Avec la médiatisation des affaires de pédophilie dans le monde ecclésiastique, c’est l’ensemble de la communauté catholique qui est ébranlée. L’évêque du Puy-en-Velay, Mgr Henri Brincard a accepté d’aborder le sujet avec beaucoup de sincérité. Ces quelques lignes ne sont donc pas à lire comme la “voix” de l’Eglise de France mais plutôt comme le fruit de la réflexion d’un catholique qui veut éviter les raccourcis et la stigmatisation de toute une communauté. Interview avec Stéphane Longin de RCF-Le Puy

Stéphane Longin : Mgr Henri Brincard, depuis quelques mois l’Eglise est régulièrement montrée du doigt dans des affaires de pédophilie. Comment réagissez vous à ces attaques ?

Mgr Henri Brincard : Abuser sexuellement d’un mineur est toujours un acte d’une extrême gravité. L’adulte qui s’en rend coupable détourne à des fins de domination et d’exploitation sexuelle un pouvoir reçu en vue de faire grandir humainement et spirituellement le jeune qui lui est confié. De tels actes produisent des effets ravageurs dont l’étendue est de mieux en mieux perçue depuis quelques décennies, notamment grâce à la progression des sciences humaines. Lorsqu’une personne consacrée viole de la sorte la dignité d’un jeune, l’acte commis est particulièrement effroyable. 
La découverte de l’existence de tels comportements, portant si gravement atteinte à la dignité d’un jeune sans défense, me procure une profonde tristesse. Mais elle m’entraîne aussi dans une réflexion sur la manière la plus efficace de venir en aide aux victimes et d’assurer à l’avenir une meilleure protection des mineurs.

SL : Cela veut dire que vous pensez que l’Eglise peut jouer un rôle dans l’accompagnement des victimes et de leurs proches ?

Mgr Henri Brincard : Que les choses soient claires. Il appartient à la justice d’établir sans faillir la vérité des faits. C’est elle qui doit déterminer, autant que faire se peut, les responsabilités. C’est également à la justice qu’il revient de sanctionner les coupables. 
Mais une évidence s’impose : tant le droit civil que le droit ecclésiastique ne tolèrent sous aucun prétexte de telles violations de la dignité d’une personne. C’est pourquoi, au nom de la seule justice et plus encore au nom de la foi chrétienne, l’Eglise reconnaît l’extrême gravité d’actes commis par ses membres. Benoît XVI n’a jamais cessé de le dire clairement. Le nier, c’est tout simplement faire preuve d’ignorance ou recourir aux tristes procédés de la désinformation.

SL : A ce sujet, l’Eglise a souvent été critiquée pour son silence et son attitude dans les affaires de pédophilie.

Mgr Henri Brincard : L’Eglise est appelée à apporter son plein soutien à la justice humaine, justice exercée dans le cadre d’un Etat de droit. Mais il lui faut aussi agir selon des lois au service des exigences de l’Evangile. C’est pourquoi, à la lumière de la foi, l’Eglise ne cesse d’approfondir le sens de la dignité de la personne humaine, dignité dont l’ultime grandeur apparaît lorsque le croyant se souvient que chaque être humain est appelé à devenir l’enfant de l’unique « Père des cieux ». Aussi comprenons-nous pourquoi le droit ecclésiastique applique des peines sévères aux consacrés ayant failli aux devoirs de leurs responsabilités à l’égard des jeunes.

SL  : En même temps l’Eglise parle aussi de pardon. Et cela est parfois difficile à entendre par les victimes, leur famille et plus généralement l’opinion publique.

Mgr Henri Brincard : Il faut le dire sans ambages : tout chrétien, guidé par une foi authentique, est convaincu qu’il existe entre la justice et la miséricorde des liens fondamentaux qui font apparaître une complémentarité. En effet, la justice exige qu’un acte délictueux soit sanctionné et que la victime de cet acte obtienne réparation. Elle requiert que le coupable reconnaisse la gravité de ses agissements et qu’il demande pardon à la personne dont il a offensé la dignité. Mais est-ce suffisant ? C’est ici que la miséricorde divine peut obtenir ce que la justice humaine est incapable, par ses seules forces, de procurer : un changement, une conversion, c’est-à-dire un retournement du cœur. Dans la lumière de Dieu dont le mystère d’amour est pleinement révélé en Jésus Christ, la miséricorde est, en effet, l’expression d’un Amour Tout puissant non seulement capable de susciter dans le cœur de l’homme de justes et nécessaires regrets mais aussi de susciter un changement radical de vie. Bien entendu, le pécheur doit appeler cette miséricorde, et ensuite, avec le soutien d’une grâce qui ne lui est jamais refusée, mettre en œuvre les effets en lui de cette miséricorde. S’il en est ainsi, notre cœur fait l’expérience d’un repentir profond. Ce cœur est également habité par une espérance nourrie de la certitude que lui sont offerts de nouveaux moyens de réparer.

