Homélie du cardinal Paul Poupard, Président émérite du Conseil Pontifical de la culture et du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux, prononcée lors des fêtes de l’Assomption, le 15 août 2017 au Puy-en-Velay.

Cher Monseigneur,

Chers Frères et Soeurs en Jésus-Christ,

Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur ! Oui, c’est pour nous tous une grande joie de redire après Marie et avec elle son cantique d’action de grâces, le Magnificat jaillit au coeur du mystère de l’Annonciation, alors que nous célébrons la grande fête mariale de l’Assomption, en ce sanctuaire consacré par la piété millénaire de nos pères.

C’est pour nous, au coeur de l’été, une halte de joie. Tant de préoccupations nous accaparent, tant de problèmes nous assaillent, tant de soucis nous obsèdent. Ce matin, avec foi, espérance et amour, nous voulons les déverser tous dans le coeur de la sainte Vierge Marie, pour lui redire, avec les mots de saint Louis-Marie Grignon de Montfort, repris comme devise par le saint pape Jean-Paul II, Totus Tuus (Tout à toi).

Son exemple vivant nous entraîne à suivre le conseil de saint Louis-Marie Grignon de Montfort, comme je le chantais tout enfant, en ma jeunesse angevine, avec ses disciples, les Pères Montfortains : « Pour aller à Jésus, allons chrétiens, allons par Marie ». Marie nous conduit à Jésus. Selon l’image chère à Jean-Paul II, elle est la route, elle est le chemin vers Jésus, ce Jésus qu’elle a porté en son sein, ce Jésus qu’elle a mis au monde à Bethléem, ce Jésus qu’elle a éduqué avec amour à Nazareth, ce Jésus auquel elle a, si discrètement et efficacement à la fois, suggéré à Cana son premier miracle. Ce Jésus qu’elle a suivi jusqu’au calvaire et à sa mort sur la croix ; ce Jésus qu’elle a retrouvé vivant à la résurrection, ce Jésus, enfin, qu’elle a rejoint dans son assomption que nous célébrons aujourd’hui avec joie.

C’est au pape Pie XII que nous devons la définition de ce mystère, proclamé en la fête de la Toussaint, dans la basilique saint-Pierre de Rome, le 1er novembre 1950 : « Au terme de sa vie terrestre, l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours vierge, a été prise corps et âme dans la gloire céleste ». Certes, l’Église n’avait pas attendu jusqu’à ce jour pour célébrer le dies natalis de Marie, le jour de sa naissance au ciel. Dès les premiers siècles, la piété des premiers chrétiens l’a fêté, tant il était sûr, pour eux comme pour nous, que Marie, dans son corps très chaste et son âme très pure, devait sans attendre rejoindre son divin fils en compagnie des anges. Le Christ n’avait-il pas dit : « je m’en vais vous préparer une place » Jn 14, 2). Marie ne pouvait être prisonnière de la mort, elle qui est la mère de Celui qui a vaincu la mort mère du Christ et mère des hommes.

Aussi est-ce pour nous un grand signe d’espérance, une grande source de joie. Nous aussi, nous sommes appelés par-delà la mort à vivre avec Marie, à vivre comme elle avec le Christ dans l’amour partagé avec tous les saints, avec tous ceux que nous avons connus et aimés, comme avec la foule innombrable qu’évoque avec lyrisme saint Jean en ses sublimes visions de l’Apocalypse C’est pourquoi nous nous réjouissons déjà avec elle en égrenant notre chapelet des mystères joyeux, lumineux, douloureux, glorieux : « Je vous salue Marie pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus le fruit de vos entrailles est béni. Saint Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pêcheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ».

La bienheureuse Vierge Marie, mère du Sauveur, est avec son divin fils et nous appelle à la rejoindre dans cet amour partagé. Son assomption nous montre que Jésus, déjà, accomplit sa parole : « Tout pouvoir m’a été donné, au ciel et sur la terre », et donc ce pouvoir inouï, extraordinaire, qui n’appartient qu’à Dieu, de vaincre la mort. Rappelons-nous la prière de Jésus, avant sa passion au jardin de Gethsémani, non pas pour lui, mais pour nous : « Père saint, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi » (Jn 17, 24), et cette autre parole : « Que celui qui me sert me suive, et que partout où je suis, il soit aussi Jn 12, 26). « Oh profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu — comme le dira saint Paul (Rm 11, 33) »

Marie qui est une humble femme de notre terre, Marie qui n’est pas Dieu, déjà communie en plénitude avec la vie de Dieu dans l’amour éternellement partagé au coeur de la Trinité Sainte entre le Père, le Fils et le Saint Esprit. En elle déjà, c’est toute notre humanité qui est transfigurée dans la communion mystérieuse si profonde que nous appelons familièrement la communion des saints.

N’est-ce pas la vocation de la Sainte Vierge Marie, que de toujours devancer l’Église, pour ainsi dire, à chaque étape, auprès du Christ naissant, auprès du Christ évangélisant, auprès du Christ souffrant et mourant, auprès du Christ glorieux. Marie est, corps et âme, avec son Fils, Jésus le Christ, ressuscité. C’est notre foi, c’est notre joie, c’est notre espérance, c’est notre amour.

Marie a été prise dans la gloire du ciel, Marie l’Immaculée vierge et mère, Marie mère du Christ et notre mère, a suivi son fils et elle précède ses enfants que nous sommes. Elle le professe dans l’humilité du Magnificat : ce n’est pas son mérite, c’est le don de Dieu : « Il a regardé la pauvreté de sa servante, il a déposé les puissants de leur trône, il a élevé les humbles et c’est pourquoi toutes les générations me diront bienheureuse ».

Oui, Marie est la toute première parmi l’innombrable peuple des humbles, la première parmi la foule immense de tous les rachetés, sainte et pleine de grâces, premier fruit et l’image la plus parfaite de l’Église ; cette Église, notre Église, capable de traverser les persécutions les plus tragiques, dans la fidélité au Christ, comme tant de martyrs tout au long des siècles et, aujourd’hui encore, presque chaque jour, pouvons- nous dire, en notre monde en proie aux violences fratricides : « Plutôt mourir que de renoncer à la foi », car la mort n’a pas le dernier mot, malgré les apparences. Le mystère de l’assomption de la Vierge Marie nous le rappelle : même si c’est à travers la mort, c’est vers la vie que nous allons.

« Pour aller à Jésus, allons chrétiens, allons par Marie. Pour aller à Jésus c’est le divin secret des élus ».

Nous le redisons avec toi, Marie, dans la joie partagée de cette grande fête de l’Assomption : « mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur, le Puissant fit pour moi des merveilles, saint est son nom, il se souvient de son amour, de la promesse faite à nos pères en faveur d’Abraham et de sa race à jamais » Amen.