Session de rentrée des chefs d’établissement de l’Enseignement Catholique

27 août 2019

+ Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay

Oser le risque… oser avancer sans avoir peur… oser vivre pleinement la richesse et l’originalité de l’Enseignement catholique : voilà l’invitation qui vous est lancée à vous, chefs d’établissement, en ce début d’année scolaire. Il ne s’agit pas simplement de mots mais d’une attitude de fond qui rejoint profondément la vie chrétienne depuis les premiers disicples jusqu’à la célèbre invitation du pape Jean-Paul II au passage du troisième millénaire : « N’ayez pas peur » ; et bien sûr, aujourd’hui, le pape François dans sa dernière lettre aux jeunes :

« Où nous envoie Jésus ? Il n’y a pas de frontières, il n’y a pas de limites : il nous envoie à tous. L’Evangile est pour tous et non pour quelques-uns. Il n’est pas seulement pour ceux qui semblent plus proches, plus réceptifs, plus accueillants. Il est pour tous. N’ayez pas peur d’aller, et de porter le Christ en tout milieu, jusqu’aux périphéries existentielles, également à celui qui semble plus loin, plus indifférent. Le Seigneur est à la recherche de tous, il veut que tous sentent la chaleur de sa miséricorde et de son amour. Il nous invite à aller sans crainte avec l’annonce missionnaire, là où nous nous trouvons et avec qui nous sommes, dans le quartier, au bureau, au sport, lors des sorties avec les amis, dans le bénévolat ou dans le travail ; toujours il est bon et opportun de partager la joie de l’Evangile. C’est ainsi que le Seigneur va chercher tout le monde. Et vous, jeunes, il veut que vous soyez ses instruments pour répandre lumière et espérance, car il veut compter sur votre audace, votre courage et votre enthousiasme[1]. »

« Avance en eaux profondes », telle est l’invitation de Jésus à Simon, avant de l’inviter à jetter ses filets, et bien qu’il ait pêché toute la nuit, il accepte de repartir vers le large.

Cette invitation est aussi celle qui nous est faite en ce début d’année. Jésus s’adresse à nous, avec tout ce que nous sommes, pour une invitation, malgré les filets vides de la nuit, à oser aller en eau profonde, à risquer d’aller avec Lui au loin, là où la pêche sera abondante si nous lui faisons confiance.

Evangile selon saint Luc, 5, 1-11

1 Or, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth.

02 Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets.

03 Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.

04 Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. »

05 Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. »

06 Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer.

07 Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient.

08 A cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. »

09 En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêchés ;

10 et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon. Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. »

11 Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.

I. Embarqués avec le Christ pour aller en eaux profondes : commencer par rendre grâce de ce qui nous est donné

Pour aller en eaux profondes, il faut quand même avoir les moyens d’y aller : au moins une barque et des filets, et peut-être quelqu’un qui nous aide. Il est bon de voir alors qui nous sommes, nos moyens, quelle barque et quels filets. Ainsi, dans ce texte d’évangile, Jésus s’adresse à des pêcheurs – les compagnons de Simon, fils de Zébédée – ; il y a les deux petites barques – instruments de travail -, leur savoir-faire, les incertitudes de la pêche. Le Christ rencontre ces hommes, ces pêcheurs avec ce qu’ils sont. Ils nous rencontrent ainsi…

Lisons les premiers versets. Il est bon de prendre conscience et de rendre grâce dans la foi pour tout ce qui vous est donné comme chefs d’établissement dans l’Enseignement Catholique : vos élèves et leurs parents qui vous font confiance, votre équipe pédagogique, ceux et celles qui travaillent d’une manière ou d’une autre avec vous, la direction diocsaine et ses diverses instances à votre service, les prêtres et les APS qui accompagnent la pastorale, les tutelles… Vous ne partez pas sans barque et sans filet !

Replongeons-nous aussi dans le projet de Dieu sur chacun, chacune d’entre nous et sur les jeunes qui vous sont confiés, sur leur avenir, sur les beaux enjeux de l’éducation. La foi chrétienne ouvre des horizons très vastes que nous oublions, parfois, pour demeurer dans notre petit horizon étriqué. Le Christ nous rejoint dans notre histoire – histoire personnelle comme ecclésiale -, dans ce corps que constitue l’Eglise et dont nous sommes tous membres par notre baptême.

Cette barque posée sur le sable, Jésus demande qu’on la mette à l’eau. Il veut monter dedans : sommes-nous prêt à quitter le rivage ?

