L’encyclique Laudato Si, la première consacrée aux préoccupations de l’écologie ne cesse de nourrir les réflexions et actions en faveur de la protection de la maison commune , notamment à travers l’idée centrale du « Tout est lié ». Par cette vision intégrale de l’écologie, le pape François souligne que « l’existence humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu, la relation avec le prochain et la relation avec la terre »1.

En cela, c’est une invitation à examiner comme ces relations s’interpénètrent, par exemple comment la relation à la terre ouvre à une présence de Dieu en son sein et conduit à un élargissement de la notion de prochain. La conversion écologique à laquelle nous (chrétiens) sommes appelés (LS § 217-221) nous conduit à une spiritualité du décentrement et de la communion qui intègre tous les êtres vivants.

Ma compréhension du « tout est lié » est fondée, il me semble qu’un terme, échappe à notre attention, peut nous permettre de mieux saisir le drame écologique qui se joue sous nos yeux : l’indifférence. Ce terme a six occurrences dans l’encyclique. Comprise comme déstructuration ou déconstruction de soi et donc de la relation à l’autre, l’indifférence peut être vue comme  lieu éthique et théologique de l’analyse que fait François de cette crise. Le Pape montre le lien indéniable entre la destruction de l’environnement, la dysharmonie avec le Créateur, la précarité des pauvres et la déstructuration de la relation aux autres.

J’essaierai de présenter une analyse du terme de l’indifférence dans la pensée du Pape face à la crise écologique.

La question de l’écologie est aborder du point de vue de l’écologie intégrale, comme en témoigne cette expression « tout est lié » récurrente dans son encyclique (9 utilisations s’égrènent au fil des paragraphes 16-70-91-92-117-137-138-142-240 et 13 mentions de la question du lien). La principale manifestation de cette écologie intégrale se perçoit à travers une triangulation : Dieu, l’autre et la création. Il s’agit donc d’une question de l’ l’ interaction d’interdépendance. C’est elle qui sert de pilier pour penser le concept d’écologie intégrale dans une vision laudatosienne du Pape François.

De cela en découle cette maxime qui rythme l’encyclique comme un refrain : « tout est lié ». Sur le plan philosophique, exister c’est être dans un état de reliance qui implique que la relation n’est plus une catégorie accidentelle, mais qui concerne bien l’essence même des choses.

Dans ces trois modes de relation, une est rectrice des autres, à savoir la relation à Dieu. Une vie harmonieuse avec le Créateur entraine l’harmonie avec soi, avec autrui et avec toute la création. Le Pape Francois définit l’indifférence comme : « L’indifférent est celui qui ferme le cœur, les yeux pour ne pas voir ce qui l’entoure ; qui se ferme pour ne pas être touché par les problèmes des autres. Cette attitude individuelle a de telles proportions qu’elle en est arrivée à prendre de nos jours une attitude globale »2.

1. L’indifférence envers le Créateur

Une indifférence qui s’oppose à l’harmonie envers le Créateur. Elle constitue une rupture radicale et une l’expression de l’orgueil de l’homme.

A ce sujet Le Pape François, s’inspirant du récit de la Genèse affirme :

Ces récits suggèrent que l’existence humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu, avec le prochain, et avec la terre. Selon la Bible, les trois relations vitales ont été rompues, non seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nous. Cette rupture est le péché. L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et l’ensemble de la création a été détruite par le fait d’avoir prétendu prendre la place de Dieu, en refusant de nous reconnaître comme des créatures limitées3.

L’homme, se croyant auto-suffisant, pense être la mesure de lui-même. Il n’a de référence que sa propre personne. Il se construit ainsi un humanisme clos, autarcique et fermé à l’Absolu. Cette indifférence constitue ainsi une fermeture à la transcendance. C’est cette même rupture qui constitue selon Laudato si le fondement de la crise écologique. L’homme se coupe de la source même de la relation et de la communion, et entraîne donc une déstructuration de son être puisqu’il est fondamentalement un être de relation ; parce que Dieu n’est pas que Créateur, il est aussi Dieu de la communion. Cette communion constitue un point de ressemblance particulière de l’homme avec Lui.

Ce qui est au cœur de ces relations vitales, c’est bien la relation. C’est la vie de chacune des personnes, mais aussi la vie qui circule entre elles, ce lien invisible est pourtant déterminant pour chacun et pour tous à la fois. Rompre la relation à Dieu, c’est d’une manière ou d’une autre, ou même de façon médiate ou immédiate, avoir un impact sur sa propre vie et sur celle des autres. Ainsi l’indifférence, est un refus conscient opposé à l’épanouissement de la vie. Ce qui est au cœur de cette relation, c’est bien la capacité d’amour. Etre indifférent, c’est rompre avec la source même de l’Amour et ainsi porter atteinte à ce qui nourrit la Vie. Mais si la rupture avec Dieu est une menace contre toute vie, tout ce qui porte la vie s’en trouve par ce fait même menacé. Aussi l’indifférence par rapport au Créateur a-t-elle des conséquences sur les rapports au prochain.

