Au regard des cas de pédocriminalité et des révélations qui sortent régulièrement tant en France que de par le monde entier, l’Eglise catholique vit aujourd’hui une crise extrêmement grave dont, sans doute, on ne mesure pas encore pleinement l’ampleur. La lettre du pape François adressée au Peuple de Dieu (août 2018), à propos des abus sexuels, a surpris par sa forme inattendue et affirme clairement que tous les baptisés sont concernés par l’éradication de ce fléau qui gangrène l’Eglise sur tous les continents.
Reconnaissons humblement et ouvertement que ce sont les personnes victimes, en dénonçant les abus commis par des membres de notre Eglise, qui ont permis et permettent aujourd’hui encore une prise de conscience de la gravité des faits et des situations. Il a fallu l’apprentissage de l’accueil, de l’écoute et du dialogue avec des personnes victimes pour que les évêques, les supérieurs religieux et les responsables pastoraux prennent la mesure de la situation et mettent en œuvre une pratique claire et précise du traitement des dénonciations, du jugement des auteurs d’abus et des actions de lutte et de prévention. La route est encore longue, tant dans l’Eglise que dans la société. Nous ne sommes sans doute qu’au début d’un long processus de purification et de conversion pour que l’Eglise devienne cette « maison sûre » dont parle souvent le pape François.
Dans cet article, je voudrai d’une part évoquer brièvement le travail mené dans l’Eglise en France dans la lutte contre la pédophilie ; d’autre part – tout particulièrement dans cette revue qui s’adresse aux prêtres – inviter les prêtres à trouver dans la crise actuelle des éléments pour poursuivre de manière renouvelée, sûre et confiante le beau travail d’évangélisation des enfants et des jeunes qu’ils mènent dans leurs communautés.
Lutter contre la pédocriminalité : une priorité aujourd’hui dans l’Eglise en France
A partir des années 2000, la question de la lutte contre les actes de pédophilie commence à s’inscrire dans les réflexions et les prises de paroles des évêques en France. Une cellule dite « de veille », est mise en place en 2002 avec pour tâche une plus grande prise de conscience de la gravité des faits et des conséquences irréparables subies par les victimes, ainsi que de la nécessité d’une information et d’une prévention au sein de l’Eglise. En même temps est éditée une brochure intitulée « Lutter contre la pédophilie, repères pour les éducateurs » – remise à jour en 2010 – qui est très largement diffusée dans l’Eglise, tant auprès des prêtres et religieux, dans les séminaires et divers lieux éducatifs.
C’est au printemps 2016, que s’opère véritablement un tournant dans la lutte contre la pédophilie, sous la pression des évènements et de l’actualité : l’affaire Preynat à Lyon et les scandales en divers pays, les nombreuses exhortations du pape François demandant régulièrement la plus grande fermeté dans ces affaires mais, aussi, l’aiguillon des médias et des associations de victimes, pressant l’Eglise d’aller plus loin dans la lutte contre la pédocriminalité et dans la présentation à la justice des auteurs d’abus sexuel au sein du clergé. La Conférence des évêques de France (C.E.F.) décide alors de mettre en œuvre de nouveaux moyens humains et matériels pour mieux écouter et accueillir les victimes, pour faciliter la dénonciation des faits de pédocriminalité, pour amplifier le travail de prévention et de formation au sein de l’Eglise. Ce qui caractérise ces mesures, c’est la priorité d’actions au service et à l’écoute des victimes : comment prendre en compte leur situation, afin qu’elles soient accueillies, écoutées et accompagnées ?
Priorité aux victimes
Reconnaissant et constatant la pauvreté des moyens existants, l’engagement est alors pris que, dans tous les diocèses de France, les victimes qui le souhaitent, ou leurs proches, puissent être accueillies et entendues. L’ensemble des évêques est sensibilisé à cette question, et au devoir de répondre aux victimes, même de faits anciens. Les modalités de mise en œuvre sont variées : une grande partie des diocèses disposent de cellules d’accueil et d’écoute des victimes. Il s’agit d’un petit groupe de personnes rassemblées au nom de qualités et de compétences dans des domaines variés (juridique, psychologique, ecclésial, médical…), comprenant aussi des personnes ayant été victimes ou des parents de victimes. Dans certains cas, la cellule entoure également celui qui, au sein d’un diocèse, s’occupe globalement de la lutte contre la pédophilie. Ce référent est très fréquemment un vicaire général ou épiscopal. Certaines cellules sont communes à plusieurs diocèses ou provinciales. Certains diocèses ont signé une convention multipartite avec des professionnels de la santé et des associations spécialisées dans l’accompagnement des personnes victimes.
