Intervention de Mgr Luc Crepy à l’occasion de la formation des équipes d’animation paroissiale du samedi 15 févier 2020 à la maison diocésaine La Providence.

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Introduction

Bref rappel des dernières formations (2017 -2019)

Simplement pour nous mettre en route et pour ceux qui n’étaient pas là, rappelons quelques points importants de nos rencontres de formation, au cours des années précédentes :

  • Une réflexion sur la nature même de l’Eglise : Qu’est-ce que l’Eglise ? Nous avons parlé de l’Eglise comme mystère, car avant d’être une organisation humaine, l’Eglise s’inscrit dans le projet de Dieu ; de l’Eglise comme communion – mystère de communion – entre Dieu et les hommes, entre les hommes ; de l’Eglise envoyée en mission par le Christ pour évangéliser – c’est sa raison d’être –.
  • Nous avons poursuivi notre réflexion sur la notion de « diocèse » comme portion du peuple de Dieu : l’Église particulière n’est pas une partie de l’Église universelle (qui serait la somme des Eglises particulières), mais une « portion » du Peuple de Dieu. L’Église particulière est à la fois présence et manifestation plénière de l’Église du Christ. Elle possède les quatre éléments essentiels à l’Église : l’Esprit Saint, l’Évangile, l’Eucharistie et le ministère épiscopal. Dans cet horizon du diocèse, la paroisse est une cellule vivante et active du diocèse, enracinée localement, qui ne contient pas toute la vie du diocèse, mais qui est une communauté en un lieu « pour tout, pour tous et par tous. »
  • Nous avons précisé les caractéristiques de la paroisse en développant ce que le pape François nous dit dans Evangelii Gaudium : « La paroisse est présence ecclésiale sur le territoire, lieu de l’écoute de la Parole, de la croissance de la vie chrétienne, du dialogue, de l’annonce, de la charité généreuse, de l’adoration et de la célébration. À travers toutes ses activités, la paroisse encourage et forme ses membres pour qu’ils soient des agents de l’évangélisation. Elle est communauté de communautés, sanctuaire où les assoiffés viennent boire pour continuer à marcher, et centre d’un constant envoi missionnaire. » (§ 28)
  • Enfin nous avons rappelé la mission spécifique des laïcs : « Les laïcs, que leur vocation spécifique place au cœur du monde et à la tête des tâches temporelles les plus variées, doivent exercer par là même une forme singulière d’évangélisation. Leur tâche première et immédiate n’est pas l’institution et le développement de la communauté ecclésiale c’est là le rôle spécifique des Pasteurs , mais c’est la mise en œuvre de toutes les possibilités chrétiennes et évangéliques cachées, mais déjà présentes et actives dans les choses du monde. Le champ propre de leur activité évangélisatrice, c’est le monde vaste et compliqué de la politique, du social, de l’économie, mais également de la culture, des sciences et des arts, de la vie internationale, des mass media ainsi que certaines autres réalités ouvertes à l’évangélisation comme sont l’amour, la famille, l’éducation des enfants et des adolescents, le travail professionnel, la souffrance. » (Paul VI, Evangelli nuntiandi § 70)

Réfléchir sur la dimension missionnaire de nos ensembles paroissiaux

Autrefois (!) les termes « missionnaire » ou « évangélisation » évoquaient pour beaucoup – surtout en des régions de chrétienté comme notre diocèse – des terres lointaines vers lesquelles se sont rendus bien des missionnaires de nos régions. Aujourd’hui, et depuis déjà bien des décennies, nous percevons combien nous vivons sur une « terre de Mission » et nous voyons, par exemple, la demande actuelle des catéchistes d’utiliser des parcours qui tracent des chemins de première évangélisation, tant les connaissances des enfants sont réduites et les familles loin d’une tradition chrétienne, même si « elles mettent leurs enfants au caté ». Evangéliser et entrer de plus en plus dans une attitude missionnaire devient urgent ! « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile ! » disait saint Paul (1Co 9,16). Il est donc difficile de traiter de l’Eglise et de la vie de nos ensembles paroissiaux sans parler de la Mission. Ainsi il est important d’inviter les membres des EAP à réfléchir plus concrètement sur les dimensions missionnaires de leurs activités paroissiales et de leurs projets pastoraux : comment percevons-nous ou non la dimension missionnaire de la vie des ensembles paroissiaux ? Comment, nous membres des Equipes d’Animation Pastorale – E.A.P. –, portons-nous, avec les prêtres et les diacres, le souci de la Mission dans l’animation de nos communautés ? Quels sont les défis missionnaires que nous avons à relever aujourd’hui et demain dans notre diocèse ?

