Au début de l’ère chrétienne, de ce qui est aujourd’hui la ville du Puy, bien peu de choses existaient. Il y avait dans la vallée une rivière, appelée maintenant La Borne, surplombée par deux rochers : le roc Corneille, formant le Mont Anis et. le roc d’Aiguilhe. À leurs pieds, quelques maisons constituaient la petite cité d’Anicium.

La vierge du dolmen

Sur le petit plateau qui bordait au sud le rocher Corneille, il y avait, depuis plusieurs millénaires, sans doute, une sorte de dalle de 3 m de longueur sur 2 m de largeur, supportée par trois ou quatre colonnes latérales, à la manière d’un autel. C’était un dolmen, monument rare en nos régions. Peut-être marquait-il le lieu de sépulture d’une personnalité locale antique ?

Au Ier siècle, les gallo-romains l’avaient entouré d’un temple, en l’honneur de quelque divinité locale, Adidon probablement… On retrouvera dans les constructions postérieures des fondations et des éléments sculptés, ayant appartenu à cet édifice.

Quand, au lVe siècle, l’Empire Romain se rallia à la religion chrétienne, l’édifice fut détruit et le dolmen se retrouva en plein air, tout seul, sur son plateau. Il allait donner à la cité d’Anicium, une notoriété que rien ne laissait prévoir. On sait qu’une petite communauté chrétienne s’était constituée, vers 350, à Galabrum (Espaly) sous l’impulsion du prêtre Marcel, envoyé par Austremoine, l’évêque d’Arvernes, pour y faire connaître la foi en Jésus-Christ.

Il arriva qu’un jour, uneNotre Dame du Puy femme chrétienne, paralysée, implorait sa guérison du ciel, sur le plateau, non loin du dolmen. Soudain, elle vit la Vierge Marie lui apparaître sur la table supérieure du dolmen, entourée d’une couronne d’anges. Un de ceux-ci lui confia ce message : « La Reine du Ciel a choisi ce lieu pour en faire son domaine, y recevoir des prières et les exaucer. » Comme signe de l’authenticité du message, la guérison de la malade fut instantanée.

Elle se rendit à Galabrum, faire part de son message au chef de la communauté chrétienne du moment, l’évêque Scutaire. Après enquête, celui-ci organisa lui-même la construction du sanctuaire demandé, sur les fondations de l’ancien temple, tout près du dolmen. La consécration de cet oratoire, en l’honneur de la Vierge, ancêtre de notre cathédrale actuelle, eut lieu, un 11 juillet, jour anniversaire de l’apparition et jour où on fête aujourd’hui sa Dédicace. La table du dolmen voisinait donc avec la table du sacrifice Eucharistique. A l’intérieur de l’oratoire on plaça une statue de la Vierge. Celle-ci devenait en quelque sorte la « maîtresse de ces lieux », à la place de la divinité païenne locale antérieurement honorée. Elle allait « y recevoir des prières et les exaucer ». Vers elle, un long cortège de pèlerins allait bientôt se diriger.

La première Sainte Image : Notre-Dame de la Roche

Cette première image de la Vierge vénérée sur le Mont-Anis servira de support à la piété des gens depuis le début du Ve siècle jusqu’au XIV° siècle. Il n’en reste aucune trace ni copie exacte. On sait qu’elle était en pierre. On suppose que sa forme se retrouve dans les enseignes de pèlerinage frappées au XIIIe siècle. On y voit une Vierge assise, couronnée, voilée et nimbée, tenant son enfant sur le bras gauche et un sceptre fleurdelisé dans la main droite. La plupart des statues de la Vierge des relais pèlerins de la région semblent en être des copies plus ou moins fidèles, sous le nom, souvent, de Notre-Dame de Bon-Secours. L’évêque Scutaire quitta Galabrum pour s’établir à proximité du Mont-Anis, dans la ville qui avait supplanté Ruessium (Saint-Paulien) comme capitale du Velay. Et l’épopée pèlerine commença. En voici quelques étapes.