2. L’indifférence envers le prochain

Le Pape François distingue deux visages d’indifférents. D’abord celui qui est bien informé de la situation, mais qui ne s’implique pas ; celui qui sait, mais qui ne fait rien et relativise la gravité du problème4. La situation dont il s’agit pose clairement la question de la responsabilité de l’homme.

Dans le contexte d’un monde sur-informé, les informations et formations sur la crise écologique ne sont plus réservées aux seuls scientifiques ou politiques. Les modes et les moyens de connaissance dont dispose le monde contemporain sont tels que celui qui se montre indifférent est sans excuse. Néanmoins la connaissance seule ne suffit pas pour un engagement éthique : Il est frappant dans les sociétés contemporaines, c’est que les informations forgent plutôt l’être –pour- soi au détriment de l’être-pour l’autre et de l’être-avec l’autre.

Et comme Le pape François le dit dans son encyclique, « beaucoup d’efforts pour chercher des solutions concrètes à la crise environnementale échouent souvent, non seulement à cause de l’opposition des puissants, mais aussi par manque d’intérêt de la part des autres. Les attitudes qui obstruent les chemins de solutions, même parmi les croyants, vont de la négation du problème jusqu’à l’indifférence5. » Le Pape indexe les puissants et les autres, au nombre desquels des croyants. Pour la protection de leurs intérêts égoïstes, des individus, des multinationales et des États n’hésitent pas, au mépris de la vie des autres, à relativiser la gravité de la situation.

Le Pape a raison de s’adresser aux croyants, en particulier à certains chrétiens pour qui la question de l’écologie est plus une affaire de politique qu’une question de spiritualité et de foi.

Fermer les yeux sur le mal, c’est aussi refuser de voir les bonnes initiatives qui se prennent autour de soi en faveur de la protection de la maison commune et des victimes des changements et catastrophes climatiques. On se rend bien compte que le mal le plus grave n’est pas forcément celui est visible ; mais plutôt celui qui touche la vie intérieure de l’individu, son cœur (cf Mt 15, 10-20).

Le cœur mauvais ne peut que refléter dysharmonie, repli sur soi, égoïsme et indifférence.

Par ailleurs, refuser de voir que la terre est en souffrance et que cette situation accentue la vulnérabilité des plus pauvres, c’est refuser toute remise en cause de son style de vie. C’est également oublier que l’environnement naturel constitue la « maison commune » et que tous les hommes forment une famille universelle. Nul parmi eux ne doit se considérer comme étranger ou indifférent au sort d’un autre membre de la famille humaine. Tous les hommes sont responsables les uns des autres. Car l’attitude d’indifférence va jusqu’à la mise en péril de la justice envers les autres et même jusqu’au mépris de la vie des autres. Ainsi l’indifférence a-t-elle à voir avec le déni de la dimension sociale de la personne. En effet, comme le souligne François, « Il faut donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers les êtres humains entraine un engagement constant pour les problèmes de la société6. » Somme toute, l’indifférence envers le Créateur entraine également l’indifférence envers les autres êtres humains.

Le second visage de l’indifférence consiste dans le manque d’attention vis-vis de la réalité environnante. Dans certains milieux, il y a une forme de résistance face à la nécessité d’agir concrètement en vue de ralentir les effets de la crise écologique. Ainsi beaucoup des promesses et espoirs sont attachés à la C.O.P 21, mais des initiatives concrètes et engageantes sont encore à la traine si ce n’est qu’elles font défaut. Les grandes puissances dont la responsabilité est effective dans cette crise sont encore attendues sur le terrain des actes concrets. « Si l’être humain se déclare autonome par rapport à la réalité et qu’il se pose en dominateur absolu, la base même de son existence s’écroule, parce qu’« au lieu de remplir son rôle de collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la création, l’homme se substitue à Dieu et ainsi finit par provoquer la révolte de la nature7. »

Il faut y voir l’expression d’un pur égoïsme face à la situation. Puisque l’environnement naturel constitue la « maison commune », tout ce qui se passe aux quatre coins du monde ne devrait laisser personne indifférent, surtout face aux nombreuses victimes des catastrophes naturelles. Il est donc surprenant voire choquant que certains responsables issus de pays dits en développement, victime plus que d’autres de la crise écologique prennent parti pour l’indifférence : ils se déchargent de leur responsabilité sur les pays industrialisés, en affirmant que ce sont ces derniers qui ont causé la crise et que le temps est venu pour eux de s’industrialiser. Face au drame qui se joue, il est impératif de protester contre une telle attitude de la part de pays plus fragiles et pauvres. L’appel à la conversion et au changement de style de vie doit s’adresser à eux aussi avec insistance; ce qui ne transparait pas explicitement dans l’encyclique Laudato si où le pape semble adresser son appel au changement de style de vie seulement aux puissants, aux pays industrialisés et riches. Ainsi, l’indifférence envers Dieu aux sources de celle envers le prochain, mais aussi de celle vis-à-vis de l’environnement.