Il est donc important dans la vie des EAP que la dimension missionnaire demeure un fil conducteur dans les décisions qui sont prises, dans le discernement des projets, dans l’accompagnement des personnes dans leurs responsabilités. Il ne s’agit pas seulement de « faire tourner » la paroisse, aussi importantes que soient les questions matérielles et d’organisation, mais de se demander comment tous les moyens que nous mettons en œuvre sont au service de la Mission. Reconnaissons que ce n’est pas toujours facile, mais qu’il est bon, peu à peu, que la vie des EAP soit portée par ce souci missionnaire.

A. Par nature, l’Eglise est évangélisatrice et missionnaire

Nous donnons ces deux qualificatifs à l’Eglise, mais en fait ils n’en forment qu’un seul : l’Eglise est missionnaire parce qu’évangélisatrice et l’Eglise est évangélisatrice parce que missionnaire. Missionnaire est un terme qui évoque l’envoi en mission par le Christ, le mouvement d’aller vers, d’être « en sortie » comme dirait le pape François, d’être tournés vers les autres, vers le monde. Evangélisatrice évoque explicitement l’annonce de l’Evangile, mais aussi la force de l’Evangile qui travaille l’existence de ceux et celles qui l’écoutent et l’accueillent : évangéliser nos vies, nos manières d’être et d’agir.

La nature même de l’Eglise s’inscrit dans sa tâche première : l’évangélisation. Une Eglise missionnaire évangélise. « Chaque communauté ecclésiale dit, à sa manière et à son niveau, la présence du Ressuscité qui l’appelle et l’envoie. Elle reçoit et communique par ce qu’elle est l’appel que Dieu adresse en Jésus-Christ et par son Esprit à tous les êtres humains convoqués à l’Alliance. Et il est universel. Nous mesurons ainsi la richesse de l’ADN de toute la communauté ecclésiale, y compris la paroisse [1]»

Paul VI dit très clairement la nature profonde de l’Eglise : « Evangéliser est la grâce et la vocation propre de l’Eglise, son identité la plus profonde. Elle existe pour évangéliser, c’est-à-dire pour prêcher et enseigner, être le canal du don de la grâce, réconcilier les pécheurs avec Dieu, perpétuer le sacrifice du christ dans la sainte messe, qui est le mémorial de sa mort et de sa résurrection glorieuse. » ( Evangelii nuntiandi, § 14).

La mission de l’Eglise s’inscrit dans le dessein du Père de faire entrer les hommes dans sa vie divine, dans la mission du Fils pour que nous devenions des fils adoptifs, dans la force de l’Esprit qui construit et sanctifie l’Eglise en permanence. L’Eglise n’existe pas d’elle-même ni pour elle-même, elle est l’objet de la pure grâce de Dieu, et il est bon dans la perception de l’évangélisation de garder toujours ceci en mémoire. « Ce salut, que Dieu réalise et que l’Église annonce joyeusement, est destiné à tous, et Dieu a donné naissance à un chemin pour s’unir chacun des êtres humains de tous les temps. » (Joie de l’Evangile § 113) [2].

La communauté ecclésiale n’a donc pas sa finalité, comme son origine en elle-même : elle s’inscrit dans le projet de Dieu de communiquer son amour, son salut, son alliance à tous. L’Eglise n’aura jamais fini d’annoncer l’Evangile. A chaque époque, de nouveaux défis se posent à elle tant par le contexte qui évolue et parfois change radicalement, tant par les changements internes qui la traverse au cours du temps. Il est donc important d’accueillir la situation actuelle – ad intra comme ad extra – telle qu’elle se présente et de s’interroger sur nos pratiques missionnaires – évangélisatrices – dans les situations nouvelles que nous vivons.

