonctionnement du monde. « La pesanteur et la grâce » disait Simone Weil. Marthe Robin disait « lorsque vous voulez vous adresser à Dieu, piquez la verticale ! »           

Conclusion

Thomas dit aux disciples : « si je ne vois pas la marque des clous je ne croirai pas ». Huit jours plus tard le Christ ressuscité se représente aux disciples, Thomas est là, il peut voir et toucher, il s’écrie « mon Seigneur et mon Dieu ! » Jésus lui dit « parce que tu as vu tu as cru. Crois seulement, deviens un homme de foi! » (Saint Jean 20;27) Ceci nous appelle à dépasser l’observation expérimentale ou le raisonnement pour croire véritablement et accéder au domaine de la foi qui va jusqu’à admettre la coïncidence des opposés et à aimer même son ennemi.

Pascal dans une pensée célèbre (Br. 793) parle des trois ordres, l’ordre de la matière, l’ordre de l’esprit, et l’ordre de la charité, et des espaces infinis qui séparent ces ordres. Il n’y a pas de chemin partant des deux premiers ordres pour accéder au troisième. Par exemple ce n’est pas de l’étude du Linceul, remarquable objet pour la science, que l’on pourra tirer une preuve de l’existence de Dieu, pas plus que de la contemplation des vérités mathématiques. Dieu nous surprendra et nous dépassera toujours, Il relève de la foi, c’est d’un autre ordre.

Les grands mystiques rhénans Sainte Hildegarde, Nicolas de Cues (il y en aurait d’autres : les dominicains Maître Eckhart, Henri Suso, Jean Tauler…) ont une foi qui prend racines dans le traité de théologie mystique écrit en Grèce vers le sixième siècle par Pseudo Denys l’Aréopagite, petit traité absolument fondamental de simplement 6 pages sur lequel repose toute la mystique occidentale. Essentiellement, Dieu est totalement inconnaissable, inaccessible à toute expérimentation ou à tout raisonnement, on ne peut ni dire une chose ni son contraire à son sujet. C’est la théologie négative ou « apophatique ». Mais Dieu peut selon son bon vouloir se révéler, se manifester et nous attirer à lui.

Mgr Aveline a dit : « le plus surprenant n’est pas la diversité des chemins que suivent les hommes pour aller à Dieu, c’est la diversité des moyens que prend Dieu pour se révéler aux hommes ».

Il ne faut pas confondre la science et la foi. On les oppose souvent et pourtant on peut les concilier. Marthe Robin m’avait dit (c’était en 1973) : « Les mathématiques ça n’empêche pas ». La Bible ne dit pas comment est fait le ciel mais comment on va au ciel. Le XXI° siècle est devant des défis majeurs, plus que jamais il faut un vrai dialogue entre la science et la foi, se gardant de tout dogmatisme, qu’il soit religieux ou scientifique.

Une voie intéressante est celle de la « joyeuse incomplétude » proposée par Thierry Magnin (prêtre, docteur en physique et en théologie), version moderne de la docte ignorance de Nicolas de Cues et de la coïncidence des opposés.

Post-conclusion

Il manque un mot à la langue française pour désigner la dimension philosophique contenue dans une vision, une révélation, ou une expérience mystique. Ce contenu est inexprimable parce qu’il est multiple, s’étale sur plusieurs plans dans une profonde unité. Pour désigner cette supra-philosophie j’oserais les expressions « philosophie multidimensionnelle » ou « philosophie holographique ». Un hologramme est une image plane qui, lorsqu’on la regarde, donne une vision en relief de l’objet photographié. On passe de la dimension deux à une dimension supérieure grâce à un procédé optique. Cela permet de voir plusieurs choses à la fois.

Prenons l’exemple d’une vision de sainte Hildegarde (elle nous en laisse une quarantaine). Chaque représentation graphique contient plusieurs messages fondus ensemble, sur la Trinité, sur l’Église, sur le Fils de l’homme, etc. L’œil perçoit en un seul regard tout un ensemble d’expressions ineffables, que le langage ne peut pas détailler.

On peut penser que ce genre de vision submerge à un tel point l’esprit humain qu’il en est bouleversé et ne peut plus s’exprimer. C’est ainsi que le grand dominicain Saint Thomas d’Aquin, docteur angélique, a été stoppé net dans la rédaction de son œuvre colossale par une vision unitaire indicible. Son secrétaire avait beau le supplier « Maître continuez à dicter, c’est trop beau » Ce dernier répondait :

 « Brûlez tout, c’est de la paille ! ».

Ce sont des avant-goûts terrestres de la vision béatifique qui nous attend dans le Royaume des cieux.  Saint Paul annonce toute la joie que nous aurons. Le voile tombera nous dit-il dans sa deuxième lettre aux Corinthiens (3 ; 16 à 18). Dans l’épître aux Colossiens (2 ; 2 et 3), il nous promet « d’accéder, en toute sa richesse, à la plénitude de l’intelligence, à la connaissance du mystère de Dieu : Christ en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance ».

Saint Jean dans sa première lettre nous dit : « nous Le verrons tel qu’Il est » (3;2).

Marthe Robin a laissé une grande prière qui est prononcée tous les jours dans les foyers de charité de lumière et d’amour qu’elle a engendrés depuis son lit, il y en a plus de 70 répartis sur toute la planète. Cette prière se termine par :

« …jusqu’au jour où notre âme, pleinement épanouie aux illuminations de l’union divine, verra toutes choses dans l’éternel Amour et dans l’Unité ».

Bibliographie

  • Anglès, Micali, Parrochia : L’unification des mathématiques, Hermès, 2012
  • Nicolas de Cues : La docte ignorance, Flammarion, 2013
  • Sophie Guex : Chemins vers le silence intérieur avec Marthe Robin, Parole et silence, 2020
  • Pierre Dumoulin : Hildegarde de Bingen, Ed B, 2015
  • Bernard Guy : Dieu et la science, Aubin, 2009
  • Thierry Magnin : Le scientifique et le théologien, DDB 2015
  • Bertrand Souchard: Dieu et la science en questions, la Renaissance 2010
  • Roger Vercellino-Aris : La science face à la Bible, 2010
  • Yvonne Flour et Philippe Capelle-Dumont, dir. : Rationalités et christianisme contemporain, Parole et silence, 2019