Célébration de la Passion à la Cathédrale du Puy-en-Velay, le 10/04/2020

En contemplant le Christ en croix, que voyons-nous ?

Ce soir, nous contemplons le Christ en croix, nous le contemplons longuement et nous gardons le silence, un silence lourd et pesant comme celui du tombeau où il sera enseveli. En contemplant le Christ en croix, que voyons-nous ? Nous voyons le corps d’un homme torturé, déchiré par les coups, traversé par les clous, et les restes d’une boisson vinaigrée donnée au condamné. En haut de la croix, nous lisons, sur une simple pancarte, cette inscription dérisoire : « Jésus le Nazaréen, roi des juifs », dérisoire car quel roi a pour trône le bois d’une croix et pour couronne de simples épines ?

En contemplant le Christ en croix, que voyons-nous ? Nous voyons Jésus de Nazareth, « cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple» (Lc 24, 19) comme disaient les deux disciples désabusés et tristes sur le chemin d’Emmaüs ; cet homme que les foules acclamaient à son entrée à Jérusalem puis conspuaient pour qu’il soit crucifié ; cet homme que les grands prêtres et les chefs du peuple ont condamné injustement, lui, l’innocent, qui parlait ouvertement à tous. Nous faisons mémoire de tout ce que nous savons de lui, ses attitudes, ses paroles, sa prière et la Bonne Nouvelle qu’il annonçait. Nous revoyons ses gestes de miséricorde pour les malades, ses mains – aujourd’hui percées – ouvertes à tous, ses disciples, qui l’accompagnaient, mais aujourd’hui dispersés.

En contemplant le Christ en croix, nous nous rappelons les paroles du Christ : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25, 40) Alors nous voyons notre monde souvent si dur, si injuste, si marqué par le péché. Nous voyons les hommes et les femmes de notre temps qui souffrent, qui sont persécutés pour leur foi ou leur conviction, qui sont emprisonnés et torturés, qui sont condamnés injustement. Nous voyons les malades pris par l’épidémie et leurs familles dans l’inquiétude ou le deuil, les migrants en exil qui traversent les dangers de la mer, les pays où la faim et la pauvreté sont le lot quotidien de l’existence.

En contemplant le Christ en croix, nous voyons que Dieu n’est pas étranger aux souffrances de notre humanité, ni au mal – sous toutes ses formes – qui la fait

souffrir. En Jésus, Dieu s’est fait homme, pleinement homme. Il est venu habiter parmi nous, non pas à l’écart, mais au cœur de notre monde, avec tout ce qu’il a de beau, mais aussi avec ses drames et ses injustices. Le Christ a affronté le mal et ce qui défigure l’homme. La croix est le signe de sa liberté et de sa volonté d’aller jusqu’au bout de ce combat et du don de sa vie pour tous. Le Fils de Dieu a vécu son humanité jusqu’à mourir en croix, comme un esclave.

En contemplant le Christ en croix, nous voyons quelques femmes demeurer au pied de la croix, avec le disciple que Jésus aimait. Parmi elles, il y a Marie dont le cœur est traversé par la douleur d’une mère qui voit son enfant souffrir et mourir, et en elle, nous voyons celles qui souffrent ou qui pleurent leurs enfants. Pourtant, nous savons déjà que ces mêmes femmes seront présentes au petit matin de Pâques auprès du tombeau vide. Donnant naissance à tout être humain, les femmes seront les premiers témoins qu’une vie nouvelle est donnée dans la résurrection du Crucifié. Alors, comme elles, ce soir, nous demeurons au pied de la croix, contemplant Celui qui a donné sa vie par amour de chacun et chacune de nous. Comme elles, il nous faut aller jusqu’au tombeau déposer le corps de celui qu’elles ont suivi et aimé. Et comme elles, le premier jour de la semaine quand se lèvera le soleil, nous irons de nouveau au tombeau… mais d’ici là il nous faut accueillir maintenant le silence et l’absence de Celui qui a été enseveli.

+ Luc Crepy, évêque du Puy-en-Velay