B. Quand « l’Eglise se fait conversation » : communiquer l’Evangile [3]

Il est intéressant de parler de l’évangélisation comme « communication de l’Evangile». Communiquer implique de penser à trois choses essentielles dans notre manière d’annoncer l’Evangile : le message, le messager et l’auditeur. Ce dernier n’est pas un récepteur passif de nos paroles, mais devient un auditeur qui, dans sa liberté, réagit et interagit. L’effort pastoral consiste alors à prendre au sérieux le destinataire de notre message afin qu’il devienne peu à peu notre interlocuteur et qu’un dialogue s’établisse. Si le message – l’Evangile ou le kérygme – ne vieillit pas, sa communication demande sans cesse que nous nous ajustions à l’autre – aux enfants, aux adultes, aux personnes loin de l’Eglise… Il nous faut être créatif pour nous renouveler et nous adapter aux divers destinataires et aux contextes variés. Toute action évangélisatrice est nouvelle.

Cette dimension de communication, essentielle à l’évangélisation se traduit pour le pape Paul VI comme interpellation à l’Eglise pour qu’elle entre en dialogue avec le monde dans lequel elle vit : « L’Eglise doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Eglise se fait parole ; l’Eglise se fait message ; l’Eglise se fait conversation.  [4]» Nous devons être attentifs au dialogue avec ceux et celles que nous rejoignons à travers les activités pastorales, à travers nos rencontres, à travers la vie quotidienne. Nous ne devons pas avoir peur du dialogue, d’entrer en conversion, de nous entre-tenir avec l’autre… « L’Eglise connaît la nouveauté étourdissante de l’ère moderne ; mais avec une candide assurance, elle se dresse sur les routes de l’histoire, et elle dit aux hommes : « J’ai ce que vous cherchez, ce qui vous manque. » Elle ne promet pas le bonheur sur terre, mais elle offre quelque chose – sa lumière, sa grâce – pour pouvoir l’atteindre le mieux possible ; et puis, elle parle aux hommes de leur destinée transcendante. Ainsi, elle leur parle de vérité, de justice, de liberté, de progrès, de concorde, de paix, de civilisation. Ce sont là des mots dont l’Eglise possède le secret ; le Christ le lui a confié. Et alors, l’Eglise a un message pour toutes les catégories de l’humanité.  [5]»

Cette perspective du dialogue comme constitutif de l’Eglise trouve toute sa pertinence dans la vie des paroisses en situation d’accueil et d’écoute des personnes qui viennent pour diverses raisons, bien que souvent éloignées de la vie de la communauté. La communauté ne peut donner des raisons de croire ou d’espérer que si elle s’ouvre à ce que vivent les gens dans la culture contemporaine, si elle se laisse toucher par l’autre aussi différent soit-il. Par exemple, dans le cadre de la pastorale familiale et de la diversité des situations, la paroisse offre un appui réel. [6]

Peut-être faut-il aller encore plus loin en inventant des lieux d’écoute et de paroles dans nos ensembles paroissiaux. Nous constatons aujourd’hui tant de personnes seules, tant de personnes qui cherchent une écoute, tant de personnes qui voudraient parler avec d’autres. L’Eglise ne peut-elle pas favoriser ces attentes en inventant simplement des temps et des lieux de paroles ? Des initiatives existent mais nous pourrions aller plus loin.

C. Ensemble, nous sommes le peuple des « disciples-missionnaires » du Christ

Tout baptisé et tous les baptisés sont responsables de la dimension évangélisatrice et missionnaire de l’Eglise. Ensemble, ils constituent ce peuple pèlerin et évangélisateur, car tous sont devenus disciples-missionnaires par leur baptême : « En vertu du Baptême reçu, chaque membre du Peuple de Dieu est devenu disciple missionnaire (cf. Mt 28, 19). Chaque baptisé, quelle que soit sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation, et il serait inadéquat de penser à un schéma d’évangélisation utilisé pour des acteurs qualifiés, où le reste du peuple fidèle serait seulement destiné à bénéficier de leurs actions. La nouvelle évangélisation doit impliquer que chaque baptisé soit protagoniste d’une façon nouvelle. Cette conviction se transforme en un appel adressé à chaque chrétien, pour que personne ne renonce à son engagement pour l’évangélisation. » (La joie de l’Evangile § 120).