Une première couronne de lieux de prière

Dès le VIIe siècle, Anicium mérite le nom de « Ville Sainte », en raison de la piété qui s’y manifeste. C’est autour de son pèlerinage que la cité se constitue. Sa réputation s’étend jusqu’aux frontières et ne tarde pas à les dépasser, à l’égal de Compostelle, de Rome ou de Jérusalem. Aller en pèlerinage à la Vierge du Puy et prier dans son sanctuaire devint le rêve de la vie d’un croyant. Et arriva un moment où, dans les ruelles et les escaliers de la ville, se croisaient des gens de la France entière et de l’Europe du moment. Charlemagne ne s’y tromNotre Dame du Puypa pas en faisant de ce lieu un centre de collecte d’argent pour le Saint-Siège, au même titre qu’Aix-la-Chapelle sa capitale, et Compostelle.

Déjà, sur chacune des sept voies qui arrivaient au Puy, soit comme terme du voyage, soit comme étape sur le chemin de Compostelle ou de Saint-Gilles, on avait édifié, au premier endroit d’où les arrivants pouvaient voir le sanctuaire, des lieux de prière, souvent des oratoires. Les pèlerins s’y arrêtaient pour prier, saluer la Vierge de ces lieux et déposer la pierre que chacun apportait avec lui de son pays. Chacun exultait de joie et ajoutait sa pierre au tas de ceux qui l’avaient précédé. C’était une manière de construire l’Église… C’est à ces oratoires que, tout au long des âges, à Mongauzi et Sainte-Anne du Collet, au pied du mont Croustet, à la Croix Saint-Benoît vers Eycenac, à la Croix de Cheyrac, à Papelingue, aux Trois Pierres de la Madeleine ou à la Croix de Fay, furent accueillis les visiteurs de marque : rois, papes, princes ou chefs d’État, par les autorités civiles et religieuses qui venaient les escorter jusqu’au sanctuaire. Près de ces oratoires, aujourd’hui disparus ou presque, il y eut souvent des édifices d’accueil des malades (La Malouteyre sur la route d’Auvergne ou la léproserie Saint-Benoît, sur la voie du Midi ou Chemin de Saint-Gilles.) Le sanctuaire lui-même était ainsi entouré d’une couronne de lieux de prières.

Outre Charlemagne qui est peut-être venu en personne saluer la Vierge d’Anis, trois rois sont venus avant l’an mille. En 990, s’y tint un concile. Un centre intellectuel y fut créé : l’Université Saint-Mayol, qui attira une élite intellectuelle venue de partout.

La pierre des fièvres

Au VIIIe siècle, il y eut, dans la chrétienté, une réaction violente, partie d’Orient, contre tout vestige du paganisme, tout signe qui le rappelait, voire même toute image de Dieu et des SPierre des fièvresaints. À Anicium, on dut procéder à la démolition du dolmen, lui qui pourtant avait servi de piédestal à la Vierge, et restait cher, à ce titre, aux fidèles du moment. On en laissa sur place la partie supérieure, la table, en l’encastrant dans le pavé. Comme elle restait un souvenir de la Vierge, elle fut aussitôt prise pour couchette par les malades des fièvres pour obtenir leur guérison et devint ainsi : la pierre des fièvres. Sans doute avait-on dissimulé la Sainte Image de Notre-Dame ?

Le Jubilé

En tous cas la Vierge resta très populaire et, devant les terreurs de l’an mille, on sut bien se tourner vers elle. La fin du monde était annoncée par un moine allemand pour le 25 mars 992. Une foule de pèlerins encore plus grande que de coutume, vint se mettre sous la garde de la Vierge d’Anis.

Cette année-là, le Vendredi-Saint coïncidait avec la fête de l’Annonciation. Une telle affluence de pèlerins en de telles circonstances, provoqua de la part du Saint-Siège et des autorités religieuses locales, l’institution d’un jubilé, un Grand Pardon dans ce sanctuaire, chaque fois que la coïncidence du Vendredi-Saint avec l’Annonciation aurait lieu. Du premier Jubilé, en 992, au dernier en 1932, il y en a eu vingt-neuf. Des foules innombrables ont, chaque fois envahi la ville sainte. L’histoire des Jubilés est étonnante et édifiante dans le domaine de la foi ; elle est passionnante dans le domaine de l’histoire et même de l’anecdote. C’est au Xe siècle que la ville prit le nom d’Anicium Sainte-Marie et plus généralement de Puy-Sainte-Marie.