II. « Avance au large et jette tes filets »… oser quitter le rivage… oser faire confiance

Peut-être faut-il oser regarder en face la première partie de la réponse de Pierre – « Nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre… » – comme la nôtre : nous aussi, nous avons travaillé toute la nuit sans rien prendre. C’est une nuit sans rien prendre, une nuit finalement où cela ne va pas comme d’habitude. C’est peut-être la situation que vous rencontrez dans certains domaines de votre responsabilité de chefs d’établissement. Pourtant le Christ invite à aller plus loin, alors que nous pensons avoir fait le maximum : «  Nous avons pêché toute la nuit… qand même, nous, on connaît notre travail ! » semblent dire les pêcheurs à Jésus. Vous aussi, vous vous disez parfois : « Nous avons fait le maximum : on s’est donné à fond, on a fait des projets, construit des bâtiments, ouvert des classes, des filières nouvelles. Quand même, Seigneur, tu ne vas pas nous demander encore quelque chose de plus, de nouveau ! » On peut se contenter du travail fourni, même si parfois les filets semblent vides, ou même se dire : si les filets sont désespéremment vides, laissons les filets et faisons autre chose !

« Mais sur ta parole, je jetterai les filets ! » Tu me dis : « Avance en eaux profondes et jette tes filets. » J’accepte de quitter la rive, de reprendre les rames, de mettre de nouveau la voile afin d’aller loin pour trouver la profondeur du lac. « Confiance » est sans doute le meilleur mot pour caractériser Simon – confiance ou foi – dans sa réponse au Christ. Cette confiance n’est pas un simple mot car elle ne prend vraiment forme – chair – que quand lui et ses acompagnons acceptent de repartir au large. La confiance de Pierre se traduit concrètement par la volonté de prendre les moyens pour partir de nouveau, pour oser aller loin de la rive et pour pêcher dans les eaux profondes.

Il faut donc accepter de partir et, seule, la confiance nous met en route. Cette confiance, c’est accepter le travail toujours surprenant de l’Esprit en nous. Il faut donc regarder en face, tout ce qui résiste en nous, en nos établissements, dans l’Eglise, pour quitter le rivage, la rive, les barques bien rangées et les filets pliés mais vides.

Nous sommes invités à prendre un chemin de conversion et de lucidité pour voir tout ce qui nous attache au rivage. Dans notre histoire personnelle, dans celle de nos établissements comme dans la vie de l’Eglise, il y a toujours des éléments qui pèsent et ne nous aident pas à quitter le rivage. Peut-être, pour aller au large, dans les eaux profondes, faut-il que nous soyons capables d’aller en profondeur en nous-mêmes, ce qui siginifie un travail de conversion, de renouveau, de transformation intérieure. La profondeur de la mission dépend de la profondeur des missionnaires. Ecoutons le rêve du pape François : « J’imagine un choix missionnaire capable de transformer toute chose, afin que les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toute structure ecclésiale devienne un canal adéquat pour l’évangélisation du monde actuel, plus que pour l’auto-préservation. La réforme des structures, qui exige la conversion pastorale, ne peut se comprendre qu’en ce sens : faire en sorte qu’elles deviennent toutes plus missionnaires, que la pastorale ordinaire en toutes ses instances soit plus expansive et ouverte, qu’elle  mette les agents pastoraux en constante attitude de “sortie” et favorise ainsi la réponse positive de tous ceux auxquels Jésus offre son amitié. » (La joie de l’Evangile, 2013, § 27 )

Il est bon en ce début d’année de se demander : de quoi ai-je peur pour cette année ? Ai-je peur des changements ? Des nouveautés ? Qu’est-ce que je crains ? Quelles sont les orientations qui me font peur ou du moins que je ne vois pas bien, que je ne sens pas, qui me semblent peu sûres ? Tout ce qui est nouveau n’est pas parole d’évangile ou appel de l’Esprit, mais il est bon de regarder lucidement et avec un peu d’humour quelles sont mes peurs en ce début d’année. Quand le Christ me dit « Avance en eaux profondes !», quelles sont, pour moi, les eaux profondes ?

Un dernier point : avancer au large avec d’autres : ce n’est pas une régate en solitaire… on est plusieurs sur la barque… on n’avance pas seul en eaux profondes… C’est ensemble, avec d’autres, avec vos équipes que se vivant les défis à relever aujourd’hui.  