Déjà le pape Benoît XVI rappelait lors de la rencontre d’Aparecida [7] à laquelle participait le cardinal Bergoglio, que nous ne sommes pas disciples ou/et missionnaires mais disciples-missionnaires. « Le disciple, basé ainsi sur le roc de la parole de Dieu, se sent poussé à porter la bonne nouvelle du salut à ses frères. Être disciple et être missionnaire sont comme les deux faces d’une même médaille : quand le disciple est amoureux du Christ, il ne peut pas ne pas annoncer au monde que Lui seul nous sauve (cf. Actes 4, 12). En effet, le disciple sait que sans le Christ, il n’y a pas de lumière, il n’y a pas d’espérance il n’y a pas d’amour, il n’y a pas de futur. »

Ce peuple pèlerin et évangélisateur qu’est l’Eglise n’est pas une élite ; il n’est pas un peuple dont il est difficile de faire partie, mais un peuple habité par sa capacité d’accueil – d’hospitalité – de tous, un peuple habité par la miséricorde, miséricorde reçue de Dieu où chacun a sa place. Ainsi l’évangélisation n’est pas une affaire personnelle – même si notre témoignage personnel est important –  mais une affaire communautaire : c’est « ensemble pour la mission », s’il fallait trouver un petit slogan. Cette dimension communautaire commence par une ouverture, une capacité d’accueil, un témoignage où chacun se sent aimé et pardonné : c’est sûrement le premier pas de la Mission. La fraternité entre nous et avec celui qui frappe à la porte est essentielle dans une communauté missionnaire.

Cette perspective nous invite ainsi à penser l’évangélisation comme une affaire communautaire : comment rendre les paroisses évangélisatrices, comment rendre nos divers services et mouvements d’Eglise évangélisateurs ? Cette dimension centrale de l’évangélisation doit être un critère dans la conduite de nos E.A.P. : comment nos choix, nos organisations, l’animation de la vie en Eglise est-elle traversée par cette dimension missionnaire ? L’évangélisation n’est pas une affaire personnelle mais se fait avec d’autres, en Eglise. A cette dimension communautaire s’ajoute celle d’une ouverture, d’une capacité d’accueil, d’un témoignage où chacun se sent aimé et pardonné, où chacun devient acteur dans la vie de la communauté.

D. La communauté évangélisatrice

C’est ensemble que se vit la mission et le pape François [8] de rappeler en plusieurs endroits l’importance de la dimension communautaire – ecclésiale – dans l’évangélisation et dans la joie d’évangéliser. Il s’agit bien de « l’Eglise en sortie », en sortie avec son Maître, à la suite de son Maître et de son Epoux… « L’Eglise qui est disciple-missionnaire » (§40) et pas seulement de la sortie du missionnaire. « L’Église “en sortie” est la communauté des disciples missionnaires qui prennent l’initiative, qui s’impliquent, qui accompagnent, qui fructifient et qui fêtent. La communauté évangélisatrice expérimente que le Seigneur a pris l’initiative, il l’a précédée dans l’amour (cf. 1Jn 4, 10), et en raison de cela, elle sait aller de l’avant, elle sait prendre l’initiative sans crainte, aller à la rencontre, chercher ceux qui sont loin et arriver aux croisées des chemins pour inviter les exclus. » (§ 24)

Très concrètement le pape François parle de la dimension missionnaire des paroisses et des diocèses et souligne comment ces entités peuvent ou doivent être en elles-mêmes des communautés évangélisatrices ou une communauté de communautés évangélisatrice. L’évêque doit favoriser la communion missionnaire au sein de son diocèse et être habité par « le rêve missionnaire d’arriver à tous » (§ 31). A tous les niveaux, dans toutes les structures, la mission est l’unique horizon