3. L’indifférence vis-à-vis de l’environnement 

Cette indifférence pose elle aussi des problèmes cruciaux face à nos cultures ambiante marquée par l’hédonisme et la surconsommation. Ne pas tenir compte du fait que l’être humain est constitué en partie des éléments de la planète8 et que sa vie dépend d’elle, c’est instaurer une rupture radicale avec elle et manquer d’égard envers elle. Il s’ensuit une vision mécaniste et utilitariste des biens naturels, qui conduit inéluctablement à la surconsommation et au gaspillage, oubliant que ces biens appartiennent à l’humanité entière. Or si l’homme manque de respect à ce qui constitue un bien commun, il faut voir d’abord, en amont, la rupture qu’il a opérée vis-à-vis du genre humain. Ainsi l’atteinte à l’environnement est d’abord une atteinte à l’homme et à l’unité même de la famille humaine. Il en résulte comme corolaire l’injustice envers les plus pauvres, qui est une menace pour la paix sociale. C’est d’ailleurs pourquoi le pape François défend la thèse de la relation intime entre la situation des pauvres et la fragilité de la terre9. Les populations les plus démunies sont les premières frappées par les innombrables sécheresses, inondations ou cyclones etc.

En outre l’indifférence envers l’environnement constitue une atteinte à la Vie. Les conséquences de cette dernière sont entre autres: les maladies causées par les pollutions de toute sorte, la misère grandissante et la perte de la biodiversité.

La foi chrétienne constitue des ressources à même d’aider à faire face à la crise écologique. Mais aussi, les hommes aient besoin, croyants ou non croyants de se solidariser, de se relier pour vivre. La prise de conscience de la nécessité de communion face aux problèmes humains, pourrait-on dire, précède la foi.

Aborder l’indifférence dans le cadre de l’écologie intégrale, c’est affirmer que seule la communion permettra de venir à bout de la crise que nous connaissons. C’est aussi souligner la responsabilité personnelle et sociale de chacun pour une globalisation de la solidarité qui n’est pas possible sans l’empathie pour autrui, l’amour pour la famille humaine, la justice, le respect et l’accueil de la planète comme un don. L’indifférence est donc l’expression de l’égoïsme et une des causes de la crise écologique.

En revanche, ce concept peut avoir une portée positive si l’on élargit l’horizon. S’il sous-entend un déni de la relation, ne peut-il pas être entendu, dans un certain sens, comme un processus de résistance? Dans la mesure où l’indifférence peut être le fait de ressorts cachés de responsabilité et de solidarité.

Dans le cadre de la pratique de la foi, l’indifférence constitue une vertu et une mystique qui peut amener particulièrement le chrétien à participer à l’œuvre de création confiée à l’être humain. L’indifférence signifie donc l’effacement devant Dieu pour mieux en recevoir l’infinie amour. Or dans la perspective de la théologie de la création, cela revient à reconnaitre Dieu comme auteur de la création et à se reconnaitre comme intendant de ses biens et responsable de ses frères et sœurs.

Du point de vue éthique et pratique, l’indifférence peut se révéler comme la maitrise de soi, le non-agir consenti. Face au déferlement des messages publicitaires, à l’incitation parfois insidieuse à la surconsommation, le cœur indifférent est celui qui sait faire halte, qui sait faire des choix sensés pour son bien-être et celui des autres. Par-là, l’indifférence peut devenir un cheminement austère et salutaire face à la crise écologique. On peut ainsi se former à rester indifférent à des biens.

L’indifférence, peut en somme, être une réponse un moyen austère face à la société de consommation et même un acte de résistance. L’austérité, la tempérance, la discipline et l’esprit de sacrifice vont dans ce sens. La solidarité universelle10 qu’appelle le pape, pourra trouver des ressorts dans cette indifférence.

Au total, il existe une forme d’indifférence qui explique la crise écologique et sa persistance. Mais il existe aussi une forme d’indifférence positive à promouvoir.

Rabbi Ikola Mongu

1 LS § 66, p. 56.
2 Pape François, «Gagne sur l’indifférence et remporte la paix !», message pour la célébration de la 49e journée mondiale de la paix, le 1er janvier 2016, n° 3.
3 LS § 66, p. 56.
4 Pape François, «Gagne sur l’indifférence et remporte la paix !»,  message pour la célébration de la 49e journée mondiale de la paix, le 1er janvier 2016, n° 3.
5 LS§ 14, p. 17.
6 LS§ 91, p. 74.
7 LS§ 117, p. 93.
8 LS§ 2, p. 7.
9 LS§ 16,
10 LS§ 14,