III. Suis-moi, je ferai de toi un témoin de l’amour de Dieu, la fraternité et de l’espérance auprès des jeunes

Dernière étape : où  aller ? avancer vers où ? Dans quelles eaux profondes ? Quels chemins nouveaux ouvrir dans vos établissements ?

Nous sommes appelés à vivre la même expérience que Pierre : loin de nos doutes, de nos peurs, de nos incertitudes, nous trouvons le Christ qui répond bien au-delà de nos attentes. Les eaux profondes où le Christ nous emmène sont des eaux fécondes. Cette expérience est une source d’un dynamisme sans cesse nouveau, dans la suite du Christ. « Et laissant tout, ils le suivirent » : il s’agit de s’engager de manière neuve à la suite du Christ, en abandonnant, en particulier, tous les « cela s’est toujours fait ainsi », sources d’inertie et de manque d’audace.

Terminons par ce qui peut orienter notre chemin en eaux profondes auprès des jeunes : témoigner de l’amour de Dieu, de la fraternité et de l’espérance. Ce sont trois manières de témoigner de l’Evangile, de faire signe et d’exprimer quelque chose de la force de l’Evangile.

– L’amour de Dieu : des mots qui ne demeurent pas de simples mots mais qui deviennent réalité à travers la manière de faire vivre un établissement catholique, d’oser parler de l’Evangile aujourd’hui. L’amour de Dieu est au cœur de l’annonce de la Mission. « Je veux dire d’abord à chacun la première vérité : “Dieu t’aime”. Si tu l’as déjà entendu, peu importe. Je veux te le rappeler : Dieu t’aime. N’en doute jamais, quoiqu’il arrive dans ta vie. Tu es aimé infiniment, en toutes circonstances.[2] »

– La fraternité : elle est sans doute une des conditions premières dans le témoignage de foi et de vie de nos établissements. Elle se fonde dans notre baptême qui nous unit tous au Christ et à l’amour du Père. La communauté – communauté éducative – est ce lieu de vie, riche et exigeant, pour ensemble faire avancer la barque vers des eaux profondes. C’est sans doute ce qui permet de se risquer dans des chemins inconnus, car on ne marche alors pas seul, mais avec d’autres.

– L’espérance : l’invitation de Jésus aux pêcheurs au bord du lac est elle-même une invitation à l’espérance : « avance au large »… une vie sans espérance est une vie aux horizons limités, une vie souvent où nos propres routes sont devenus des impasses, où le temps se réduit aux contingences du temps présent ou aux regrets des temps passés… « Avance au large » ouvre un vaste espace, un chemin est possible, une profondeur est ouverte à tous pour ne pas en rester à l’espace étroit d’une vie superficielle. L’espérance commence quand il est possible de se mettre en route. Il s’agit de passer de « nous avons travaillé toute la nuit » à « je vais jeter les filets ». L’espérance ne garantit rien, l’espérance se conjugue avec la confiance : « sur ta parole ». Quelle espérance transmettre aux jeunes d’aujourd’hui alors que l’avenir de la société et de la planète semble si difficile ?

En conclusion, accueillons cet appel du Christ et laissons-le résonner en nos cœurs. L’évangélisation s’inscrit en offrant à tous la chance et la joie de faire l’expérience d’une rencontre et d’une amitié vécue au quotidien avec le Christ. Le dynamisme et la joie d’évangéliser ne peuvent simplement venir d’une décision intellectuelle ou d’un volontarisme. Ils viennent de notre désir de partager, de communiquer quelque chose qui nous tient à cœur, quelque chose qui nous fait vivre et nous rend heureux : « La meilleure motivation pour se décider à communiquer l’Évangile est de le contempler avec amour, de s’attarder en ses pages et de le lire avec le cœur. Si nous l’abordons de cette manière, sa beauté nous surprend, et nous séduit chaque fois. Donc, il est urgent de retrouver un esprit contemplatif, qui nous permette de redécouvrir chaque jour que nous sommes les dépositaires d’un bien qui humanise, qui aide à mener une vie nouvelle. Il n’y a rien de mieux à transmettre aux autres.[3] »

Accueillons l’appel du Christ d’aller au large, d’oser partir en haute mer dans le monde actuel avec ce que nous sommes, dans la simple barque de nos établissements où le Christ est présent et nous invite à jeter une fois encore les filets auprès des enfants et des jeunes qui vous sont confiés.


[1] Pape François, « Il vit, le Christ », 2019, § 173.

[2] Idem, § 122.

[3] Pape François, La joie de l’Evangile, 2013, § 264.