« L’important est de ne pas marcher seul et de toujours compter sur les frères. » (§33). La dimension missionnaire se vit avec d’autres. Comment aider la communauté paroissiale, dans toutes ses dimensions, à vivre en communauté missionnaire ? Comment, dans les plus simples aspects matériels, mettons-nous une finalité missionnaire ? Par exemple : le souci de laisser l’Eglise ouverte qui permet aux tout-venants de trouver une halte spirituelle dans la beauté de ce bâtiment de pierre ; l’accueil au début des messes dominicales, surtout en période estivale où bien des personnes sont de passages ; l’attention à la convivialité dans les rencontres de préparation de sacrements ou dans l’accueil des familles en deuil. Certes la dimension missionnaire d’une communauté ne se réduit pas à ces simples exemples, mais ces derniers manifestent la présence d’une communauté non pas centrée sur elle-même mais ouverte – attentive – à tous. L’action missionnaire est l’axe sur lequel nous sommes appelés à conjuguer toutes les tâches et les activités de l’Eglise, de nos communautés. Il serait intéressant, quand nous faisons le bilan d’une année pastorale, de relire ce que nous avons fait avec des « lunettes missionnaires », de même quand nous élaborons nos projets d’année. Penser la pastorale dans son ensemble et dans ses diverses modalités avec la question de l’évangélisation et de la mission. Peut-être pourrait-on établir une « grille missionnaire » d’évaluation ?   

Nous pouvons méditer la manière dont nous faisons route avec d’autres en vue de la mission, rendre grâce pour cette expérience, demander la grâce de nous mettre en route aujourd’hui et demain chacun à sa manière. C’est aussi une invitation à penser la dimension évangélisatrice et missionnaire de nos communautés. Une manière de vivre la synodalité localement, c’est porter ensemble la dimension missionnaire de nos communautés.

Pour conclure ce point, citons un théologien actuel : « L’enjeu d’une réforme missionnaire est de faire que nos communautés se transforment en « sujets missionnaires », ce qui suppose qu’elles deviennent plus attentives à ce que Dieu leur donne effectivement, aux potentialités « charismatiques » de leur environnement, territorial et culturel, et aux charismes que représentent les personnes qui se joignent à elles. [9] »

E. Evangéliser : offrir un chemin de croissance à la découverte du Christ

Quelle pédagogie mettre en œuvre dans l’évangélisation ? Il s’agit bien de partir du cœur de la foi – du kérygme – mais cette démarche s’inscrit dans le temps – la patience de l’évangélisation -, il s’agit de permettre à chacun de croître dans sa vie chrétienne, non pas seulement au niveau doctrinal mais dans son existence chrétienne. « Le mandat missionnaire du Seigneur comprend l’appel à la croissance de la foi quand il indique : « leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 20). Ainsi apparaît clairement que la première annonce doit donner lieu aussi à un chemin de formation et de maturation. L’évangélisation cherche aussi la croissance, ce qui implique de prendre très au sérieux chaque personne et le projet que le Seigneur a sur elle. Chaque être humain a toujours plus besoin du Christ, et l’évangélisation ne devrait pas accepter que quelqu’un se contente de peu, mais qu’il puisse dire pleinement : « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).  [10]». La vie chrétienne peut être présentée comme « un chemin de croissance dans l’amour  [11]» où il s’agit d’aimer comme le Christ aime. Nous pouvons souligner le « comme » qui fait toute la richesse de la proposition chrétienne d’aimer : aimer à la suite du Christ, c’est apprendre à aimer en vérité et en plénitude comme lui. C’est aussi ce que nous disons aux époux : dans le sacrement de mariage, chacun est invité à aimer comme le Christ aime.

En amont de ce chemin de croissance, chacun est invité à percevoir que le don de Dieu nous précède toujours. Il ne s’agit pas d’une démarche volontariste mais d’une démarche d’accueil : comment accueillir ce qui nous précède ? C’est une question valable pour toute la vie chrétienne : chacun de nous peut l’entendre aussi aujourd’hui. Cette capacité d’accueillir le don de Dieu est à la fois un chemin spirituel mais aussi un chemin d’humanisation (sans séparer l’un de l’autre). Nous pouvons nous rappeler que le Concile Vatican II rappelle comment l’évangélisation est un chemin de plus grande humanisation : « L’Eglise croit pouvoir largement contribuer à humaniser toujours plus la famille des hommes et son histoire. » (Gaudium et Spes § 40) et au cœur de cette humanisation, la capacité à accueillir et à vivre du don de l’autre et à l’autre est le lieu même d’une certaine plénitude humaine : « l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même. » (Gaudium et Spes 24,3).