Afin de faciliter l’accès à ces dispositifs locaux, une adresse mail (parolesdevictimes@cef.fr) est ouverte, depuis 2016, au niveau national sur un site dédié de la C.E.F. [1] où toute personne victime, proche ou témoin, peut s’adresser. Le suivi de cette adresse consiste à accueillir les propos et l’expérience des personnes victimes, transmettre à l’évêque du lieu où les faits se sont déroulés (et au supérieur de la communauté religieuse concernée) afin qu’il puisse s’assurer de la vraisemblance des faits révélés, recevoir la personne victime, ou ses proches qui le désirent, inciter l’auteur des abus à se dénoncer ou signaler les crimes et délits à la justice civile, transmettre à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi les éléments pour un éventuel procès canonique et prendre toutes les mesures à court terme qu’imposent la prudence et le souci de protection des enfants et des jeunes.
Le devoir de vigilance : informer, comprendre, prévenir
Après la sidération et la honte face à l’horreur des crimes perpétrés contre des enfants et des jeunes, il faut agir et marcher vers la tolérance zéro, comme nous y invite le pape François. Ainsi, un large travail de fond se déploie depuis 2016 dans les diocèses auprès des acteurs pastoraux en responsabilité éducative et dans les lieux qui accueillent des mineurs dans l’Eglise. La conduite et le soutien de ce vaste mouvement d’information et de prévention a été confiée à la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie (C.P.L.P.), créée en avril 2016. Le rôle de cette cellule s’inscrit dans plusieurs directions : veiller à l’attention et l’écoute des victimes à travers le suivi des mesures citées précédemment ; travailler à la prévention en particulier auprès de ceux qui travaillent avec des enfants et des jeunes comme les éducateurs, enseignants, prêtres, séminaristes, catéchistes ; mettre en œuvre des formations spécifiques tant dans l’accompagnement des personnes des cellules d’écoutes, que dans la formation des animateurs en pastorale des jeunes, et aussi des futurs prêtres ; instaurer des liens avec d’autres instances de la société civile, en particulier les associations ou les organismes spécialisés qui travaillent dans le domaine de la protection des mineurs, de la prévention, et de la lutte contre les abus sexuels.
Bon nombre de formations, de journées de prévention, de sessions [2] auprès d’acteurs pastoraux sont organisés dans les diocèses et permettent ainsi localement une prise de conscience large de l’urgence d’une vigilance à tous niveaux dans le travail pastoral avec les mineurs. La nouvelle édition du guide « Lutter contre la pédophilie » a été mise à jour dans la perspective d’être un outil pratique pour les adultes en situation de responsabilité pastorale ou pour toute personne qui souhaite s’informer et participer à la lutte contre ce fléau. Par ailleurs, ce travail se fait aussi en lien, avec des membres d’associations de victimes, des associations de suivi d’auteurs, des O.N.G. et des partenaires qui travaillent à la protection des mineurs et des personnes vulnérables. Exercer une vigilance accrue et prévenir passe ainsi par ces multiples actions qui permettent à tous sur le terrain de mieux prendre conscience des enjeux de la lutte contre la pédophilie et de devenir acteur de ce combat.
Passer de la toute-puissance à la chasteté
Beaucoup de raccourcis et de simplismes, parfois injurieux, se font jour actuellement sur les prêtres, sur leur équilibre de vie, sur leur capacité à vivre le célibat qu’ils ont choisi. Parfois même, les médias lient le célibat à la pédocriminalité, alors que notre société compte tant de célibataires ! Si la justice – civile et canonique – doit être clairement mise en œuvre face aux agissements criminels des auteurs d’abus sexuels, ces propos injustes à l’égard de l’ensemble des prêtres sont source de souffrances et de doutes pour beaucoup d’entre eux – jeunes et moins jeunes – qui travaillent avec des mineurs au service de leur croissance tant humaine que spirituelle. Certains alors s’interrogent s’il ne vaut pas mieux laisser aux laïcs ces tâches éducatives, vu le soupçon porté sur eux. Faut-il que les agissements condamnables de certains portent ainsi atteinte à l’ensemble du corps presbytéral ?
