+ Philippe Marsset, évêque auxiliaire de Paris et invité des festivités

Basilique Saint Joseph de Bon Espoir

J’ai l’impression qu’on redécouvre St Joseph (livres, sanctuaire, lettre du Pape) dans notre époque où il y a tant à renouveler et purifier dans nos modes de vie sociale, familiale, politique, relationnelle : dans tous ces domaines il y a de moins en moins de pudeur, de bienveillance, de justes distanciations : ces qualités qui s’appellent, depuis la sagesse grecque, la chasteté.  La chasteté est une vertu morale, laïque. Mais le christianisme va s’en saisir pour la conjuguer avec les vertus que nous appelons théologales : la Foi, l’Espérance, et la Charité

  • Avoir une vie de foi chaste
  • Vivre des amours et des amitiés chastes
  • Vivre l’espérance aussi dans la chasteté

La chasteté christianisée c’est vivre des relations humaines et donc affectives sous la mouvance de sa relation à Dieu, sous le regard de la sainte Trinité : unifier sa vie morale (relations horizontales) et sa vie théologale (relations verticales), sa vie morale et sa vie spirituelle. C’est inscrire sa vie dans la Croix du Christ, dans le sens : 1/ Vivre une vie saine avec Dieu. Pour 2/ : vivre une vie ajustée avec les autres. Et notamment pour la chasteté : avec ceux que j’aime.

La chasteté n’est donc pas réductible à l’abstinence! La chasteté c’est tenir sa juste place, dans son relationnel familial d’abord. St Joseph est un homme chaste parce que dans tout ce qu’on sait de lui, il a tenu sa « juste » place. C’est même le premier qualificatif qu’on lui donne dans l’Evangile : «un homme juste ». Il l’a été dans sa vie d’artisan, de fiancé, d’époux et de père. Ça veut dire qu’il avait une belle vie spirituelle, une belle relation à sa foi juive et que sa fiancée le savait et c’est même pour ça qu’ils s’aiment. La chasteté de st Joseph n’a pas commencé avec sa rencontre de Marie, elle datait d’avant. Elle existait dans sa vie sociale et professionnelle : on dirait aujourd’hui qu’il avait « une bonne posture » dans son travail, ses amitiés, sa foi.

Sa vie de foi lui a fait accepter de ne pas vivre avec Marie une fécondité charnelle. Humainement incompréhensible, il décide de renvoyer sa formidable fiancée. Mais un ange le rattrape juste avant le drame et lui explique l’inexplicable : « Joseph, je veux que tu sois l’heureux instrument et le signe d’une autre paternité : celle de Dieu ». Pourquoi accepte-t-il cela ? Parce qu’il est « juste », comme on a dit d’Abraham, dans l’Ancien Testament qu’il était juste : « espérant contre toute espérance, il crût » (Romains 4, 18) : comme Abraham, il a vécu la même épreuve d’avoir à sacrifier sa paternité. Abraham ce sera après avoir exercé sa paternité biologique : il devra accepter de donner Isaac. Joseph : ce sera avant. Ceci peut nous faire comprendre que la fécondité charnelle n’est pas suffisante pour faire un père : être père ce n’est pas seulement faire un enfant ! C’est faire grandir cet enfant. Et le faire grandir sous le regard de Dieu. La paternité charnelle est confiée à cette autre paternité de laquelle nous trouvons tous notre origine : la paternité divine. Par exemple, quand vous avez fait baptiser vos enfants, vous avez fait un vrai acte de chasteté en reconnaissant que votre enfant n’est pas d’abord votre enfant. Le baptême nous rappelle que les liens de chair ne sont pas les plus fondamentaux. Ils doivent être irrigués par ces liens de l’adoption filiale parce que tout homme est un enfant adoptif de Dieu. C’est aussi ce qu’on apprend dans les familles, quand l’enfant a grandi, en acceptant un deuxième acte de chasteté: le laisser partir avec une autre personne du sexe opposé : « l’homme quittera son père et sa mère… et s’attachera… » (Matthieu 19,5)