Une autre dimension de ce chemin de croissance est celle de l’initiation « mystagogique » qui signifie deux choses : « la progressivité nécessaire de l’expérience de formation dans laquelle toute la communauté intervient et une valorisation renouvelée des signes liturgiques de l’initiation chrétienne [12]. » Par exemple, dans la préparation au baptême, les parents sont invités à découvrir la beauté du lieu, la richesse des gestes qui vont être posés sur leur enfant, les paroles qui vont être prononcées. Le patrimoine de l’Eglise, tant dans sa manière de célébrer que de vivre et d’approfondir sa foi, possède tant de belles choses à faire découvrir. Le chemin de la beauté peut être aussi un chemin pour découvrir peu à peu le Christ. Il ne faut pas non plus avoir peur de profiter de la richesse des cultures, ni d’innover : « Il faut avoir le courage de trouver les nouveaux signes, les nouveaux symboles, une nouvelle chair pour la transmission de la Parole, diverses formes de beauté qui se manifestent dans les milieux culturels variés, y compris ces modalités non conventionnelles de beauté, qui peuvent être peu significatives pour les évangélisateurs, mais qui sont devenues particulièrement attirantes pour les autres.» (§167).

Enfin ce chemin de croissance ne se fait pas seul d’où l’importance de l’accompagnement des personnes. C’est une manière très concrète pour l’Eglise de manifester sa proximité à tous. Trop souvent les gens se retrouvent seuls (par exemple les catéchumènes qui, une fois baptisés, ne savent plus très bien comment poursuivre leur chemin). L’écoute respectueuse des personnes, avec un cœur qui rend possible la proximité, permet de découvrir que l’idéal chrétien ne s’acquiert pas immédiatement, que la sainteté est sans cesse à mettre en œuvre, que la connaissance de l’autre, de l’Autre n’est jamais terminée. Le temps est le messager de Dieu. La patience et la compréhension doivent être les qualités des accompagnateurs. «Des disciples missionnaires accompagnent des disciples missionnaires. [13] »

F. La joie de vivre et d’annoncer la nouveauté de l’Evangile

Nos communautés sont-elles joyeuses ? Donnons-nous envie de venir nous rejoindre par un accueil chaleureux, par une entente conviviale, par une joie sur les visages et dans les cœurs ?  Quand une personne entre en contact avec notre communauté paroissiale, ou quand elle participe à la messe, à une célébration ou à une rencontre, la joie de l’Evangile est-elle perceptible ou sommes-nous un peu trop souvent avec « une face de carême » comme dirait avec humour le pape François. Il ne s’agit pas simplement de quelque chose de superficiel : sourire pour sourire, être joyeux pour être joyeux… mais c’est un climat de joie et de communion qui est perceptible dans bon nombre de communautés.

La joie des disciples-missionnaires prend sa source dans la nouveauté permanente de l’Evangile : la joie donnée par l’Evangile à chacun de nous qui l’accueille, mais aussi la joie qui constitue l’Evangile lui-même, l’Evangile comme bonne nouvelle en soi. Comment le message, le porteur du message et le destinataire du message sont-ils sans cesse pris dans ce mouvement de joie ? L’Evangile est source de joie tant dans la manière de le vivre que dans le fait de l’annoncer. Il est de même pour la nouveauté de l’Evangile. Cela tient à son centre, à son « essence » : « le Dieu qui a manifesté son amour immense dans le Christ mort et ressuscité. Il rend ses fidèles toujours nouveaux, bien qu’ils soient anciens : ‘Ils renouvellent leur force, ils déploient leurs ailes comme des aigles, ils courent sans s’épuiser, ils marchent sans se fatiguer’ (Is 40, 31). Le Christ est « la Bonne Nouvelle éternelle » (Ap 14, 6), et il est « le même hier et aujourd’hui et pour les siècles » (He 13, 8), mais sa richesse et sa beauté sont inépuisables. Il est toujours jeune et source constante de nouveauté. » (La joie de l’Evangile § 11)