Au XIe siècle le pape Léon IX voyait en elle la ville où la dévotion mariale était la plus forte en France. La fête de l’Assomption, le 15 août, prit de plus en plus de place dans son culte.

C’est au Puy que le pape Urbain II décida de la première Croisade ; c’est l’évêque du Puy, Adhémard de Monteil qui fut son légat et son chef spirituel. C’est au Puy que retentit pour la première fois la prière du Salve Regina.

La célèbre Vierge Noire

On ne sait dans quelles circonstances exactes fut proposée à la piété des fidèles, une nouvelle « Sainte Image » de la Vierge, la célèbre Vierge Noire. Elle fut, pense-t-on, apportée d’Orient aux temps des Croisades. Elle était d’une forme assez peu répandue chez nous à cette époque : une femme tenant son enfant sur son giron, assise sur un siège mobile. Sa facture idéalisée, sa coiffure en forme de casque, ses mains aux doigts effilés, sa collerette,Notre Dame du Puy ses manches et bracelets, son teint basané font penser à une représentation de la déesse égyptienne de la fécondité et de la prospérité, la déesse Isis. Des yeux de verre et un nez trop long ajoutaient encore au caractère mystérieux du visage. La statue en bois de cèdre était marouflée d’étoffes très fines, peintes et collées sur le bois. Les croix grecques, tracées sans ordre, sur le costume de l’enfant, témoignaient de sa christianisation antérieure.

Quoi qu’il en soit, elle prendra peu à peu la place de la première image dans le cœur des foules. Lorsqu’elle fut présentée au peuple vellave, en 1255, au bas de la rue des Farges, il y eut grande presse et mort d’hommes écrasés par la foule.

Autour d’elle, s’est édifié un sanctuaire de plus en plus grand, de plus en plus beau, jusqu’à cette basilique qui reflète aujourd’hui tout l’art de l’Orient et de l’Occident réunis. Autour d’elle brûlaient perpétuellement, trente-deux lampes d’argent et des forêts de cierges. Sa simple vue arrachait à Mathurin des Roys, un de nos vieux historiens, des cris d’attendrissement :

Dévot Ymaige ! En contemplant vostre bénignité, joyeux je suis et mis hors de Souffrance, Et ne croye pas qu’au royaulme de France Soit la pareille en toute urbanité. Dévot Ymaige.

Une seconde couronne de lieux de prière à Notre-Dame

Pour la protection matérielle et l’édification spirituelle de ses pèlerins, les Bénédictins, les Antonins, les Chevaliers du Temple, puis les Chevaliers de Saint-Jean-Baptiste ont ouvert, sur les routes qui allaient vers elle, des relais, salles de repos et très souvent chapelles. On y vénérait la Vierge du Puy. Ainsi se créa une seconde couronne de lieux de prière à Notre-Dame du Puy.

Pour n’en citer que quelques-uns, sans parler de ceux plus importants : Pinols, Langeac, Brioude, Chomelix, Saint-Victor-sur-Arlanc, Saint-Georges-Lagricol, Apinhac, Le Feltin, Le Tracol, Le Pertuis, Saint-Bonnet-le-Froid… On trouve aussi des relais dans d’autres départements, où le culte de Notre-Dame du Puy est toujours en honneur : à Figeac, entre Roc-Amadour et Le Puy ; à Mauriac, à Saint-Chamond, à Bourganeuf dans la Creuse…

En Espagne, on retrouve plusieurs centres mariaux dédiés à la Vierge du Puy. Ainsi, près de Valence, est honorée Notre-Dame « del Puy de Francia », dont la statue est une copie de la première Sainte Image. Il y a aussi la chapelle aérienne de Nuestra Signora de la Péna de Francia avec sa Vierge Noire…

