Dans notre diocèse, deux aumôniers catholiques rencontrent les prisonniers au nom de l’Église : chaque semaine, ils font des visites en cellule pour ceux qui le demandent. Le samedi, des paroissiens les rejoignent pour un temps de partage sur la Bible et les détenus peuvent participer à la messe une fois par mois. Un aumônier et un prisonnier nous livrent un échange qu’ils ont eu sur Dieu, le temps qui passe et l’avenir.
Bonjour Thomas, comment vas-tu ?
Bien. Et vous, ça va ?
Ça va bien, merci. La semaine dernière, tu m’avais dit que tu n’avais pas eu de nouvelles de tes enfants depuis ton incarcération, il y a trois semaines. As-tu pu en avoir ?
Indirectement, oui, par l’intermédiaire de la SPIP (services pénitentiaires d’insertion et de probation). Maintenant, j’attends toujours de pouvoir les joindre par téléphone. J’attends que le juge donne son autorisation. Quand ? Je ne sais pas, surtout qu’on arrive à la période des fêtes…
As-tu pu avoir une visite de ta femme ?
Non, pas encore… J’attends là aussi qu’elle ait le droit de visite et que la procédure se mette en place : il faut qu’elle appelle au bon moment pour effectuer la réservation d’un parloir qui ne peut être faite que pour un jour de la semaine suivante et bien sûr sur un créneau libre. Vu qu’elle travaille, c’est difficile pour elle et puis il y a la distance : 2h de route pour ¾ d’heure de parloir, ça fait réfléchir, surtout maintenant avec le prix du gasoil.
Est-ce que tu es jugé ?
Non pas encore, je suis en ce qu’ils appellent “la préventive” ; mon affaire est “en instruction” et je n’ai aucune idée du temps que cela prendra (soupirs) ; j’attends la visite de mon avocat ; il me donnera peut-être quelque information, mais je ne sais pas du tout quand il viendra ; comme j’ai peu de ressources, c’est un avocat commis d’office…
(Après un bref silence, Thomas continue) Enfin, je ne vais pas me plaindre : j’ai fait une connerie, c’est normal que je paie en étant privé de liberté. Il y a plus malheureux que moi, ici bien sûr, mais aussi à l’extérieur : moi, j’ai un toit, des repas réguliers et il y a quelques activités pour nous… il y en a qui n’ont pas cette chance !
Tu vas à l’école ? A la bibliothèque ? En salle de sports ? Tu as fait une demande de travail ?
Je vais à l’école ; c’est super ; d’abord, ça m’occupe, ça me donne l’occasion de sortir de ma cellule ; tu, sais, enfermé 22h sur 24, c’est long, c’est très long… et puis, j’apprends des choses et l’instit nous propose vraiment un parcours individualisé. La bibliothèque, j’y suis allé une fois, c’est à des créneaux horaires précis ; c’est chouette, une équipe de personnes extérieures bénévoles s’y est investie ; l’autre jour, je pensais pouvoir y revenir… je ne sais pas ce qui s’est passé, mais le surveillant n’est pas venu me chercher. J’étais un peu déçu, mais je me rends compte qu’ici, c’est aussi l’école de l’apprentissage de l’attente déçue. Pour tout, il faut attendre : que la gamelle arrive, que la porte s’ouvre pour sortir en promenade ou aller à l’infirmerie, pour “cantiner” les produits de base (hygiène), le tabac ou les produits permettant d’améliorer l’ordinaire… Et c’est souvent que ça ne se passe pas comme prévu : il n’y a pas de place en salle de sports pour tous ceux qui veulent y aller, du coup c’est à tour de rôle, mais on ne sait jamais à l’avance si c’est pour nous ; j’ai fait une demande pour travailler, mais on m’a dit qu’il n’y avait rien pour le moment et on m’a fait comprendre qu’il y avait peu de chances qu’il y ait quelque chose pour moi vu qu’on était plusieurs à faire cette demande et que n’étant pas indigent, je ne suis pas prioritaire. Peut-être, un jour pour moi si Dieu le veut… L’espoir fait vivre, dit-on, n’est-ce pas ?
Tu parles de Dieu. C’est important pour toi ?
Eh bien, figures-toi… j’ai l’impression qu’ici, ça me rapproche de Dieu. Tu sais, j’ai été baptisé, je suis allé un peu au catéchisme et quand j’étais petit, j’accompagnais ma grand-mère à la messe le dimanche et pour les fêtes. Elle avait toujours son chapelet avec elle. Tu vois, le chapelet que tu m’as donné, il me rappelle aussi tous les bons moments passés avec elle. Mais, ensuite, la vie m’a éloigné de tout ça… Je ne pratique pas et il y a très longtemps que je n’y suis pas allé, si ce n’est à l’occasion de l’enterrement de proches. Ici, je suis au troisième niveau du lit à étage, et de la fenêtre de ma cellule, j’ai une superbe vue sur la statue de la Vierge. Quel bonheur de la redécouvrir chaque matin quand j’ouvre un œil. Je me sens moins seul ; je lui dis bonjour et j’ai l’impression qu’elle me sourit en me souhaitant une bonne journée. Du coup, je me rappelle qu’elle a vécu des moments de solitude et de souffrances terribles et qu’elle peut me comprendre et me soutenir. Ça me fait chaud au cœur et ça me permet de commencer ma journée du bon pied.