Joseph est aussi licencié ès chasteté dans sa manière de gérer son trouble. Et quel trouble : Marie enceinte sans lui !Dieu est venu dans sa vie quand Lui, Dieu, l’a voulu et certainement pas comme lui, Joseph, s’y attendait. Sa chasteté est dans cette manière dont il va choisir de prendre du recul par rapport à ce qu’il apprend. Si les réseaux sociaux avaient existé, il n’aurait pas posté la nouvelle : sa chasteté lui a permis de préserver la renommée et la dignité de sa femme. Dans notre monde numérique nous avons besoin (et de plus en plus) de cette chasteté car l’anonymat des réseaux sociaux nous fait vite devenir impudiques dans nos mots : demandons à St Joseph, le juste, de ne pas vivre de manière pulsionnelle ni notre vie numérique, ni notre vie relationnelle !

Cette manière unique de vivre dans la chasteté va donc permettre à Joseph de sauver son couple qui commençait tout juste. Cela va lui permettre de remplir aussi sa mission éducative : avec Marie, ils vont transmettre à leur fils unique leurs raisons de croire qui sont identiques à leurs raisons de vivre. Marie va lui apprendre à lire la Torah, sur ses genoux. Et Joseph va lui apprendre à vivre la Torah. Joseph remplit cette mission sous l’autorité de Dieu qui est Père. Joseph est un passeur, un éducateur. Il est celui qui donne la loi, celui qui sait la rappeler,  celui qui croit en son enfant. Et il fait tout cela avec amour : le père ne donne pas la loi comme un catalogue, même si c’est le Décalogue, il la donne toujours en dialogue. L’éducation, ce n’est pas donner la foi à son enfant – c’est Dieu qui la donne- c’est lui donner l’envie d’avoir la foi. Notamment par son attitude ! Dans cette perspective, St Joseph est un modèle d’obéissance : aussitôt réveillé, il fait tout ce que l’ange lui a dit. Joseph est l’homme qui obéit à Dieu en obéissant à sa Parole. Lui, il avait un ange. Nous, nous avons l’Evangile !

Joseph, c’est l’homme obéissant à Dieu et donc protecteur des siens. D’abord, sa femme : « Il prit chez lui sa femme ».  Aujourd’hui on dirait qu’il a pris soin de sa conjugalité : il refuse de bannir Marie.  Prendre soin de sa conjugalité ouvre la porte pour la réussite de sa parentalité.

Joseph a encore marié sa chasteté avec la vertu d’espérance ; car il a su voir toujours plus loin que les apparences ; il discerne les signes de Dieu malgré les apparences contraires : Premier signe : accepter de devenir père sans avoir de relation sexuelle avec Marie : cela n’est possible que s’il est sûr que c’est bien l’ange de Dieu qui le visite ; et l’ange l’appelle « fils du roi David » comme si c’était la raison pour laquelle l’ange le visitait. Or, c’est Hérode qui est pour le moment sur le trône de David ! Joseph va dépasser l’incompréhension de ce qui lui arrive. Il n’est pas l’homme de la naïveté, il est l’homme de l’espérance. Il n’est pas l’homme de l’ombre, il est l’homme de la Nuée, au sens biblique: il vit dans l’Esprit.

Cette acceptation chaste de st Joseph vient de son amour aussi inconditionnel que modeste pour Dieu : une foi et un amour proportionnés à la foi et l’amour d’Abraham. Abraham au seuil du premier Testament, Joseph, au seuil du Nouveau. Car la foi et l’amour sont toujours indissociables ; la foi crée de l’amour. L’amour crée de la foi, de la confiance. Dieu nous donne la foi pour qu’on vive dans son Amour : Il y a bien quelque chose de cruciforme dans l’amour de st Joseph : vertical et horizontal dans son amour pour ses deux trésors que Dieu lui a confié : « la mère et l’enfant ».

St Joseph nous apprend que la chasteté n’est pas un état de vie. C’est une tâche à accomplir quel que soit son état de vie, c’est une mission aujourd’hui pour notre famille, pour notre pays et pour notre Eglise.