SL : Ces explications montrent aussi que l’Eglise a bien du mal à expliquer son message. Et notamment auprès des médias.

Mgr Henri Brincard : Pourquoi se voiler la face ? Reconnaissons que l’Evangile est une parole dérangeante. Les jeunes diraient : « Une Parole qui décoiffe ! ». En effet, elle dérange notre orgueil, notre égoïsme, notre confort, notre volonté de puissance. Hier comme aujourd’hui, Jésus Christ dérange beaucoup ! Tant mieux, car un tel dérangement permet de retrouver une vraie liberté, celle de choisir le bonheur que Dieu nous veut. A ce propos, voici à nouveau une anecdote aidant à mieux distinguer ce qui, à juste titre, choque notre monde et ce qui le dérangera toujours si, du moins, l’Evangile demeure l’Evangile. Un grand ami, universitaire de talent et chercheur de la vérité donnant pleinement son sens à la vie, me disait un jour au cours d’une conversation où je lui demandais ce qui le choquait le plus dans le comportement de certains chrétiens : « Vois-tu, ce n’est pas leur faiblesse qui me trouble car lorsque je la constate, je me dis : « Ils ont besoin de Celui qu’ils annoncent aux autres. Non, ce qui me choque, c’est leur suffisance. Ils donnent le sentiment, par leurs propos comme par leurs comportements qu’ils n’ont pas besoin de Celui dont ils se disent les disciples. Oui, c’est leur suffisance qui me choque ».

SL : L’Eglise a-t-elle besoin de conseillers pour transmettre par les medias la foi chrétienne au monde d’aujourd’hui ?

Mgr Henri Brincard : de bons conseillers en communication aident sans nul doute les hommes d’Eglise et les chrétiens à mieux faire comprendre le message de l’Evangile. Par « bons conseillers », j’entends d’abord ceux qui connaissent le contenu du message évangélique et sont convaincus qu’il ne faut pas l’édulcorer. J’entends ensuite ceux qui mettent sans cesse de nouvelles pédagogies au service de la transmission du message évangélique. De telles pédagogies partent toujours, d’une manière ou d’une autre, d’expériences fondamentales apportant à l’être humain paix et joie. 
Il est également évident qu’il faut maîtriser les techniques liées à une bonne utilisation des medias. Sur ce point, l’apprentissage n’est jamais terminé. Pour ma part, je préfère parler à un journaliste qui, en raison de sa profession et parfois de ses dons, saura mieux que moi, trouver, en certaines circonstances, les mots les plus appropriés pour transmettre par les media et sans le déformer le message inouï de l’Evangile. 
Mais la vérité oblige à dire que le monde médiatique est soumis à de grandes pressions vis-à-vis desquelles il ne garde pas toujours cette liberté, pourtant revendiquée, à juste titre, lorsqu’elle est menacée par certains pouvoirs gênants. Ici, je voudrais seulement rappeler que les medias utilisent parfois des procédés de communication ne relevant pas d’une technique bien maitrisée mais de la « désinformation » qu’on peut définir de la manière suivante : « une technique permettant de fournir à des tiers des informations générales erronées les conduisant à commettre des actes collectifs ou à diffuser des jugements souhaités par les désinformateurs ». Une autre définition proposée par Vladimir Volkoff (« Petite histoire de la désinformation ») me paraît encore plus pertinente : «  La désinformation est une manipulation de l’opinion publique à des fins politiques, avec une information traitée par des moyens détournés » (« politique » est entendu ici en son sens premier). Aujourd’hui, nous sommes les uns et les autres souvent confrontés à ce problème de la désinformation consistant parfois tout simplement à «  enfler une semi-vérité pour en faire une gigantesque erreur  ».