Si tout nous paraît ennuyeux, fade, sans saveur et triste ; si notre pastorale devient routinière, sans intérêt et pour nous et pour les gens ;  c’est que nous n’allons plus à la source et que nous ne prenons pas les moyens de retrouver la fraîcheur originale de l’Evangile d’où « surgissent de nouvelles voies, des méthodes créatives, d’autres formes d’expression, des signes plus éloquents, des paroles chargées de sens renouvelé pour le monde d’aujourd’hui. (§11) L’annonce de l’Evangile, source de nouveauté, est aussi en elle-même source de nouveauté et source de joie pour les évangélisateurs. Cependant le cœur même de cette nouveauté tient au fait que Jésus est « le tout premier et le plus grand évangélisateur » et le pape d’ajouter que « Dans toute forme d’évangélisation, la primauté revient toujours à Dieu, qui a voulu nous appeler à collaborer avec lui et nous stimuler avec la force de son Esprit. La véritable nouveauté est celle que Dieu lui-même veut produire de façon mystérieuse, celle qu’il inspire, celle qu’il provoque, celle qu’il oriente et accompagne de mille manières. Dans toute la vie de l’Église, on doit toujours manifester que l’initiative vient de Dieu, que c’est « lui qui nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 19) et que « c’est Dieu seul qui donne la croissance » (1 Co 3, 7). Cette conviction nous permet de conserver la joie devant une mission aussi exigeante qui est un défi prenant notre vie dans sa totalité. Elle nous demande tout, mais en même temps elle nous offre tout. » (§ 12)

La joie du missionnaire n’existe pas sans la joie du disciple et celle du missionnaire ne peut exister sans celle du disciple. Proche du maître, le disciple est celui que Jésus va former avec lui, par son enseignement, sa participation à sa mission, son amitié et son intimité avec lui. Toute sa joie est dans la suite du Christ. Le missionnaire est celui qui est envoyé en mission par le Christ pour poursuivre celle commencée, qui a reçu la force de l’Esprit de Jésus et désire annoncer l’expérience qu’il a vécue avec le maître pour la proposer à tous. Il sait que l’Esprit le précède. Sa joie est de voir régner le Christ dans le cœur de tous, comme Celui-ci règne en lui.

Conclusion : points d’attention pour une plus grande dynamique missionnaire

  • La création des ensembles paroissiaux avec la présence des E.A.P. ouvre à une nouvelle pratique missionnaire. Il est important de repérer les diverses facettes missionnaires de la vie de la communauté. Quels lieux de parole et d’écoute dans nos communautés ?
  • § L’attention portée à chacun et l’ouverture à tous sur le territoire de l’ensemble paroissial. Ne pas cataloguer les habitants du territoire en catholiques pratiquants et catholiques non-pratiquants. Accueillir la diversité des demandes.
  • L’intimité avec Dieu est inséparable de l’ouverture à l’autre.
  • Réfléchir ensemble sur les défis qui se posent aujourd’hui à nos contemporains et comment l’Eglise peut – modestement mais sûrement – apporter une lumière.
  • § Toute Eglise missionnaire sait tirer profit des richesses et des limites de tous ceux et celles qui la constituent.
  • Quatre moments dans l’évangélisation selon Paul VI [14] :
    • Le témoignage de vie : « Par ce témoignage sans paroles, ces chrétiens font monter, dans le cœur de ceux qui les voient vivre, des questions irrésistibles : Pourquoi sont-ils ainsi ? Pourquoi vivent-ils de la sorte ? Qu’est-ce — ou qui est-ce — qui les inspire ? Pourquoi sont-ils au milieu de nous ? Un tel témoignage est déjà proclamation silencieuse mais très forte et efficace de la Bonne Nouvelle. »
    • L’annonce explicite de l’Evangile : «  Il n’y a pas d’évangélisation vraie si le nom, l’enseignement, la vie, les promesses, le Règne, le mystère de Jésus de Nazareth Fils de Dieu ne sont pas annoncés. »
    • L’accueil du message évangélique : «  L’annonce n’acquiert toute sa dimension que lorsqu’elle est entendue, accueillie, assimilée et lorsqu’elle fait surgir dans celui qui l’a ainsi reçue une adhésion du cœur. » 
    • L’évangélisé devient évangélisateur : « Finalement, celui qui a été évangélisé évangélise à son tour. C’est là le test de vérité, la pierre de touche de l’évangélisation. »
  • Comment l’évangélisation – la Mission – transforme-t-elle nos communautés et nous-mêmes ? Cette transformation s’appelle conversion.
  • L’évangélisation est un processus : des relations, du temps, de la patience, de la persévérance, de l’écoute, du dialogue, des étapes, des relectures et… de la joie.
  • Les cinq essentiels de la vie chrétienne : la prière – la fraternité  – la formation – le service – l’évangélisation (voir annexe 1, ci-après)
  • L’Esprit Saint est le premier acteur de la mission et de l’évangélisation : quel discernement à son écoute dans nos décisions, nos projets, nos « rêves missionnaires » ?

