A l’occasion de la célébration œcuménique du 20 janvier, Mgr Crepy médite sur l’Évangile selon Saint Jean (Jn 15,1-5)
L’évangile que nous venons d’entendre fait partie du grand discours d’adieu du Christ à ses disciples. Avant d’entrer dans sa passion, Jésus leur livre les choses les plus importantes, les plus intimes… celles qui lui tiennent à cœur et qu’il veut confier à ceux qu’il appelle ses amis. Comme souvent, en ces moments de grande confiance et d’amitié, il leur parle du Père, de ce Père dont il cherche sans cesse à mettre en œuvre la volonté. Nous pourrions dire qu’il leur livre – et ainsi qu’il nous livre – le grand projet qui est dans le cœur du Père depuis toujours, rassembler autour de son Fils toute l’humanité. Et l’image de la vigne et des sarments est très forte car les sarments ne peuvent croître sans être étroitement liés à la vigne. Ainsi en est-il des disciples et de ceux qui se reconnaissent chrétiens, ils sont tous liés à la vigne qu’est le Christ. S’ils ne demeurent pas en lui, alors ils se dessèchent et ne sont bons qu’à jeter au feu.
Comme un bon vigneron, le Père veille sur la vigne – cette vigne qui est le Fils – et sur tous les sarments qui peuvent naître de cette vigne. Son projet est bien que cette vigne se développe et porte du fruit, et du fruit en abondance. Même s’il faut émonder les sarments – avec les exigences de l’Evangile – le Vigneron les rend plus forts, plus noués à la vigne, plus aptes à se nourrir de la sève qui parcourt toute la vigne, la vie en Jésus. Ainsi la vie baptismale est fondamentalement union au Christ : par le baptême, nous entrons définitivement dans la vie de Dieu en devenant fils et filles à la suite de Jésus, habités par le même esprit d’amour qui nous tourne vers le Père. C’est ce que nous partageons tous ensemble, nous les baptisés… c’est ce qui nous unit, c’est ce qui nous rassemble, c’est ce qui fait de nous une seule famille : notre existence s’inscrit dans cette vie unie au Christ, dans ce cœur à cœur avec le Christ au quotidien, dans ce compagnonnage, jour après jour, avec Celui qui est le Chemin pour tout homme.
Mais si la vie baptismale est fondamentalement union au Christ, elle est aussi union avec tous les membres de l’Eglise, avec tous les sarments de la vigne. Il n’y pas des sarments qui vivent leur vie chrétienne séparément d’un côté ou de l’autre de la vigne. Il n’y a qu’une seule vigne sur laquelle poussent tous les sarments. Peut-être certains sont-ils plus à l’ombre le matin, et d’autres plus au soleil l’après-midi, d’autres partent-ils vigoureusement du pied de la vigne, et d’autres encore s’épanouissent-ils tranquillement en formant de longs rameaux sur la treille. Qu’importe ! Aucun de ces sarments ne pousse seul et la croissance de toute la vigne est une. Pour chacun et pour tous, il s’agit bien de demeurer dans le Christ Jésus, de confesser notre foi commune et de reconnaître dans le Père, ce vigneron attentif et aimant qui nous donne l’Esprit pour vivre aujourd’hui la Bonne Nouvelle apportée par le Fils.
Sans doute, ne faut-il pas en rester à cette image bucolique – pourtant profondément biblique – de la vigne, dont vous trouverez peut-être quelque peu idéaliste l’interprétation par le prédicateur de ce soir. Cependant cette image, toute simple, nous rappelle l’essentiel et le sens de notre présence ici ensemble, nous les baptisés des communautés protestantes et catholiques de Haute-Loire : nous sommes réunis pour prier et rendre grâce de ce passage – de cette conversion – du « conflit à la communion ». Entre sarments d’un même pied de vigne, il ne peut y avoir conflit, seule la communion est possible pour la vie des Eglises, de toutes les Eglises. Si nous approfondirons cette année l’anniversaire des 500 ans de la Réforme, ce ne sera pas pour nous attarder sur tout ce qui nous a séparés mais pour regarder ce que nous avons à construire ensemble aujourd’hui et demain pour annoncer la Bonne Nouvelle à tous.
Ce soir il est heureux que nous soyons ainsi réunis, tous membres de la même vigne, non pas pour oublier notre histoire commune chargée de conflits et d’incompréhension, ni pour vivre dans l’uniformité ou pour nous bercer de l’illusion d’une réconciliation facile et totale. Non, notre célébration manifeste notre foi commune et notre volonté de poursuivre la route de l’unité, non pas simplement parce que nous avons envie d’être plus unis, mais parce que le Christ nous appelle à l’unité. Nous savons que l’unité des chrétiens est une belle et parfois rude tâche à mener non pas seulement théologiquement, mais aussi dans la prière commune comme nous le faisons maintenant, dans la connaissance mutuelle de nos différentes communautés, dans le souci commun de vivre au quotidien l’Evangile, en particulier auprès des plus pauvres. Ce qui nous unit est bien plus grand que ce qui nous sépare !
Pour terminer, rappelons-nous que nous pouvons tous repartir de notre célébration avec une conviction commune qui habitera nos relations œcuméniques, nos projets communs, notre espérance au quotidien… Cette conviction, c’est celle de vivre ensemble la joie de l’Evangile. Cette joie, personne ne peut nous la prendre, cette joie habite depuis 2000 ans le cœur de tous les chrétiens – orthodoxes, protestants, catholiques –, cette joie, c’est la joie du Ressuscité qui conduit son Eglise et qui veut que tous ses disciples partagent la même joie, celle d’être aimés d’un Père qui ne veut pas qu’un seul de ses petits se perde. Le chemin de la joie, c’est demeurer dans l’amour du Christ « afin que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite. » (Jn 15, 11) Le chemin de la joie vécue et partagée ensemble est sûrement le chemin le plus sûr pour construire et vivre l’unité de l’unique Corps qu’est l’Eglise du Christ.