Ces journées, comment tu les occupes ?
Si je peux me permettre, j’ai envie de dire que la prison, c’est paradoxalement une école du crime.
Ah bon, qu’est-ce tu veux dire par là ? Que les relations en prison banalisent la violence et toutes sortes de vices ?
Oui, mais pas que ; en prison, il faut qu’on apprenne à TUER LE TEMPS… Snon, c’est lui qui nous tue. Tiens, je suis resté en cellule pendant quelques jours avec Ludovic (je crois que tu le connais) : eh bien, j’ai vu son état se dégrader de jour en jour à tel point que c’est devenu quasiment une loque : il reste au lit la plus grande partie de la journée, il s’alimente de moins en moins, grignote à toute heure du jour ou de la nuit, sa compagne l’a laissé tomber, son fils ; il n’a plus de relations avec lui depuis une dizaine d’années… Visiblement, il n’attend plus rien de la vie : pour quoi se lever le matin quand on sait qu’on est là certainement pour longtemps, que personne ne nous attend dehors ? Je comprends qu’on puisse sombrer… J’ai compris qu’on l’avait mis avec moi parce que l’administration considérait qu’il avait un risque suicidaire et qu’il ne fallait pas le laisser seul… Tu vois, j’étais un peu son ange gardien (rire).
Et toi, qu’est-ce qui fait que tu peux m’accueillir avec le sourire ?
D’abord je suis content que tu viennes me voir. Tu sais, mardi dernier, tu n’es pas venu ; je t’ai attendu et j’ai été un peu déçu de ne pas te voir.
Excuse-moi, mais j’ai été retenu plus longtemps dans une autre cellule et quand j’ai été disponible, c’était l’heure des promenades et il fallait que je m’en aille. Je suis vraiment désolé de t’avoir déçu.
T’en fais pas ; ma déception n’a été que passagère et je sais bien que vous n’avez pas que moi à voir ; vous êtes disponible pour nous écouter et on aborde ensemble des questions dont on ne parle avec personne autre.
Ah oui, par exemple ?
Tiens l’autre jour, tu m’as proposé qu’on lise ensemble la parabole du fils qui s’en va, mène une vie de débauche et se dit un jour que ça ne plus durer comme ça… J’avais l’impression que c’était mon histoire qui était racontée. Moi aussi, je veux changer… J’en ai marre des vols et de la violence, je me rends compte que progressivement je perds des choses trop précieuses, comme être coupé de mon fils, j’ai envie de le voir grandir et de faire des choses avec lui et lui faire comprendre qu’il ne faut pas qu’il suive le même chemin que moi. Je me suis inscrit au CAP de cuisine ; je suis content car j’ai été retenu et ça va me permettre de trouver un boulot à ma sortie de prison, de pouvoir payer mon loyer et les factures… Enfin quoi de vivre normalement auprès de celles et ceux que j’aime et qui m’aiment. Pour le moment, ce n’est qu’un rêve.
Un rêve que tu prépares à devenir réalité.
Oui, je l’espère ; oui, mais tu vois, ici, on est tiraillé : quand je sors en promenade, je vois que beaucoup d’autres ne sont pas conscients qu’il faut préparer sa sortie pour avoir quelque chance de la réussir : ils ne parlent que de troc, de combines, de sexe… Quel décalage avec les rencontres du samedi matin que vous nous proposez : c’est une vraie bouffée d’oxygène… En plus, il y a des personnes qui viennent avec vous ; c’est fou qu’elles donnent de leur temps pour nous ! On se présente, on s’appelle par notre prénom, on échange “notre météo du cœur” … on oublie alors qu’on est un numéro d’écrou… C’est un ilot de calme et de respect mutuel ; on est apaisé et, comme on est peu nombreux, un climat de confiance s’établit entre nous et on peut échanger en profondeur. Parfois, c’est la messe et ça n’a rien à voir avec les souvenirs que j’en avais : c’est tout simple, mais on participe tout au long en aidant à la mise en place et au rangement de notre chapelle improvisée (habituellement, salle de classe), en chantant, en partageant à partir des textes proposés par la liturgie, en priant. Tiens, un moment que je n’oublierai jamais : un jour alors qu’on se donnait tous la main en priant le Notre Père, j’ai réalisé qu’on était tous frères, et cela, quelle que soit notre langue. Cette prise de conscience fait que, de retour dans notre quotidien de détenu, on est davantage attentif aux autres. Quand il n’y a pas de messe, c’est un temps d’échange, de méditation et de prière. On peut s’exprimer librement dans ce groupe de parole.