Annexe

Les cinq essentiels de la vie chrétienne

(Rencontre des mouvements et associations de fidèles – La Providence 08/02/20)

Il s’agit en quelque sorte de faire « un bilan de santé » pour savoir si la santé spirituelle de nos équipes est bonne ou s’il faut trouver quelques remèdes pour aller plus de l’avant.

Comme pour la révision régulière de nos véhicules, il faut poser cinq diagnostics et regarder si tout est en état de marche.

  • Le premier – la prière – concerne le carburant des équipes : comment l’action du Seigneur permet-elle à nos mouvements ou associations d’avancer, de prendre la route ensemble sans tomber en panne ? C’est dans la prière que nous pouvons retrouver le Seigneur, donner sens à ce que nous vivons, discerner les appels qu’Il adresse à chacun de nous.
  • Le second diagnostic est la fraternité : « A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jean 13,35) La vie d’équipe, avec d’autres, en Eglise est une expérience de fraternité où j’apprends à voir en l’autre – avec les yeux du Christ – un frère, une sœur. Quand la fraternité disparaît, est-on encore en Eglise ?…
  • Le troisième élément est la formation. Parfois certains disent que la foi du charbonnier suffit, mais aujourd’hui il n’y a plus beaucoup de charbonniers parmi vous ! Comment rendre compte de l’espérance qui nous habite si nous ne sommes pas capables d’expliquer un peu quelle est notre foi ? La formation nous permet d’approfondir ce que nous croyons et de relire ce que nous vivons.
  • Avant dernier diagnostic : le service. Ici c’est se mettre à l’école de Jésus qui n’est pas venu pour être servi mais pour servir (Marc 10,45). Comment les relations entre nous, dans nos mouvements et associations, sont des relations de service de l’autre, des autres ? Notre monde a tant besoin du témoignage du service.
  • Et, enfin, le dernier diagnostic : l’évangélisation. L’Eglise n’existe pas pour elle-même. «Evangéliser est la grâce et la vocation propre de l’Eglise, son identité la plus profonde. Elle existe pour évangéliser… » (Paul VI) Le pape François nous parle sans cesse de la joie de l’Evangile… Nos équipes sont-elles habitées par la joie de l’Evangile ?

Cinq diagnostics donc à faire sur nos vies d’équipe. Peut-être l’un ou l’autre n’est-il pas très positif… mais comme le « grand garagiste » est compatissant, Il nous invite à poursuivre la route en veillant à améliorer notre bulletin de santé.


[1] Alphonse Borras, Paroisses et familles. Pour une pastorale de la réciprocité. Médiapaul. 2019, pp. 25-26.

[2] On peut penser ici Lumen Gentium §1 : « L’Eglise, pour sa part, est dans le Christ comme un sacrement ou, si l’on veut, un signe et un moyen d’opérer l’union intime avec Dieu et l’unité de tout le genre humain. »

[3] Ce paragraphe s’inspire de A. Borras, idem, pp. 36 ss.

[4] Paul VI, Ecclesiam suam, §67.

[5] Idem §99.

[6] Cf. Pape François, Amoris Laetitia § 202.

[7] Conférence générale de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes, Document d’Aparecida. 2007. Discours d’ouverture de Benoît XVI, §3.

[8] La Joie de l’Evangile.

[9] Christoph Theoblad, Urgences pastorales. Comprendre, partager, réformer. Bayard, 2017, p. 475.

[10] François, La joie de l’Evangile, § 160.

[11] Idem §161.

[12] Idem § 166.

[13] Idem § 173.

[14] Cf. Paul VI, Evangelii nuntiandi, § 21-24