Si ce constat est rude, il ne doit pas cependant faire oublier la juste dénonciation de certaines attitudes – par exemple, le cléricalisme – dans le clergé qui concourent à un climat – une culture – favorisant l’emprise de certains clercs sur les personnes, et pouvant conduire à des actes de toute-puissance, réduisant l’autre à l’objet de ses désirs. Les scandales actuels manifestent clairement qu’il y a, en bien des endroits, un travail important à faire tant dans la formation des futurs prêtres, que dans la mise en place de lieux d’accompagnement et de relecture pour les prêtres, en particulier au regard des dimensions relationnelles et affectives vécues dans leur ministère. Par ailleurs, il est urgent de poser de manière nouvelle des repères précis qui assurent la sécurité de nos activités pastorales auprès des enfants et des jeunes, et rétablissent la confiance des parents. Il nous faut alors réfléchir, réévaluer et réformer nos pratiques éducatives à l’écoute des failles et des échecs révélés par les scandales actuels des agressions sexuelles sur mineurs.
Cette crise nous invite à entendre un appel fort de l’Esprit à inscrire plus profondément notre ministère auprès des plus jeunes dans la dimension du service, vécu dans l’humilité… le meilleur rempart aux tentations de toute-puissance. Service et humilité sont les attitudes qui caractérisent le mieux ceux qui répondent à l’appel du Christ humble, pauvre et chaste. Il nous faut sans cesse nous rappeler ce qui doit être au cœur du ministère et de la vie des prêtres : exercer une autorité dans l’Eglise, c’est toujours servir. Refuser de servir, c’est abuser de l’autorité. Toute relation pastorale implique l’exercice d’une autorité et d’un pouvoir spirituel : comment ce pouvoir est-il ou non au service de la croissance des enfants et des jeunes ? L’enfance et l’adolescence sont des époques clés qui déterminent toute l’existence de la personne. Ainsi, tout abus sexuel commis par un clerc constitue un abus spirituel qui marquera profondément la vie spirituelle de la personne victime. Comme pasteurs, les prêtres ont alors une responsabilité déterminante dans l’accueil, l’écoute et l’accompagnement des personnes victimes. Avec elles, ils ont à apprendre à tracer un chemin de réparation et de confiance.
Enfin, il nous faut retrouver le dynamisme profond de la chasteté [3], même si ce terme n’est pas bien compris de nos contemporains. Les prêtres – nombreux – qui vivent leur célibat et leur ministère de manière chaste constituent une chance et une force dans la vie de l’Eglise. Avec leurs qualités et leurs fragilités, ils sont pour beaucoup de baptisés le signe d’une fidélité tenue au jour le jour. Dans la vie des communautés ecclésiales, la relation à des prêtres chastes et heureux dans leur ministère constitue pour beaucoup un espace irremplaçable de confiance, de dialogue et de vérité. Il est important que les fidèles redisent aux prêtres combien – modestement mais sûrement – leur célibat n’est pas synonyme de frustration mais signe d’une proximité à tous, d’une sexualité qui n’est pas toute-puissance mais don de soi, d’une maîtrise de soi qui n’est pas refus mais ouverture à l’autre. La crise profonde que nous vivons nous conduit à raviver la force et la richesse de la chasteté dans toutes nos pratiques éducatives, et plus largement dans nos relations pastorales au quotidien.
Bientôt deux ans après la décision des évêques de France de mettre en œuvre de nouvelles mesures, le travail pour lutter contre la pédocriminalité s’amplifie et s’inscrit à la fois sur le terrain des diocèses et au niveau national. Soyons lucides que le travail demeure vaste tant pour l’Eglise que pour la société dans la lutte contre les abus sexuels. Pour ne parler que de l’Eglise, il est clair qu’il nous faut encore aller plus loin dans la compréhension de ce qui se joue dramatiquement dans les abus sexuels et dans l’existence de ceux et celles qui en ont été victimes. Il nous faut tout mettre en œuvre pour tendre vers la tolérance « zéro » à laquelle nous appelle le pape François. Affaire de tous les baptisés et collaboration étroite avec les personnes victimes, ce travail doit se poursuivre dans les années à venir avec détermination et humilité.
+ Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay
Président de la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie
Notes
[1] Site de la C.E.F. : luttercontrelapedophilie.catholique.fr Voir aussi : https://eglise.catholique.fr/sengag…
[2] Voir sur le site de la C.E.F. le rapport de la Conférence des évêques de France sur la lutte contre la pédophilie. Octobre 2018.
[3] La chasteté est le choix de vivre sa sexualité, ses désirs et ses manques d’une manière responsable, libératrice et heureuse dans ses relations aux autres et à soi-même, en cohérence et en vérité avec ses engagements.