Un des sanctuaires les plus fréquentés du monde

Le Puy sera, pendant des siècles, un des sanctuaires les plus fréquentés du monde. Toutes les classes de la société y accourent : 6 papes, 14 rois, 2 empereurs, des chefs d’Etat, des princes, des soldats, des bourgeois, mais aussi et surtout le peuple des pauvres, des « manants et loqueteux ». Une même foi, une même espérance jette tous ces gens aux soucis si divers aux pieds de la Madone tant aimée. Ce sera aussi un des sanctuaires les plus fertiles en prières exaucées, en protections dispensées, en prodiges attestés. Les murs de la cathédrale d’aujourd’hui ne nous parlent plus de tout cela. Mais il fut un temps où le pourtour des murailles disparaissait complètement sous l’amoncellement d’ex-voto de toute espèce : des inscriptions et peintures rappelant des faits prodigieux, des toiles figurant des donateurs ou des protecteurs, et des objets hétéroclites : béquilles, reproduction de bras, de jambes, de têtes ou de cœurs en cire pour évoquer une guérison… Des menottes et des chaînes rappelaient une libération, de drapeaux et étendards rappelaient des victoires, tous les trophées imaginables… Ces dons étaient sans cesse renouvelés par la reconnaissance des pèlerins. Le nombre en devint si important qu’on les fit disparaître au XVIIIe siècle, au grand scandale des donateurs encore vivants. C’est dire la dévotion à cette Vierge du Puy.

Au fil des temps et des événements, de grandes processions ont eu lieu, marquant des circonstances heureuses ou malheureuses de la vie locale et nationale. En 1942, à l’heure où tout le pays était dans l’incertitude et la détresse dix mille jeunes sont à leur tour venus au Puy, à pied pour la plupart, en pèlerinage de prières pour la France. L’histoire de Notre-Dame du Puy permettrait d’écrire une belle histoire de France.

Une nouvelle Vierge Noire

En 1794, à la Révolution, la Vierge Noire, dépouillée de toutes ses richesses, fut solennellement brûlée sur la place du Martouret, pour symboliser la fin de « l’obscurantisme ». Le jour de la Pentecôte, elle fut jetée dans le tombereau de l’éboueur et transportée place de l’Hôtel de Ville. Là, un cannonier lui coupa le nez d’un coup de sabre et l’on vit qu’elle était bien en cèdre. Vainement certains proposèrent de la garder comme objet de curiosité… Elle fut jetée dans les flammes d’un bûcher en même temps que nombre de tableaux, reliques et objets précieux et autres statues. Pendant qu’elle se consummait, des témoins ont dit avoir vu sauter les charnières d’un petit coffret qui se trouvait dans son dos. Il s’en serait échappé un petit parchemin qu’on ne put sauver. Afin d’éviter que l’on fît des reliques avec les cendres, on les dispersa dans un champ, au-dessus de Roche-Arnaud. La Vierge Noire des Croisades avait emporté le secret de ses origines avec elle. On brûle les statues, on ne brûle pas la foi et on trouve d’autres statues.

Celle qui l’a remplacée, antérieure à la Révolution et qui avait échappé à la fureur antireligieuse du moment, était vénérée dans la chapelle Saint-Maurice. C’était aussi une Vierge Noire de Majesté. Elle servit rapidement de support à la piété des fidèles, qui reprirent leur marche vers elle.

Toutefois l’ère des grands pèlerinages était terminée. La confiance en la Vierge du Puy allait prendre des formes un peu différentes : des grands rassemblements de prières, des Jubilés, des célébrations solennelles du 15 août et la procession qui attire encore bien des pèlerins.

La première Vierge couronnée du diocèse

Pour souligner le maintien de la souveraineté de cette nouvelle Vierge Noire, consacrer sa puissance et ses bienfaits dans son sanctuaire du Puy, la nouvelle statue fut solennellement couronnée sur la place du Breuil, en présence de son peuple et de toutes les autorités, le 8 juin 1856. Elle fut ramenée en procession triomphale à la cathédrale. Elle y a été placée là où on peut la voir aujourd’hui : au-dessus du maître-autel.