La rencontre d’un détenu avec le P. Jean-Louis Page, aumônier de la maison d’arrêt du Puy-en-velay. (Version longue de l’article paru dans Église en Haute-Loire n°4 Dieu des passages)

J’ai trouvé dans la boite aux lettres de l’aumônerie la demande d’Alexandre qui désirait rencontrer l’aumônier. Nos 3 premières rencontres se sont déroulées dans les pleurs avant d’exprimer deux ou trois phrases parfois inaudibles. Être là avec lui, simplement, pauvrement ; surtout ne pas consoler trop vite ; laisser aller au bout du chagrin, des souffrances, des regrets, du remords. « Vas-y, tu peux pleurer, je suis là avec toi. » Au fil des rencontres, il a pu partager ce qui l’avait conduit en prison. Être là avec lui dans l’écoute sans jugement, sans question. Les “t’aurais dû, tu aurais pu, moi à ta place” ou quelque autre baratin ne servent qu’à briser la confiance. Baptisé enfant, Alexandre n’avait jamais été catéchisé. Puisqu’il avait de bonnes facultés intellectuelles, je lui ai remis, un jour, l’Évangile en l’invitant à commencer par celui de Luc qui nous fait découvrir Jésus miséricordieux. Je connais la force de la Parole de Dieu pour “relever d’entre les morts”.
3 semaines après, il revient me voir en tenant le livre dans sa main droite et me dit ces quelques mots : « Votre truc, ça parle de moi  ». L’air un peu étonné, surpris, je lui demande de me montrer “Où, ça parle de lui ?” Il feuillette le livre mais ne trouve pas le passage “qui parle de lui”. Un peu déçu, il me dit qu’il peut me raconter “l’histoire qui parle de lui”. 
« C’est l’histoire d’un homme, me dit-il, qui veut couper un arbre parce qu’il ne donne pas de fruit et qui prend l’énergie de la terre pour rien. Un autre jardinier lui demande de patienter… Il va bêcher autour et mettre de l’engrais pour voir si vraiment, il ne donne pas de fruit. » A ce moment là, Alexandre s’arrête, plonge son regard dans le mien, s’adresse à moi : « Pour moi aussi, bêchez un peu, mettez de l’engrais et vous verrez, je porterai du fruit… »
Je m’attendais plutôt qu’il remarque que “ça parlait de lui” dans la parabole de l’enfant prodigue ou dans la rencontre de Jésus avec Zachée ou encore dans celle du bandit avec Jésus dans les dernières minutes de son existence, dans “le temps additionnel” pour employer un terme sportif.
Obéissant à la Parole de Dieu et à sa demande, j’ai essayé de me faire jardinier.Alexandre n’a été ni dans le déni, ni dans le mensonge. Il a reconnu rapidement toutes ses erreurs et ses fautes. Dès le début de son incarcération, son amie à qui il n’avait jamais parlé de ses bêtises a coupé les ponts avec lui. Son départ a été rude pour lui, mais il a très vite compris qu’elle ne pouvait pas l’attendre pendant de longues années. Il redoutait le premier parloir avec ses parents et ceux avec ses frères et sœurs qui découvraient au moment de son arrestation qu’il avait fait des bêtises, sans savoir de quoi il s’agissait ! Il a trouvé une famille meurtrie, mais très présente à ses côtés. Pas une semaine sans une rencontre, au parloir, avec l’un ou l’autre membre de sa famille. Ses parents ont été obligés de déménager plusieurs fois car radio-cancans peut faire des dégâts dans nos petites villes d’Auvergne !
Pour guérir, il faut se reconnaître malade ! Évidence ! De la même manière, pour accueillir la miséricorde, il faut reconnaître sa misère. Il a pu, dans un premier temps se libérer un peu par la parole de ses fardeaux d’agresseur, mais combien il a été difficile de l’aider à prendre conscience qu’il avait d’abord été victime dans son enfance d’un viol commis par une personne de son voisinage… long chemin à parcourir avec lui, sans précipitation… “La vérité vous rendra libres.”
Il a participé activement et intérêt à la messe et à tous les temps proposés par l’aumônerie. Pendant les 3 années qu’il a passé à la maison d’arrêt du Puy, il a cheminé dans la foi, été catéchisé, comme un catéchumène même s’il avait déjà reçu le baptême. C’est dans la salle de classe qu’il a communié pour la 1° fois… et qu’il a reçu l’Esprit Saint par le sacrement de confirmation. Il a été très touché que l’évêque prenne un long moment de rencontre personnelle avec lui avant de lui donner le sacrement. « Il m’a dit des choses importantes », m’a t-il confié par la suite. Il avait choisi comme parrain, son co-détenu, déjà baptisé, confirmé enfant… qui s’est remis en route dans la foi lors de sa peine. Il a demandé à la personne qui animait chaque semaine l’atelier art- créatif auquel il a participé fidèlement d’être sa marraine. Plusieurs fois, il a tenu à me répéter qu’il était bien plus libre intérieurement maintenant en prison qu’il ne l’était à l’extérieur !
Lui, qui aimait la nature, les longues promenades en solitaire dans la forêt, la pêche a repris en détention la formation inachevée de garde-forestier, aidé par les revues qu’une personne lui faisait passer. Quelle délicatesse du Seigneur venu le rejoindre par sa Parole en prenant l’image d’un arbre dont il faut prendre soin pour lui faire porter du fruit.
Cadeau aussi pour lui : la visite de parents – qui ont porté plainte contre lui – venus lui dire : “à ta sortie, on sera là pour toi”…
Transféré dans un centre de détention pour effectuer sa longue peine, il a continué sa formation pour exercer le métier qu’il aime et sa participation aux activités de l’aumônerie. J’ai gardé très peu de contacts avec lui : simplement une carte de bonne année et de joyeux anniversaire. Sa marraine continue de l’accompagner avec sa famille jusqu’à ce qu’il soit libéré… Il pourra faire partager à la société ses richesses personnelles , celles de sa formation. J’espère qu’il pourra témoigner comment le Seigneur est venu le rejoindre pour “le relever d’entre les morts.”